DEUXIEME PARTIE

 

LES AMOURS DE Mlle ALDEE

 

 

 

 

IX. Où Fortune conçoit la première idée de son plan.

X. Où Fortune attend la veuve en jouant avec les orphelins.

XI. Où Fortune soupe avec feu l'inspecteur Bertrand.

XII. Où Fortune et maître Bertrand tiennent conseil.

 

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Où Fortune conçoit la première idée de son plan.

 

Si l'étoile de Fortune avait eu quelquefois des torts, il faut bien avouer qu'elle les réparait amplement à cette heure, car Mme La Pistole était une véritable trouvaille.

- Quoique je n'aie jamais souhaité, dit notre cavalier d'un air modeste, faire avec votre personne le troc de ma tournure et de ma figure, je ne suis pas fâché de posséder pour quelque temps cet anneau des contes de ma Mère l'Oie qui rend les chevaliers invisibles. C'est la meilleure armure que puisse revêtir un homme isolé comme je le suis au milieu de tant d'ennemis. Où trouverai-je ton mari, ma toute belle ?

- A son ancien logis, répondit Zerline ; mais il ne faut pas faire grand fond sur le pauvre homme, car il est resté bien frappé de sa dernière aventure. Il s'est terré comme un lapin et nourrit la pensée de se faire chartreux pour éviter les dangers qui parsèment les sentiers de la vie mondaine... Ne riez pas, cavalier, vous gênez mon travail. Écoutez plutôt, car j'ai encore quelques petites choses à vous apprendre.

Elle avait pris dans un des tiroirs de la toilette trois ou quatre godets, et mélangeait prestement des couleurs sur une petite plaque de porcelaine.

Fortune poussa un gros soupir, parce que les premiers coups de pinceau lui avaient gâté le visage qu'il aimait le mieux au monde : le sien.

Cela ne l'empêchait pas d'adorer Muguette et d'être brave garçon, mais la goutte de sang de Richelieu qu'il avait dans les veines lui donnait pour un peu cette robuste fatuité qui remplaçait le génie chez le neveu de l'illustre cardinal.

- Ce n'est que l'ébauche, disait cependant Zerline ; quand nous allons fondre les nuances vous paraîtrez moins laid que cela. Vous serez content, monseigneur, et j'espère que, si vous avez jamais besoin d'un semblable coup demain, vous m'accorderez votre pratique. A nos affaires ; on parle presque autant du Richelieu que de vous à l'Arsenal, à cause de son traité avec l'Espagne que vous avez eu la bonté d'apporter dans votre fameux bâton, et qui nous le livrera pieds et poings liés un jour ou l'autre. C'est une conquête de premier ordre, qui fera entrer dans notre forêt les trois quarts et demi des femmes de Paris.

« Depuis sa sortie de la Bastille, M. le duc a déjà fait des siennes et l'on prétend que le régent l'a surpris en un lieu où ils ne devaient se trouver ni l'un ni l'autre. Le régent aurait, dit-on, tiré l'épée, et Mlle de Valois, cette douce fille d'un si respectable père, l'aurait assis sur le plancher, à l'aide d'un croc-en-jambe, pour donner à M. de Richelieu le temps de sauter par une fenêtre. Tournez-vous un peu qu'on accommode la joue gauche. Vous jugez qu'après de pareils scandales, il est bien temps de mettre M. le régent dans une maison de correction.

- Et le Richelieu ? s'écria Fortune.

- C'est bien différent ! Il est avec nous, on lui tressera des couronnes. Ce qu'il vous importe de savoir, c'est que, hier, chez Cadillac, il y a eu confirmation de certain pari entre lui et M. de Gacé. Vous savez ce dont je veux parler, car vous avez pâli. Dans trois jours aura lieu le petit souper où M. le duc a promis de montrer à ses amis, assises toutes deux à la même table, l'une à droite de lui, l'autre à gauche, la belle Thérèse Badin et la belle Aldée de Bourbon.

- En voilà assez ! dit Fortune en sautant sur ses pieds. Tu ne sais quel deuil se cache sous toutes ces folies, ma fille, et je n'ai pas le cœur de te l'expliquer. Lequel de ces uniformes me prêtes-tu ?

- Celui qui siéra le mieux à votre taille, cavalier. Choisissez, et quand vous serez assez couvert pour que la décence me permette de vous revoir, je donnerai la dernière main à votre toilette.

