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II

La tombe fermée !

 

 

Les heures s'écoulèrent lentes, bien lentes sans doute pour les chasseurs. L'aurore se leva.

A l'horizon, rien ne parut.

Peu à peu pourtant, à mesure que le soleil, se dégageant d'une brume empourprée, montait dans le ciel, trois ombres noires surgissaient vers le nord: c'étaient trois Mozabites. Comme tous les Sahariens, ils portaient le burnous brun et marchaient la face demi-voilée : on eût dit des spectres tranchant, par leur sombre aspect, sur le fond éblouissant du sable jaune, aux reflets d'or.

Ils gagnèrent du terrain, grandirent se dessinèrent plus nettement et arrivèrent enfin.


Comme les chasseurs, ils sondèrent le sol, reconnurent le voisinage du puits, le puits lui-même, mais une immense inquiétude s'était emparée d'eux; ils tremblaient de tous leurs membres; ils étaient pâles sous leur teint de bistre ; l'angoisse les étouffait.

Celui qui semblait dominer les deux autres et dirigeait leurs recherches se plaça sur le puits ensablé, s'orienta avec soin et se mit en marche.

Il fléchissait à chaque pas qu'il comptait et ses compagnons le suivaient haletant.

Tout à coup ils s'arrêtèrent tous trois.

En ce moment, le sable se soulevait légèrement à quelques cent pas d'eux; les deux chasseurs avaient dégagé leurs têtes, qui toutefois dépassaient à peine le sol; leurs cheveux ensablés ne permettaient point qu'on les distinguât.

Les deux chasseurs, par un mouvement des paupières, dégagèrent la poussière dont leurs yeux étaient couverts, et ils regardèrent dans la direction des Mozabites.

Ceux-ci avaient tiré de dessous leurs burnous des pioches arabes et des pelles, instruments légers à manche court; ils s'étaient mis à creuser avec une sorte de frénésie.

Leur travail dura longtemps.

Ils ouvrirent une sorte de tranchée au fond de laquelle ils s'enfonçaient à mesure que le travail avançait.

Tout à coup l'un d'eux poussa un cri, se baissa précipitamment et ramassa une poignée d'or.

Lui et ses deux compagnons, brisés par l'émotion, furent un moment paralysés, stupides, sans volonté et sans force; puis soudain se jetant sur leurs outils, ils déblayèrent le sable avec rage.

Ils mettaient à jour une couche de lingots, de pierres précieuses, de bijoux, de pièces de monnaie et, enfonçant leurs outils, dans ces richesses amoncelées, ils n'en trouvaient pas le fond.

Il y avait là des millions, des millions et encore des millions! ....

Cependant, au loin, paraissait une caravane ; les chasseurs la virent et se levèrent brusquement.

Pour eux, l'approche de cette troupe était inattendue.

- Une caravane ! dit l'un à voix basse et avec un froncement de sourcils.

- Il faut en finir avant qu'elle puisse distinguer ce que nous faisons. Elle est encore bien loin!

- Eh bien! soit. Finissons‑en.

- Pas une minute à perdre, alors!

- Pas de coup de feu pourtant.

- Que faire?


- Viens!

Ils rampèrent vers la tranchée, qui avait environ déjà trois mètres de profondeur, et quand ils furent près du bord, brusquement ils sautèrent sur les Mozabites, comme deux tigres eussent bondi sur des proies.

Les Mozabites éblouis, fascinés, n'avaient rien entendu; ils étaient courbés sur le trésor, le fouillant avec passion, avec folie.

Les chasseurs, le poignard en main, surprirent ces trois hommes, qu'un coup de foudre n'eût pas frappés plus vite ; en un instant, il y eut trois blessés se débattant sur les diamants, les perles et les douos, qu'ils baignaient de leur sang.

Cette pourpre liquide tachant ces amoncellements de richesses produisait un effet bizarre, qui eût donné froid au coeur à des hommes qui n'eussent pas été de bronze.

Les deux chasseurs, sans se soucier d'achever ces malheureux, remontèrent les talus de la tranchée en s'emparant des pelles et se hâtèrent de la combler.

Les blessés râlaient, se débattant, se cramponnant au talus, retombant, se relevant, hurlant ; mais ils perdaient tant de sang par de si profondes blessures, qu'ils ne purent lutter longtemps contre la mort atroce dont ils étaient menacés.

Après avoir longtemps piétiné sur les brillants, l'argent et l'or qui rendaient des sons singuliers sous leurs coups de talons désespérés, les misérables faiblirent, se couchèrent aveuglés par la pluie de sable qui tombait du haut du trou et ils moururent étouffés.

Atroce supplice!

