XXI
La venue du rêve.

 

 

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Il est inutile et je n'en aurais guère le courage, de m'arrêter longuement sur ce qui suivit la mort de M. Rassendyll. Les mesures que nous avions préparées pour assurer sa prise de possession du trône, dans le cas où il y aurait consenti, nous furent utiles après sa mort. Les lèvres de Bauer étaient fermées pour toujours. La vieille mère Holf était trop épouvantée pour faire la moindre allusion à ses soupçons. Rischenheim restait fidèle à la parole donnée à la Reine. Les cendres du Pavillon de chasse gardaient leur secret, et personne ne soupçonna rien, lorsque le cadavre carbonisé qu'on appelait Rodolphe Rassendyll, fut déposé dans le tranquille cimetière de Zenda, près de la tombe d'Herbert le garde forestier.

Nous avions, dès le début, renoncé à rapporter le corps du Roi à Strelsau pour le substituer à celui de M. Ras­sendyll. Les difficultés eussent été presque insurmontables, et au fond du cœur, nous ne désirions pas les vaincre. Rodolphe Rassendyll était mort en roi. En roi, il dormirait son dernier sommeil. En roi, il était étendu dans son palais de Strelsau, pendant que la nouvelle de son assassinat par un complice de Rupert de Hentzau épouvantait le monde. Notre tâche avait été accomplie, mais à quel prix! Beaucoup auraient pu avoir des doutes sur l'homme vivant, personne n'en eut sur le mort. Les soupçons qui auraient peut-être assailli le trône se turent devant la tombe. Le Roi était mort. Qui demanderait si c'était vraiment le Roi qu'on voyait étendu en grande pompe dans le vaste vestibule du Palais, ou si l'humble tombe de Zenda contenait les ossements du dernier Elphsberg mâle.

Murmures et questions se turent dans le silence du tombeau.

Tout le jour, la foule avait défilé dans le grand hall. Là, sur un lit de parade surmonté de la couronne et des plis de la bannière royale, était couché Rodolphe Rassendyll. Les grands officiers de la couronne montaient la garde; dans la Cathédrale, l'archevêque disait la messe pour le repos de son âme. Il était là depuis trois jours; le soir du troisième était venu et, le lendemain matin, il devait être inhumé. Il y a au-dessus du vestibule, une galerie qui permettait de voir d'en haut le lit de parade; j'étais dans cette galerie et, avec moi, la reine Flavie. Nous étions seuls et au-dessous de nous, nous voyions le visage calme du mort. Il était revêtu de l'uniforme blanc dans lequel il avait été couronné; le grand ruban de la Rose Rouge barrait sa poitrine. Dans sa main, il tenait une vraie rose fraîche et parfumée; la reine Flavie l'y avait placée elle-même, afin que, même dans la mort, il ne lui manquât pas le symbole choisi de son amour.

Nous n'avions pas encore échangé une parole. Nous contemplions la pompe qui l'entourait et le flot des spectateurs qui venaient voir son visage ou lui apporter une couronne. Je vis une jeune fille s'agenouiller long­temps au pied du catafalque. Quand elle se releva, elle déposa en sanglotant une petite guirlande de fleurs. C'était Rosa Holf. Je vis des femmes passer en pleurant et des hommes qui se mordaient les lèvres. Rischenheim vint, pâle et troublé.

Et tandis que tous venaient et passaient, le vieux Sapt, immobile, raide et l'épée nue, se tenait debout à la tête du lit, les yeux fixés devant lui, sans jamais changer d'attitude. Un lointain bourdonnement des voix arriva jusqu'à nous. La Reine posa sa main sur mon bras.

« C'est le Rêve, Fritz, dit-elle. Écoutez! Ils parlent du Roi à voix basse et tristement, mais ils l'appellent Roi. C'est ce que j'ai vu dans mon rêve. Mais il n'entend, ni ne voit. Non, pas même quand je l'appelle : Mon Roi! D

Une pensée subite me fit me tourner vers elle et lui demander :

- Qu'avait-il décidé, Madame? Aurait-il été roi?

- Il ne me l'a pas dit, Fritz, et je n'ai pas songé à le lui demander pendant qu'il me parlait.

- De quoi donc parlait-il, Madame?

- Seulement de son amour; de rien autre que de son amour, Fritz.

Sans doute, quand un homme va mourir, l'amour est plus qu'un royaume; peut-être même, si l'on pouvait s'en assurer, est-il plus pour lui, pendant qu'il vit. Elle répéta :

- De rien que de son grand amour pour moi, Fritz. Et mon amour a causé sa mort !

- Il n'aurait pas voulu qu'il en fût autrement, répondis-je.

- Non, D murmura-t-elle et se penchant sur l'appui de la galerie, elle tendit les bras vers lui. Mais il demeurait immobile, sans voir, ni entendre quand elle murmurait : « Mon Roi! Mon Roi! ». C'était bien son rêve!