Elle l'enferma dans la seconde chambre, où étaient pendus ces costumes d'exempts qui semblaient en vérité trop nombreux pour n'avoir point d'autre destination que le théâtre.

Deux minutes après, Fortune reparut, déguisé de la tête aux pieds.

- Depuis que dame Thémis met des faux poids dans sa balance, s'écria Zerline, on n'aura jamais vu un si joli suppôt que vous, cavalier ! Laissez-moi aplatir encore cette mèche... Au chapeau maintenant ! Et le baiser promis, s'il vous plaît, mais vous ne le direz pas à ce pauvre La Pistole.

Fortune l'embrassa d'un air distrait, jeta un dernier regard au miroir et s'élança vers la porte.

Où allez-vous ? demanda Zerline.

- Je veux être roué vif en place de Grève, répliqua Fortune, si j'en sais rien... Je vais me faire tuer s'il le faut mais il n'y a pas une idée qui vaille dans ma pauvre cervelle.

Il descendait déjà l'escalier quatre à quatre.

Zerline lui cria d'en haut.

- La petite maison que Chizac-le-Riche a louée à M. le duc est au coin de la rue d'Anjou et du chemin de la Ville-l'Évêque. Bonne chance, cavalier, et au revoir !

Une fois dans la rue, Fortune se mit à courir. Il essayait de réfléchir et ne pouvait pas. Les différents devoirs dont il s'était chargé revenaient tous ensemble dans son esprit et y produisaient une confusion inexprimable.

Il longea le bord de l'eau en directe ligne, depuis le mail d'Henri IV jusqu'aux abords du Châtelet, où il s'arrêta une minute pour voir la foule de curieux stationnant devant le caveau des Montres.

Fortune poursuivit sa route et remonta la rue Saint-Denis par la fantaisie qu'il avait de revoir un peu le théâtre de sa principale aventure dans la rue des Cinq-Diamants, Il y avait aussi des curieux établis en permanence entre le cabaret des Trois-Singes et la porte du trou habité naguère par Guillaume Badin. Fortune reconnut du premier coup d’œil quelques-uns de ceux qui avaient assisté à la visite judiciaire.

En moins d'un quart d'heure, il eut arpenté la grande rue Saint-Honoré, et deux heures après midi sonnaient au couvent de la Madeleine quand il s'arrêta, baigné de sueur, au coin de la rue d'Anjou et du chemin de la Ville-l'Évêque.

En arrivant, Fortune se crut devant la grille du banqueroutier Basfroid de Montmaur, tant la petite maison affermée par M, le duc à Chizac-le-Riche avait un entourage semblable à celle de l'ancien banquier des pauvres.

Entre les arbres, çà et là, on voyait quelques bancs de bois.

Fortune s'assit sur l'un de ces bancs, à proximité de la grille.

Son estomac le tiraillait terriblement et il s'accusait en lui-même de n'avoir point mis à contribution le garde manger de l'Arsenal.

Mais à l’œuvre on devient artisan, et notre cavalier, sans s'en douter, faisait le dur apprentissage du métier de diplomate. Il songeait si laborieusement que les plaintes de son estomac avaient tort.

Dans sa cervelle, violemment sollicitée, un embryon de plan naissait, bien confus encore et bien vague, mais qui promettait d'embrasser l'ensemble des affaires que Fortune s'était mises sur le dos.

Les calculateurs novices voient ainsi au premier abord la lumière se produire, mais cela ne dure pas, et bientôt la nuit revient plus profonde.

Ainsi en fut-il pour Fortune qui, au bout de dix minutes, se frappa le front en se disant avec détresse :

.- Je n'y vois plus, corbac ! et j'en perdrai la tête !

Mais le germe de ces pensées reste dans l'esprit et parfois, plus tard, il fructifie. Le plus sage est de ne pas s'acharner dans le premier moment.

Fortune fut distrait par l'arrivée d'un carrosse qui était à quatre chevaux et abondamment doré. Le carrosse s'arrêta devant la grille.

Fortune en vit descendre un vieillard lourd et cassé qu'il ne reconnut point au premier, aspect.

Cependant, quand le vieillard passa non loin de lui pour aborder la grille, Fortune se demanda :

- Est-ce que ce ne serait point Chizac-le-Riche ?

Le vieillard fut introduit et la grille se referma.

