CHAPITRE IV

 

CHARLES ET HELENE

 

 

 

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L'Amérique s'est transformée avec une telle rapidité, qu'on trouve aujourd'hui des palais et des villes dans les lieux où l'on ne voyait, il y a cinquante ans, que des cabanes sauvages. Les forêts vierges ont disparu, leurs hôtes timides ont fui, les sentiers mystérieux n'ont plus d’ombre; on voit à leur place des villas luxueuses, des jardins, des serres, des volières, des oiseaux apprivoisés, des singes savants; le rail-way a tué le sentier; des domestiques en livrée prennent le thé en disant des insolences sur leurs maîtres, là où la squaw indienne était l'esclave du guerrier son seigneur et tyran.

Dans une de ces somptueuses demeures, vivait la famille Saint-Clair, une des plus riches qui habitassent les environs de Saint-Louis,

Un jeune homme de vingt-quatre ans, seul héritier de ce nom, Charles Saint‑Clair, demeurant avec sa mère, était possesseur de ce beau domaine. Ses goûts aristocratiques étaient dignes de sa grande fortune ; chaque année il dépensait des sommes considérables à l'agrandissement de ses propriétés.

Son grand‑père Marius Saint‑Clair, Français d'origine, avait fait partie de la grande compagnie de la Baie d'Hudson formée pour le commerce des fourrures; il y avait réalisé des bénéfices énormes. Ainsi que la plupart de ses associés il avait épousé une fille des Dacotahs, tribu considérable qui s'intitulait Ochente Shacoan (nation du conseil aux sept feux), et que les trafiquants désignaient sous le nom de Sioux.

Marius Saint‑Clair, une fois riche, décida sa femme à abandonner les forêts; et vint à Saint-Louis pour y faire donner à son fils unique une éducation soignée.

Peu de temps après ce retour à la vie civilisée, le père et la mère moururent. L'orphelin resta encore deux ans au collège ; à peine en fut-il sorti qu'il rencontra dans le monde une charmante jeune Française, fille d'un noble émigré, dont les grâces ingénues étaient accompagnées de vertu solide.

Georges Saint‑Clair devint éperdument amoureux d'elle et, quoiqu'elle fût presque sans fortune, il l’épousa. Cette union, amenée par des circonstances tout à fait fortuites, fut plus heureuse que ne le sont d'ordinaire les mariages d'inclination ; les deux jeunes époux se créèrent un vrai paradis terrestre, où bientôt la naissance d'un petit ange vint compléter leur bonheur.

Quelques années s'écoulèrent ainsi, rapides comme le sont les années heureuses ; tout souriait au couple fortuné, la vie n'avait pour eux que des roses, le ciel et la terre , que des sourires.

Une nuit, l'ange noir de la mort s’abattit sur cette maison fortunée ; en se réveillant la jeune femme trouva son mari glacé à côté d'elle ; il avait été foudroyé par une congestion cérébrale. Restée seule avec son petit Charles, madame Saint-Clair se résigna noblement au veuvage, quoique jeune, jolie, et adorée de tout ce qui l'entourait. Tout en continuant les traditions hospitalières et somptueuses de sa maison, elle sut éviter les écueils redoutables à sa position, et garder intact le patrimoine d’honneur qu'elle réservait à son fils.

Après avoir été un gracieux baby, Charles devint un beau jeune homme, plein de grâce et de distinction, Dans son teint chaud et coloré, sa chevelure noire et soyeuse, ses yeux d'aigle, sa démarche souple et libre, on retrouvait un reflet charmant de son origine indienne ; dans sa voix douce et vibrante, dans ses mains et ses pieds finement aristocratiques, dans son esprit fin et intelligent, on reconnaissait sa filiation française.

Il était d'ailleurs parfaitement élevé, gentleman dans toute l'acception du mot ; hardi cavalier, beau danseur, adroit à tous les exercices du corps, il possédait en outres une instruction aussi solide que variée.

Il avait une délicatesse de sentiments, très rare chez les jeunes gens de son age surtout en la délicate matière d'amour. Pour lui, cette passion était une chose sacrée et sérieuse ; les femmes, à ses yeux, étaient des anges ;  une promesse d'amour lui semblait plus inviolable qu'un serment,

Charles Saint‑Clair était amoureux; mieux que cela, il était fiancé.