De la joie délirante passer à ce trépas, c'est le comble de l'horreur.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

La caravane était encore à deux lieues quand le trou fut comblé; le sable est si facile à remuer!

Une heure plus tard, l'avant-garde des voyageurs arrivait au puits que les chasseurs avait eu le temps de déblayer; ils pensaient bien qu'on les avait vus occupés à remuer le terrain; ils donnaient ainsi le change aux nouveaux venus, dont ils ne redoutaient pas l'approche, le secret étant caché ; avec leur coup d'oeil sûr, ils avaient reconnu une caravane de commerçants paisibles.

L'avant-garde, dépêchée par la caravane, se composait de trois cavaliers.

- Tiens, c'est Bel-Kassem et ses fils! dit un des chasseurs à l'aspect des Arabes.

- Tant mieux, fit l'autre.

Bel-Kassem sourit en reconnaissant les Français, et leur cria:


Salut sur vous, tueurs de lions!

Salut sur toi, cheik. (chef) ! répondirent-ils.

Qu'Allah. soit loué, continua le cheik, de vous avoir placés sur ma route!

- Nous sommes enchantés de voir Bel-Kassem, dirent ensemble les chasseurs.

Et l'un d'eux:

- Mais pourquoi, diable! viens-tu à ce puits perdu qui ne mène à rien? Ce n'est pas un chemin de caravane que tu suis!

- Non, mais vous allez me comprendre.

Et descendant de cheval, il jeta les rênes à ses fils et dit aux chasseurs

- J'attends ici deux autres caravanes; l'une a été retardée et ne viendra que dans deux mois; nous allons à Tombouctou, un long voyage. Attendre dix mois dans une oasis où l'on paye le droit de séjour, c'est perdre beaucoup d'argent : je connaissais ce puits et j'y amène ma caravane. Ici pas d'impôt à payer. J'enverrai en ravitaillement mes chameaux quand les vivres manqueront, et j'aurai économisé bien des douros.

Toujours sage et bien avisé ! fit le chasseur.

Et il continua:

- Nous autres, nous partons!

- Quoi, déjà!

- Oui, nous sommes pressés.

Je le regrette.

Adieu, Bel-Kassem.

Au revoir; le Prophète vous protège.

Et les chasseurs s'éloignèrent, forcés d'abandonner ce trésor enfoui sous le bivac de cette caravane, qui ne se douta jamais qu'elle foulait une fortune immense.

A une lieue du puits l'un des chasseurs dit à l'autre

- Deux mois ! je crois que j'ai bien fait de partir!

- C'est vrai, dit l'autre; nous aviserons à organiser notre bande pour revenir à ce trésor et l'enlever d'un seul coup.

- Et après?...

- Après, à nous le monde...

Ils disaient cela avec un calme inouï; pas de trace de regret ou d'espérance sur le visage, pas d'émotion au cœur, pas de trouble dans l'âme.

On eut dit que ces deux hommes avaient été taillés dans du granit.

- Et maintenant, reprit le plus jeune, nous allons bien employer ces deux mois; nous allons partir pour la France et y enlever ma sœur.

« Demain nous serons, à la tombée du soir près du campement de notre ami Itarousen ; de tous les chefs touareggs, c'est lui qui possède


les meilleurs chameaux coureurs ; nous lui en emprunterons deux et nous gagnerons la ville française d'Ouargla en trois jours. De là, nous atteindrons Alger à cheval.

« Et nous nous embarquerons pour Marseille. J'ai hâte, de revoir les tourelles de mon château. Depuis bientôt six mois que j'ai vingt et un ans, je songe à demander des comptes à certain drôle et à faire sortir ma sœur du couvent où elle est élevée. Je lui chercherai ensuite un mari.

- Il est trouvé.

-Qui est-ce?

- Moi, si elle veut bien m'aimer. Je suppose que tu consentirais à m'accepter comme beau-frère.

- La comtesse de Lavery épousant le prince Nadief ! Beau mariage dit le jeune comte.

Puis souriant à l'avenir:

- En route ! dit-il.

Ils se remirent en marche, silencieux et rêvant tous deux à la France.

Telle fut la préface du drame que nous allons raconter, drame dont les premières scènes se déroulèrent en France, quelques mois plus tard, au milieu des circonstances les plus bizarres ; mais avant de le décrire, nous devons révèler <sic.> les scènes mystérieuses et terribles qui l'ont précédé dans ce fameux château de Lavery, vers lequel se dirigeaient à travers le désert et la mer les deux aventuriers que nous abandonnons dans les sables, pour les retrouver bientôt.

 

Si vous désirez lire les chapitres suivants, écrivez moi, j'ajouterai progressivement a suite.

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