Presque aussitôt après la grille se rouvrit pour donner passage à deux grisettes, lestes et pimpantes, qui avaient le panier au coude et qui mirent avec résolution leurs petits pieds, cambrés hardiment, dans la boue du chemin de la Ville-l’Evêque.

Elles rirent comme deux folles; ces deux grisettes, et Fortune en était à s'étonner que M. le duc, entouré de tant de grandes dames, descendît à de pareilles amours, lorsque du fond de la rue d'Anjou apparurent deux nobles carrosses que surmontaient les monumentales perruques de deux magnifiques cochers.

Les deux grisettes se donnèrent la main en riant toujours ; l'une sauta dans le carrosse de droite et l'autre dans le carrosse de gauche, et Fortune entendit des voix argentines qui sortaient des portières, disant :

- Hôtel de Condé !

- Palais-Royal !

Un autre carrosse arrivait par le chemin de la Ville-l'Évêque, blasonné abondamment, vaste comme une arche, et traîné par quatre chevaux hauts sur jambes.

Fortune avait déjà vu la dame entre deux âges qui montrait à la portière sa figure, restaurée comme un tableau. Zerline elle-même n'aurait pu produire un plus parfait chef-d’œuvre de rentoilage.

- Mme la maréchale ! dit le laquais qui vint sonner à la grille.

Mais le concierge répondit :

- Monsieur le duc subit son exil en son château de Saint-Germain-en-Laye. Et l'énorme carrosse s'éloigna tristement.

Il en vint d'autres, des vieux et des jeunes, qui tous furent éconduits par le portier, plus inflexible que Cerbère.

Une couple d'heures se passa. L'estomac de Fortune arrivait au dernier degré de la détresse; mais son plan marchait et se débrouillait peu à peu.

Au moment où la chapelle de Ville-l'Évêque sonnait quatre heures, la grille s'ouvrit une dernière fois, et Chizac-le-Riche, car c'était bien Chizac, vieilli de dix années et trois jours, passa le seuil, précédant un jeune homme de taille charmante mais un peu efféminée, qui marchait appuyé sur une longue canne, dont la pomme d'or était rehaussée de trois rangs de diamants.

Toute l'âme de Fortune était dans ses yeux.

I1 n'avait jamais vu M. le duc de Richelieu depuis ces jours lointains où on le fouettait, lui, Fortune, quand M. le duc avait fait le méchant.

Pourtant il le reconnut d'un coup d'œil, à cause de ce vieux seigneur dont la physionomie restait dans sa mémoire, pour les quelques baisers qu'il se souvenait d'avoir reçus.

- La mule du pape ! pensa-t-il, toutes ces femmes folles n'ont pas si méchant goût que je le croyais, et ce serait dommage d'écraser cette folle tête entre deux pierres !

 

 

Où Fortune attend la veuve en jouant avec les orphelins.

 

Fortune se disait en les regardant du coin de l'œil :

- Le Chizac est encore plus défait que je ne croyais. Quant à M. mon frère, je suis fort satisfait de l'avoir vu. Corbac ! il est flatteur pour moi de ressembler à un duc si propre, si blanc et si bien frisé, et je lui pardonnerais toutes choses en souvenir du vieux seigneur, s'il m'avait pas jeté un sort à notre belle Aldée.

Il se prit à écouter attentivement, parce que M. de Richelieu parlait, arrêté non loin de la grille.

- Il n'y a qu'une des deux bergères qui m'inquiète, disait-il; l'autre viendra dès qu'on lui fera signe.

- Monsieur le duc, répliqua Chizac, dont le tic allait à toute volée, n'a jamais trouvé de cruelles. L'amour lui a prêté son carquois.

La bouche rose de Richelieu eut un léger bâillement.

- je tiens à gagner cette gageure, reprit-il, c'est une fantaisie, et, quoique Mme de Gacé soit déjà de l'histoire ancienne, il me plaît de piquer son mari à cause du coup d'épée et de la Bastille. Si le logis dont vous me parlez est situé comme vous le dites, on pourra s'en servir.

Monsieur le duc eut un langoureux sourire qui le fit plus joli que la plus jolie des femmes.

- Je connais les murs mitoyens, murmura-t-il. Vous avez, je le pense, entendu raconter l'anecdote du placard où Mlle de Valois mettait ses confitures.

Chizac s'inclina jusqu'à terre.