Un soir, sa mère qui l'attendait sur son balcon tout enguirlandé de fleurs, le vit arriver de la ville au grand galop. Au pied du perron, il sauta impatiemment à terre, laissa tomber la bride de son cheval aux mains du domestique qui l'attendait, et monta l'escalier sans avoir dit un mot.

En entendant ses pieds frapper, sur leur passage, les moelleux tapis, sa mère reconnut bien vite qu'il était fortement ému.

Quand il ouvrit la porte du salon, madame Saint‑Clair était assise près de la fenêtre sur un petit canapé en velours cramoisi ; le jeune homme s'arrêta un moment pour adresser usa sourire à sa mère, un rayon de soleil entre deux nuages. Plus d'un peintre aurait ambitionné de reproduire ce charmant tableau d'intérieur ; la belle patricienne, toujours jeune et belle, demi-noyée dans les fleurs et la verdure, disputant sans peina le prix de la grâce et de la beauté à deux exquises statues antiques placées sur le balcon derrière elle; l'appartement riche en couleurs, doré par les plus chauds reflets du soleil couchant; et debout, au milieu de cette auréole lumineuse, le jeune homme redressant fièrement sa tête expressives, sa taille souple et élégante.

Après avoir réfléchi quelques instants, Charles ne trouva rien de mieux que ce mot, toujours le premier quand le cœur parle :

‑ Mère !

Elle tressaillit, laissa tomber son livre et appuya une main sur son cœur.

‑ Qu'y a-t-il, mon enfant  ?

‑ pouvez‑vous m'entendre ? Ne vous ai-je pas dérangée !

‑ Nullement ! j'étais plongée dans la lecture… un peu dans les nuages... je vous remercie de me ramener à la réalité.

Le jeune homme ramassa, le volume, et sans y penser, regarda le titre : c'était un ouvrage médical traitant des maladies de cœur.

‑ Mon Dieu ! ma mère ! que lisez‑vous là ?

‑ Oh ! rien, je ne sais... cela m'est tombé sous la main. Mais qu'avez-vous, Charles, vos yeux sont animés !

‑ Vous trouvez, mère ? il y a de quoi., je viens vous annoncer que je ne me marierai jamais avec Hélène Worthington.

‑ Enfant ! encore quelque querelle d'amour ?

‑ Non! non ! ce n'est pas ce que vous pensez, Hélène n'a pas de cœur, je ne veux plus penser à elle.

- Hélène, sans cœur ! cher enfant, vous la traitez bien sévèrement, il me semble.

‑ Je la traite comme elle le mérite, mère. Nos mutuels engagements sont pour elle comme une toile d'araignée qu'elle balaie d'un revers de main. Il n'y a pas une heure que je l'ai vue dans la plus populeuse rue de Saint-Louis, suspendue au bras de ce misérable avorton, le jeune Houston.

‑ Oh ! ce n'est pas possible ! elle n'est pas capable d'une telle inconvenance.

‑ Il y a mieux encore ! elle se balançait amoureusement à son bras, vous dis-je, en chuchotant. ‑ Oui mère, ‑ en chuchotant intimement à son oreille.

Madame Saint‑Clair parut surprise ; mais elle était trop sage et trop réservée pour s'abandonner à une impression prématurée. Après un moment de réflexion, elle dit à son fils avec une grande douceur:

‑ Hélène est peut-être étourdie, mon fils ; mais c'est une imperfection de jeunesse, elle n'a que seize ans. Je suis convaincue qu'elle vous aime.

‑ Elle aime la fortune et la position que nous pouvons lui donner.

‑ Je vous trouve sévère, Charles.

‑ Moi, sévère? Une femme ne doit pas se jouer de l'amour d'un homme.

‑ C'est vrai, cher; mais l'étourderie.…

‑ Que répondrez‑vous si je vous apprends que, plusieurs fois déjà je lui ai fait des observations à ce sujet.

‑ Peut-être n'y avez‑vous pas mis assez de ménagements ; on est quelquefois impérieux sans s'en apercevoir,

‑Vous êtes bonne, trop bonne, ma mère. Ce que vous me dites là me consolerait si je n'avais pas la certitude qu'Hélène cherche, de parti pris, à me décourager..., si je n'avais pas vu clairement qu'elle se jette au bras de cet individu pour m'éloigner.