Le lendemain soir, James prit, congé de son maître mort et de nous. Il portait en Angleterre (de vive voix, car nous n'osions pas l'écrire) la vérité concernant le roi de Ruritanie et M. Rassendyll. Elle serait dite au comte de Burlesdon, le frère de Rodolphe, sous serment de discrétion, et jusqu'à ce jour, le comte est le seul être vivant, excepté nous, qui la connaisse. Sa mission remplie, James revint pour entrer au service de la Reine; il y est encore. Il nous a rapporté qu'après avoir entendu son récit, le comte de Burlesdon était resté longtemps silencieux et qu'enfin il avait dit :

« Rodolphe a bien agi. Quelque jour, j'irai visiter sa tombe. Dites à Sa Majesté qu'il y a encore un Rassendyll, si jamais elle avait besoin de lui. »

L'offre était digne d'un homme du nom que portait Rodolphe, mais j'espère que la Reine n'a besoin d'aucun autre service que de celui qu'il est de notre humble devoir et notre plus grande joie de lui offrir. C'est à nous d'essayer d'alléger le fardeau qu'elle porte et d'adoucir son éternelle douleur. Car elle règne seule maintenant sur la Ruritanie, la dernière de tous les Elphsbergs, et son unique joie est de parler de M. Ras­sendyll avec ceux qui l'ont connu; son seul espoir, d'être réunie à lui quelque jour.

Nous le déposâmes en grande pompe dans la sépulture des rois de Ruritanie, sous les voûtes de la cathédrale de Strelsau. Là, il repose parmi les princes de la maison d'Elphsberg. Si les morts ont conscience de ce qui se passe en ce monde, je crois en vérité que ceux-là doivent être fiers de l'appeler frère. Un majestueux monument a été élevé à sa mémoire et l'on se montre le témoignage de regret inspiré par le roi Rodolphe V. J'y vais souvent et je pense alors à tous les événements qui se passèrent pendant ses deux séjours à Zenda. Je le pleure comme on pleure un chef en qui l'on avait toute confiance, et comme un camarade aimé, et je n'aurais rien plus souhaité que de le servir pendant tout le reste de ma vie. Mais je sers la Reine et c'est bien véritablement servir son bien-aimé.

Le temps apporte à tous des changements. L'emportement de la jeunesse se calme et la vie s'écoule plus paisible dans son cours. Sapt est tout à fait un vieillard maintenant et bientôt, mes fils seront d'âge à servir la reine Flavie. Cependant, le souvenir de Rodolphe Rassendyll est aussi frais pour moi que le jour où il mourut, et la vision de la mort de Rupert de Hentzau passe bien souvent devant mes yeux. Il se peut que, quelque jour, cette histoire soit connue et jugée. Quant à moi, il me semble qu'elle a bien fini. Qu'on ne se méprenne pas sur mes sentiments; mon cœur ne se console pas de l'avoir perdu, mais nous avons sauvé la réputation de la Reine, et pour Rodolphe le coup fatal fut une délivrance. Il lui épargna un choix vraiment trop difficile; d'une part, son honneur courait de grands risques, et, de l'autre, celui de la Reine était menacé. Si cette pensée ne peut diminuer mon chagrin, elle apaise un peu la colère que me causa sa mort. Aujourd'hui encore, j'ignore quel parti il avait choisi et, pourtant, son choix était fait, car sa physionomie calme et sereine l'attestait.

Je viens de penser à lui si longuement que je veux  aller visiter sa tombe et j'emmènerai avec moi mon dernier né, un enfant de dix ans. Il n'est point trop jeune pour aspirer à servir la Reine, ni pour apprendre a aimer et à respecter celui qui dort dans le caveau des rois et qui fut pendant sa vie le plus noble gentilhomme que j'aie jamais connu.

J'emmènerai l'enfant et je lui dirai tout ce que je peux dire du brave roi Rodolphe : comment il combattit et comment il aima! et comment il mit l'honneur de la Reine et le sien au-dessus de tout au monde. L'enfant n'est pas trop jeune pour tirer des enseignements de la vie de M. Rassendyll. Et pendant que nous serons là, debout, je lui traduirai (car le petit coquin préfère, hélas! ses soldats de plomb à sa grammaire latine!) l'inscription que la Reine a tracée de sa propre main sur la tombe où sa vie est ensevelie : « A Rodolphe, qui régna récemment en cette ville et règnera toujours dans le cœur de la reine Flavie. D

 

Je lui ai expliqué ces mots qu'il répétait après moi de sa voix d'enfant. Tout d'abord, il hésita, mais la seconde fois il récita sans se tromper avec un accent de solennité dans sa voix jeune et fraîche :

RUDOLFO
QUI IN HAC CIVITATE NUPER REGNAVIT
IN CORDE IPSIUS IN AETERNUM REGNAT

FLAVIA REGINA

Je sentis sa main- trembler dans la mienne et il dit en levant ses yeux vers les miens :

« Dieu sauve la Reine! père! »

 

 

 

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