- Il n'y avait rien de si curieux dans les contes de Boccace, répliqua-t-il : un dieu dans une armoire !

Richelieu se reprit à marcher, disant du bout des lèvres :

- J'aurais donné trois princesses pour que tout Paris pût voir la drôle de figure que fit, un soir, Monsieur le régent devant cette armoire aux confitures.

Puis, changeant de ton, il ajouta :

- Mon cher M. Chizac, vous ne pouvez avoir besoin de mon crédit, puisque votre caisse contient ce qu'il faut pour acheter tous les ministres du roi, avec ses Parlements par-dessus le marché, au comptant, argent sur table.

Chizac lança tout autour de lui son regard anxieux et répondit à voix basse :

- Je gagne sans cesse, je gagne, je gagne ! Je gagne là où les autres se ruinent ! Je récolte des monceaux d'or ! Cela m'a suscité bien des ennemis, monsieur le duc; et cette chance extraordinaire me fait peur.

Ils étaient tout près du banc, mais un gros arbre les séparait de Fortune, qui avait fermé les yeux et feignait de dormir.

- Auriez-vous réellement besoin de moi ? demanda le duc en riant et en s'arrêtant de nouveau.

- Du tout, point, balbutia Chizac, qui détourna les yeux, je suis guidé uniquement par la passion de me rendre agréable à un homme tel que vous, monsieur le duc.

Un instant Richelieu le regarda de son haut, plié en deux qu'il était et tremblotant comme un fiévreux.

- Le fait est, dit-il, que vous ne portez pas très bien vos millions, ami Chizac; Il faut vous soigner, mon cher ; voulez-vous mon médecin ?... En attendant, j'accepte votre offre ; nous percerons le mur mitoyen et, à l'occasion, vous pourrez compter sur mes services.

Le duc fit un pas vers son carrosse et aperçut Fortune.

Il en fut de même de Chizac, qui passait de l'autre côté de l'arbre et qui, en reconnaissant le costume d'un exempt, faillit tomber à la renverse.

- Ne craignez rien, mon bon, dit Richelieu.

Il s'approcha de Fortune et le prit par l'oreille.

- N'est-ce pas, mon drôle, demanda-t-il gaiement, que tu es ici pour moi.

- Oui, monsieur le duc, répondit Fortune, en jouant l'homme qui s'éveille.

Richelieu glissa ses doigts effilés dans la poche de sa veste.

- Tu auras beau te frotter les yeux, mon drôle, reprit-il, tu étais éveillé comme une souris. Ceux de ton espèce ne dorment jamais, et tu as entendu parfaitement ce que je disais à monsieur mon ami.

- Oui, monsieur le duc, répliqua Fortune.

- Eh bien ! va le répéter à Dubois, poursuivit M. de Richelieu, et ajoute, si tu veux, que je le tiens pour le plus honteux coquin qui ait jamais marché sur le tapis d'une antichambre. Voici pour ta peine.

Sa fine main sortit de sa poche et jeta deux doubles louis dans le giron de Fortune.

- Merci, monsieur le duc, dit celui-ci.

- Le pauvre diable, continua Richelieu en marchant vers les carrosses, ne s'intéresse guère à ces galantes aventures. Il eût préféré au mur mitoyen la moindre bribe d'entretien ayant trait aux mauvaises plaisanteries de l'Arsenal. Ce gredin de Dubois est juste l’homme qu'il faut pour lutter contre Mme la duchesse du Maine.

Il leva sa canne, et aussitôt le carrosse sans armoiries s'ébranla pour venir à lui.

- A vous revoir, Chizac, dit-il avec un geste de congé d'une impertinence achevée, je n'ai plus que deux fois vingt-quatre heures pour gagner mon pari. Que le nécessaire soit fait dès ce soir dans votre maison de la cour de Guéménée.

Il tourna le dos pendant que Chizac se confondait en révérences derrière lui, et monta dans son carrosse en disant au cocher :

- A Saint-Germain-en-Laye ! et vois à ne pas faire attendre ces dames.

- La mule du pape ! pensa Fortune émerveillé, encore des dames ! II fait un métier de cheval de fiacre, ce duc qui ressemble à un petit Jésus en cire ! C'est égal, je suis du moins bien sûr qu'il ne recommencera pas les hostilités ce soir.

Le carrosse de M. de Richelieu partit au galop dans la direction du Roule.