- En est‑il bien réellement ainsi, Charles ?

- Je ne me permettrais pas d'altérer la vérité,

«  Miss Worthington, » annonça un valet de chambre.

Dans l'ardeur de la conversation, la mère ni le fils n'avaient entendu approcher le domestique; tous deux tressaillirent lorsqu'il annonça précisément la personne dont ils parlaient.

‑ Faites entrer, dit madame Saint‑Clair en se redressant, et appuyant de nouveau la main sur son côté.

Le valet de chambre se retira; aussitôt on entendit une petite voix douce accompagnée du froufrou de la mousseline, qui s'écriait de l'escalier:

‑ Où êtes‑vous, ma belle maman, est‑ce là ? Oh ! Charles, je n'espérais pas vous trouver ici, ajouta une belle jeune fille aux cheveux d'or en tournant vers lui ses yeux bleu sombre; attendez un moment, que j'embrasse votre mère.

Elle se jeta folâtrement à genoux devant madame Saint-Clair, la prit dans ses bras, et présenta ses lèvres roses pour recevoir un baiser que lui donna gravement son amie.

‑ Et maintenant... continua-t-elle en se relevant et tendant à Charles sa petite main dégantée, toute tiède de sa prison parfumée...; comment, vous ne me touchez pas la main ?

Et elle la releva pour lisser les nattes de sa coiffure :

‑ . .. Elle n'est pas un papillon pour se poser deux fois au même endroit; n'y pensons plus.

Puis, avec un insouciant mouvement de tête, elle tira vers elle un coussin et s'assit aux pieds de madame Saint‑Clair.

‑ Oh ! ma douce maman aux yeux noirs, combien le temps me durait de vous voir ! murmura-t-elle d'une voix caressante.

‑ J’y suis toujours pour vous, Hélène, répondit froidement madame Saint‑Clair.

‑ Mais j'ai eu tant à faire ! Charles, vous avez l'air fâché ? que signifie tout ceci ?

Elle lui tendit de nouveau la main en lui adressant un adorable regard dont l'inquiétude se déguisait mal sous ses longs cils. Peu d'hommes auraient pu tenir rigueur à cette aimable et gracieuse enfant.

Farouche et obstiné comme un amoureux, Charles ne répondit pas.

‑ soyez gentil, Charles. Je songe maintenant que je ne vous avais pas vu depuis trois grands jours. Comment pouvez‑vous me traiter ainsi ?  insista‑t‑elle quelque peu émue de cette froideur persistante.

- J'ai passé fort près de vous dans la rue, il n'y a pas une heure, répondit Charles gravement.

La jeune fille rougit.

‑ Vraiment? je ne vous ai pas vu.

‑ C'est exact ; vous étiez trop occupée.

‑ Où étais‑je... oh ! cher, oui, je m’en souviens; je causais avec M. Houston; il me parlait de:.. .

En rencontrant les grands yeux noirs de Charles qui semblaient la sonder jusqu'au fond de l'âme, elle s'arrêta et une vive rougeur couvrit son visage, de la racine des cheveux jusqu'à ses blanches épaules.

‑ Hélène, comment pouvez‑vous fréquenter un aussi méchant homme ?

Le ton sérieux avec lequel Charles fit cette question annonçait clairement qu'il n’entendait pas raillerie sur ce point ; mais Hélène, au lieu de la vraie sagesse, écoutait plutôt ses instincts de coquetterie et de malice.

- Un méchant homme? parmi toutes mes connaissances, vous êtes le seul qui ne rendiez pas justice à ce gentleman.

‑ Vous ne pouvez juger un semblable personnage, une jeune fille telle que vous ne peut comprendre cela..

‑ Mais il est reçu partout.

‑ Excepté chez moi ; et j'ai de bonnes raisons pour cela,

‑ Charles, je vois ce que c'est : vous êtes jaloux.

Sur ce propos, l'étourdie frappa l'une contre l'autre ses mains comme un enfant, et avec un éclat de rire cacha sa tête dans le sein de madame Saint-Clair.

‑ Non, Hélène, répondit le jeune homme, je ne suis point jaloux; ce ne serait pas le sentiment d'un homme honorable,

‑ Alors, soyez donc généreux, laissez ce pauvre garçon pour ce qu'il vaut.