Aussitôt qu'il eut disparu au tournant des Saussaies, Chizac revint vers Fortune, après avoir appelé, lui aussi, son carrosse qui se mit en branle.

- Mon fils, dit-il en mettant un bon de caisse de cinq cents livres dans la main du prétendu exempt, vous avez une figure honnête... et il me semble que j'ai dû vous rencontrer quelque part.

- Rue des Cinq-Diamants, répondit Fortune du ton le plus naturel. J'étais avec M. Touchenot, le commissaire, quand on a levé le corps de Guillaume Badin.

Les joues tombantes de Chizac ne pouvaient pas devenir plus blêmes, mais son tic travaillait d'une effrayante façon.

- Mon meilleur ami, murmura-t-il, mon pauvre voisin ! Sa fille a trouvé en moi un père, et personne ne saura jamais comme je chérissais tendrement ce brave Guillaume ! Mon fils, vous m'avez bien entendu le dire à monsieur le duc, qui a un grand fonds d'estime pour moi : ma richesse m'a fait bien des ennemis... des ennemis cruels... Dans votre métier, on est à même de savoir beaucoup de choses; s'il vous arrivait d'apprendre que je sois menacé par les méchants, venez me trouver; vous me plaisez, et il ne m'en coûte rien de faire la fortune d'un homme.

Il mit un pied sur la marche de son carrosse.

- Grand merci, dit Fortune qui empocha les cinq cents livres. Je n'ai jamais cru tout le mal qui se raconte de vous, monsieur Chizac.

Le Riche resta immobile comme une statue.

- De moi ? répéta-t-il. On dit du mal de moi ?

- On dit, poursuivit Fortune, que le pauvre Guillaume avait une veine qui vous rendait bien jaloux.

- Il ne possédait pas la moitié d'un million, murmura Chizac en chancelant, et moi, je ne sais pas le nombre de mes millions !

Fortune s'approcha de lui comme pour le soutenir et lui dit à l'oreille :

- On dit que vous aviez gardé une double clé de la cave !

Chizac se retourna comme si un serpent l'eût mordu. Toute sa physionomie s'était transformée instantanément et il avait un regard terrible.

Fortune acheva paisiblement :

- On dit cela, mais moi je n'y crois pas et si je surprends quelques propos que vous ayez intérêt à connaître, j'irai vous les porter, mon bon maître.

La lourde paupière du riche se baissa.

- Demain, murmura-t-il, de bonne heure... je suis toujours levé de bon matin... venez demain. Je donne des milliers de louis comme les autres jettent une pièce de six blancs à un pauvre.

« Rue de la Monnaie ! cria-t-il au cocher.

Il referma la portière de son carrosse et partit.

Fortune resta un instant immobile à la même place.

- Le pauvre diable est plus malheureux que les pavés de la rue ! se dit-il après un instant de réflexion. II sèche sur pied, son sang tourne, et chaque mot qu'il dit est un pas fait vers la potence. Et pourtant, il y a là-dedans bien des choses que je ne comprends pas. Est-ce un fou ? est-ce un tigre ? En tout cas, je sais où il va et c'est aussi mon chemin : marchons.

Il descendit la rue d'Anjou comme avait fait le carrosse et tourna à gauche dans le faubourg Saint-Honoré.

- Est-ce de l'argent qu'on aurait, se demanda-t-il tout en marchant d'un bon pas, beaucoup d'argent, si on allait le voir demain matin, de bonne heure ? ou bien solderait-il notre compte à l'aide d'une petite blessure bien étroite comme celles qui étaient à la poitrine de Guillaume Badin et à la poitrine de maître Bertrand ? Par la corbleu ! si j'avais eu tentation d'abandonner la vengeance de ma belle Thérèse et de le laisser tranquille, j'en serais bien empêché, puisqu'il se mêle de mes propres affaires…

« ... Dans sa rage d'acquérir des protecteurs, il donne au Richelieu les moyens de gagner sa diabolique gageure ; on va faire le siège de cette pauvre maison, là-bas, où il y a une folle, une mourante et une enfant, comme s'il s'agissait d'une forteresse. Halte-là, Corbac ! nous nous jetterons dans là place et, à tout le moins, il y aura bataille !

A mesure qu'il songeait ainsi, sa marche redoublait de vitesse, en passant devant les vitres des traiteurs il détournait les yeux.

Il commençait à faire sombre quand Fortune tourna l'angle de la grande rue Saint-Honoré pour prendre la rue de la Monnaie.

Du premier coup d’œil, il reconnut le beau carrosse de Chizac-le-Riche, arrêté devant une porte bâtarde.

Il entra sans hésiter, monta un escalier fort étroit mais fort propre, et frappa à la porte du premier étage, derrière laquelle on entendait des cris d'enfants, et tous les bruits que font les jeux du premier âge.

Une servante affairée vint ouvrir aussitôt, disant à la cantonade :

- Jean, tenez-vous tranquille ! Pierre, soyez sage ! Marguerite, si vous criez vous aurez le fouet !

- Monsieur, demanda-t-elle pendant que les bambins endiablés la houspillaient par derrière, qu'est-ce qu'il y a pour votre service ?

- Je voudrais parler à Mme veuve Bertrand, répondit Fortune.

- Mme veuve Bertrand ? répéta la servante en isolant chaque mot. De la part de qui, s'il vous plaît ?

- De la part de messieurs du Bailliage, dit Fortune.

La servante hésita.

Et une demi-douzaine de démons qui s'agitaient derrière elle, tous vêtus de deuil mais joyeux à faire trembler, profitèrent de ce moment pour faire un infernal tapage.

- Alexandre, voulez-vous bien finir ! Julienne, je vais aller chercher la verge ! François, n'avez-vous pas honte ?

Mais Julienne, François, Alexandre, ainsi que Jean, ainsi que Pierre et Marguerite, poussaient de véritables hurlements en secouant leurs cheveux blonds bouclés et, en regardant l'étranger avec leurs grands yeux espiègles.

- Pauvre jeune famille ! murmura notre cavalier attendri.

- Ah ! oui, monsieur, répliqua la servante. Ah ! certes, voilà un triste événement, pas vrai ? Et il y en à encore dans l'autre chambre. C'était un si bon mariage ! Jour de Dieu ! taisez-vous, marmaille ou je vais me fâcher à la fin !

- Fâche-toi, Prudence, fâche-toi ! crièrent en chœur les six marmots, accompagnant ce défi de leurs rires provocants.

- Il y a donc, reprit Prudence, que dame Bertrand est occupée avec un monsieur. Si vous vouliez revenir...

- J'aime mieux attendre, interrompit, Fortune, qui prit Alexandre d'une main, Pierre de l'autre, et les assit commodément sur ses deux bras.

- Et moi ! et moi ! et moi ! glapirent aussitôt le restant des petites filles et le surplus des petits garçons.

Fortune avisa un grand fauteuil qui était dans un coin, tout à l'autre bout de la chambre, et alla s'y plonger sans quitter son double fardeau.

II étendit ses deux jambes en disant :

- Allons, Jean ! allons Julienne, Marguerite et François, nous aurons de la place pour tout le monde !

Il fut aussitôt envahi de la tête aux pieds par la petit famille en deuil dont la joie atteignait au délire.

- En voilà un qui est gentil ! disaient tous les enfants la fois ; ce n'est pas comme le vieux qui est avec maman qui a l'air d'un croquemitaine.

Prudence les regarda un instant, puis elle dit :

- Ma foi, monsieur l'exempt, c'est vrai que vous avez l'air d'un bon enfant. Et vous comprenez bien qu'il faut faire du fricot pour donner à brouter à tant de petit monde. Puisqu'ils restent tranquilles avec vous, si vous vouliez les garder seulement un petit peu, j'irais faire un tour à la cuisine.

Depuis son entrée, Fortune sentait une odeur de rôti qui gonflait ses narines gourmandes.

- Allez à la cuisine, ma bonne fille, et ne vous inquiétez point des petits. Je ne sais pourquoi ni comment, mais partout où il y a des marmots on me fait la fête.

- C'est une preuve que vous êtes du bon monde déclara gravement la servante, les mioches, ça ne trompe jamais.

Dès qu'elle fut partie, on commença un jeu de main chaude qui poussa l'allégresse générale à son plus haut paroxysme.

Au beau milieu de l'émeute enfantine, Fortune demanda tout à coup :

- Alors, bambins, mes petits anges, vous ne regrettez pas du tout votre papa ?

Les enfants cessèrent aussitôt de jouer et se regardèrent les uns les autres.