‑ Hélène, écoutez‑moi,

‑ Je vous écoute, mais soyez bref : je crains singulièrement les gronderies.

‑ C'est une question sérieuse entre nous, et qui peut mener jusqu'à une rupture.

La jeune fille devint pourpre d'émotion, elle se leva les yeux étincelants,

‑ Eh bien ! sir, que désirez‑vous de moi?

‑ Je vous prie de n'avoir plus aucune espèce de rapport avec le jeune Houston.

- En vérité !

La voix d'Hélène prenait une intonation railleuse, mal déguisée.

‑ Je désire que vous ne lui parliez plus, que vous ne vous promeniez plus avec lui.

‑ ... Et que je me fasse ermite ou religieuse ! lequel préférez‑vous ?

‑ Ni l'un ni l'autre. Vous savez que j'aime la société, et je me plais à vous dire que vous en êtes le plus gracieux ornement. Consentez donc librement, franchement à ce que je vous demande, et tout sera dit. Vous voyez ces salons; que de fois vous y êtes-vous rencontrée avec l'élite de la gentry. Une fois marié, mes goûts ne changeront pas. Mais je ne voudrais pas qu'un homme dont j'ai mauvaise opinion devint le familier de ma femme et mon hôte malgré moi ; ceci, je vous l'affirme:

‑ Vraiment ! vous commencez un peu vite à exercer votre censure sur moi et sur mes amis ?

Il y eût dans la voix d'Hélène quelque chose qui choqua le jeune homme.

‑ La femme que j'épouse ne doit pas même être soupçonnée d'avoir besoin d’un censeur, répondit-il sèchement.

‑ Soupçonnée ! sir ! soupçonnée !

‑ Comprenez‑moi bien. Dieu me préserve de vous inculper en rien, je suis sûr, au contraire, que c’est votre innocente candeur qui vous fait effleurer l'ombre du mal.

‑ Le mal ! ah sir !

Elle se redressa sur ses petits pieds, et lui fit face comme une belle furie. La tempête de colère qui la bouleversait lui fit oublier toute retenue, toute dissimulation ; en cet instant elle aurait mis en lambeaux l’œuvre de toute sa vie, tant elle était outrée des vérités sévères qu'elle entendait... vérités bien différentes des paroles mielleuses du perfide Houston.

‑ Vous vous méprenez sur mes paroles, dit Charles peiné et surpris; permettez-moi donc de m'expliquer entièrement. Ce Houston ne saurait être un cavalier convenable pour aucune femme, encore moins pour celle qui doit devenir la maîtresse de céans. Vous êtes jeune, vous ignorez ce qu'on dit partout de cet homme ; s’il en était autrement, vous ne persisteriez pas dans cette imprudence qui détruira votre bonheur et le mien.

La jeune fille devenait pâle de colère comprimée, tout en continuant de sourire.

‑ Je vous prie, Charles, de réserver ces sermons jusqu'à ce que vous ayez le droit de me les imposer.

‑ Ce droit je ne l'aurai jamais, Hélène.

Charles prononça ces mots d'une voix triste mais ferme.

‑ Dois-je comprendre que nos engagements sont rompus ?

Les lèvres d'Hélène étaient blêmes et tremblantes ; Charles était très pâle et glacé.

‑ J'aimerais mieux cela, dit-il, que de voir mon nom déshonoré. ‑ Ma mère ! ma mère ! ne nous quittez pas !

Madame Saint-Clair paraissait bouleversée; un voile étrange obscurcissait ses yeux ; cette scène l'accablait. Elle implora son fils du regard.

‑ Je reviendrai à l'instant même, dit-elle, l’air de cette pièce est étouffé. Ne soyez pas trop rude, mon enfant,..  et vous, Hélène, rappelez-vous que je vous aimais bien.

La jeune fille se tourna vers elle d'un air agressif, ses lèvres, pincées, furent sur le point de lancer quelque réponse cruelle; mais elle se contînt, et madame Saint-Clair sortit du salon.

Charles, ému des recommandations de sa mère, la suivit des yeux avec tendresse, puis, revenant doucement à sa fiancée :

‑ Hélène, chère Hélène, lui dit-il, je ne suis pas méchant. Vous savez combien je vous aimais : vos désirs auraient toujours été des ordres pour moi; mais je ne puis oublier le respect que je me dois à moi-même.