Dans le silence qui suivit, on put entendre la voix de Chizac-le-Riche disant dans la chambre voisine :

- Malgré la différence de nos positions, maître Bertrand était un de mes plus chers amis. Je prends sa famille sous ma protection, et vous pouvez compter sur moi, madame, vos enfants ne manqueront jamais de rien.

Alexandre, l'aîné de la bande, avait eu le temps de la réflexion. Il fixa ses yeux bleus effrontés sur Fortune et lui demanda brusquement :

- Pourquoi nous parles-tu de mon papa, toi ?

Les autres étaient déjà en train de gambader par la chambre, faisant ruisseler leurs cheveux blonds sur le deuil de leurs habits.

Fortune n'eut pas même la peine de répondre, car Alexandre lui dit :

- Jouons plutôt au cheval fondu !

Et le flot des enfants rieurs, se précipitant sur lui, le submergea des pieds à  la tête.

 

 

Où Fortune soupe avec feu l'inspecteur Bertrand.

 

La porte intérieure s'ouvrit et Chizac-le-Riche parut, reconduit par une belle petite femme grasse et blonde dont le frais visage portait le grand deuil de veuve, mais qui respirait la plus complète sérénité.

- Cachez-moi, dit Fortune aux bambins.

Il le couvrirent aussitôt, laissant passer seulement les cornes de son chapeau et la pointe de ses bottes.

- Est-ce parce qu'il a des œufs sous les yeux que tu as peur ? demanda Alexandre.

- Non, répondit Marguerite, c'est parce qu'il a une ficelle en dedans qui remue sa bouche comme celle de Polichinelle.

Derrière la petite femme blonde et prospère, venaient les deux aînés de la famille, M. Charles et Mlle Joséphine, qui allaient gravement et avaient l'importance des personnes de douze à quatorze ans.

Chizac dit, en voyant le monceau d'enfants sous lequel il ne devinait point Fortune :

- Dieu bénit les grandes familles, ma bonne dame. Ce pauvre Bertrand s'était fait bien des ennemis par l'adresse qu'il déployait dans son état, et l'audace des malfaiteurs augmente en même temps que leur nombre. Combien avez-vous de chers petits ?

- Dix ! répondit Mme Bertrand, en comptant la dernière, qui est en nourrice.

- C'est vrai, c'est vrai, murmura Chizac; ce pauvre excellent ami me l'avait dit la dernière fois que nous avons déjeuné ensemble... car il venait déjeuner chez moi bien souvent.

Il mit la main à sa poche et en retira ce portefeuille gonflé que nous vîmes pour la première fois au cabaret des Trois-Singes.

- Dix mille livres ! ce n'est pas assez pour tant de petit monde, reprit-il avec un accent de bonté qui aurait dû soulever un concert de bénédictions.

- Merci ! prononça la petite femme blonde presque sèchement en recevant un second bon de caisse de 20 000 livres.

Il n'y avait pas dans son accent le moindre atome de reconnaissance.

- Quand Chizac voulut embrasser Mme Bertrand pour opérer sa sortie, elle se recula, et c'est à peine si M. Charles se laissa caresser le menton.

- Je reviendrai, dit cependant Chizac-le-Riche, et toute cette chère couvée aura du pain sur la planche avant qu'il soit peu.

Prudence, la servante, lui ouvrit la porte de l'escalier et la ferma sur lui sans dire gare.

Dès qu'il fut parti, Mme Bertrand demanda :

- Soupe-t-on ?

Cette jeune et jolie veuve, mère d'un si grand nombre d'orphelins, ne paraissait point, en vérité, mourir de mélancolie.

Prudence répondit en parcourant des yeux la chambre :

- Il y en a un autre... Où donc a passé celui qui avait un habit d'exempt ?

Alors ce fur un grand brouhaha de cris et de rires. La montagne d'enfants trembla sur sa base et se déchira, laissant à découvert notre cavalier qui secouait son jabot et défripait ses manchettes.

En même temps un aboiement sonore, partant du fond de la maison, répondit au tapage des enfants, et le beau chien Faraud, entrant comme un tourbillon, passa par-dessus la tête des deux plus petits pour mettre ses deux pattes sur les épaules de Fortune.

- Tiens, tiens, dit Prudence, la bête le connaît !

Et les enfants de crier en chœur :

- Petite mère, celui-là est un bon, il sait jouer au cheval fondu.

- Vous avez à me parler, Monsieur ! demanda la veuve, qui glissait dans sa bourse les deux bons de caisse apportés par Chizac.