‑ Ni moi non plus.

‑ Hélène, je vous en conjure, écoutez-moi.

‑ Je vous écoute, sir.

Ses petits pieds trépignant sur le tapis, ses mains crispées, ses lèvres pincées et sa respiration entrecoupée témoignaient visiblement des dispositions dans lesquelles elle écoutait.

‑ Evitez cet homme, renvoyez-le hors de votre société, pour l'amour de moi, pour l'amour de ma noble mère, si délicate, si honorable, et qui mourrait si elle voyait passer sur notre maison seulement un souffle de honte.

Très bien, sir, je n'oublie point votre mère. Elle était présente à mes pensées avant que nous fussions fiancée.

- Très bien !

‑  Non! non pas « très bien ! » de quoi m'accusez-vous ?

‑  Mais, je ne vous accuse pas, je vous demande une grâce. Rompez d'aussi dangereuses relations.

‑  Et si je ne donnais pas satisfaction à votre jalouse prétention?

Il resta quelques secondes en silence, la regardant affectueusement avec ses grands yeux de velours sombre qui auraient été jusqu'à l'âme de toute autre femme. Enfin il répondit d'une voix brisée

‑ Nous nous dirions adieu, Hélène.

‑ Eh ! bien soit ! dit-elle, la rage dans le cœur et perdant toute retenue.

.... Hélène, je vous supplie, soyez bonne pour ma mère; elle vous aime comme une fille. Voyez, la voici qui revient,

‑ Votre mère ! s'écria en ricanant la jolie mégère, qu'est-ce qu'elle est auprès d'Hélène Worthington...? la mère d'un « sang mêlé !», d’un indien !!!

Madame Saint6Clair entendit cette amère parole; elle s'arrêta sur le seuil et d'une main se retint à la porte comme si elle eût été frappée au cœur.

La jeune fille se tourna vers elle et lui fit face insolemment. Mais à l'aspect de ce visage plus pâle que celui d'une morte, elle sentit sa fureur réduite au silence, et descendant vivement l'escalier, elle quitta la maison en courant, éperdue, irritée contre elle-même et contre tout le monde.

Madame Saint-Clair était restée immobile, pouvant à peine se soutenir; Charles la vit chanceler, et courut à elle en s'écriant ;

‑ Mère ! chère mère !!

Elle s'affaissa sur le tapis, au moment où son fils la retenait entre ses bras, et reposait sa tête vacillante sur sa poitrine.

‑ Ma mère !

Cet appel filial ne reçut pas de réponse : les yeux de la pauvre femme restaient fermés, une teinte bleuâtre noircit ses lèvres. Pendant la scène qui venait d'avoir lieu, elle avait senti son cœur gémir dans sa poitrine ; à la dernière insulte que la jeune insensée lui avait jetée à la face, son cœur s'était brisé en une palpitation cruelle et suprême: madame Saint-Clair était morte.

Un long et sauvage délire s'empara du jeune homme, à la suite de cette affreuse catastrophe. Pendant plusieurs mois il fut entre la vie et la mort. Mais à l'âge où il était, la vie a de si profondes et si vivaces racines !   Charles Saint-Clair revint peu à peu des portes du tombeau; sa santé se raffermit, son esprit retrouva son énergie première. Aux grâces juvéniles, à la fleur de l'adolescence succédèrent la mâle beauté que donne la douleur et la maturité précoce qui transforme l'enfant en homme.

Rentré, à la longue, en possession de cette sérénité triste, douce, qui est la convalescence des grands chagrins, Charles Saint-Clair trouva bien indigne de lui ce monde civilisé qui n'avait pu lui fournir que traîtrise et déception. La maison maternelle vide et solitaire, était pour lui un lieu sombre et désolé; l'aspect de tous ceux qui formaient jadis sa société lui était insupportable.

Un jour, on vit Charles Saint-Clair revêtu du costume du désert, la carabine de son aïeul sur l'épaule, quitter les terres civilisées et marcher vers le lointain Ouest.

Le sang indien s'était réveillé dans ses veines, Charles allait s'asseoir aux wigwams des Dacotahs ses ancêtres.

 

 

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