Faraud, qui venait de quitter Fortune après lui avoir fait politesse, bondit vers Mme Bertrand et flaira la bourse avidement, tandis que Prudence disait tout bas à sa maîtresse :

- Il vient de la part de messieurs du Bailliage.

- Mettez toujours le couvert, répondit la petite veuve; messieurs du Bailliage ne me doivent rien et je ne leur dois pas grand-chose. Entrez, mon maître.

Elle fit passer Fortune devant le troupeau des enfants, qui se précipita en tumulte vers l'intérieur de la maison, où bientôt on les entendit rire et jouer à triple carillon.

Fortune était seul avec la petite veuve dans une chambre meublée très proprement et même avec une sorte de luxe bourgeois.

L'odeur de la cuisine arrivait là, si vive et si appétissante, que Fortune passa sa langue sur ses lèvres.

- Que veulent messieurs du Bailliage ? demanda Mme Bertrand, après avoir offert un siège à notre cavalier.

- La peste ! répondit celui-ci, vous avez l'air de savoir ce que parler veut dire, ma commère, et c'est tant mieux pour vous puisque vous êtes chargée d'une si nombreuse famille. Avec une vache à lait comme ce Chizac, vous n'aurez pas besoin de chercher un autre époux. Ne froncez point le sourcil. Dieu me préserve de vous souhaiter du mal. Je suis déjà l'ami de tous vos chérubins, et il n'y a qu'une chose qui me chiffonne, c'est que maître Bertrand, l'inspecteur, était un brave homme en définitive, et que vous menez son deuil par trop gaiement à la maison.

La petite femme rougit un peu et répondit en baissant son regard sournois :

- Est-ce là ce que messieurs du Baillage vous ont chargé de me dire ?

- Messieurs du Bailliage, répondit Fortune, m'ont donné mission de venir ici pour avoir tous les détails sur la mésaventure du malheureux inspecteur...

- Je ne sais rien, voulut interrompre Mme Bertrand.

- Prenez garde, dit Fortune en essayant au hasard un peu de sévérité. On se doutait bien là-bas que vous aviez quelques raisons de ne point parler, car on m'a donné l'ordre d'insister et de vous faire sentir le danger qu'il y a pour vous à garder le silence.

Mme Bertrand se mordit les lèvres et Fortune n'aurait point su dire, en vérité, si elle était déconcertée jusqu'au malaise ou si elle avait tout uniment la bonne envie de lui rire au nez.

- Est-ce qu'on me soupçonnerait ? murmura-t-elle d'un accent équivoque.

- Je ne dis pas cela, répliqua Fortune, mais il y a .un mystère en tout ceci, bonne dame, et il est impossible que vous n'ayez point essayé d'en avoir le cœur net.

- Je ne sais rien, répliqua la veuve.

Elle ajouta presque aussitôt après :

- Les enfants sont habitués à prendre leur repas à heure fixe, mon maître.

- C'est-à-dire que vous ne demanderiez pas mieux que de me voir les talons ? s'écria notre cavalier. Moi, je ne demande pas mieux que de vous laisser tranquille, car l’odeur de votre rôti me met en goût et il me tarde d'être à la gargote. Mais le devoir avant tout, ma commère. Je vous appelle ainsi parce que vous êtes une veuve du métier... quoique j'aie idée qu'on vous verra rouler carrosse quelque jour, si le Chizac vient seulement vous voir une ou deux fois toutes les semaines..

Mme Bertrand mit le point sur la hanche, comme pour faire une verte réplique; mais elle ne parla point.

- En un mot comme en mille, reprit Fortune; quand on a porté un mort à la Montre du Châtelet, où vingt personnes ont pu le voir sur la table de marbre, et quand ce mort a disparu comme si le diable l'avait emporté, c'est bien le moins que messieurs du Bailliage aient le droit d'interroger la veuve de ce mort et de lui demander si par hasard, elle ne saurait point le secret du diable.

Il y avait sur le minois grassouillet de la veuve, sitôt consolée, une expression d'impatient dépit, mais elle se borna à répondre pour la troisième fois :

- Je ne sais rien.

- Moi, je sais tout ! dit Fortune, qui se leva en prenant un air terrible.

La petite veuve mit son mouchoir sur sa bouche, peut-être pour cacher son effroi. Mais en ce moment la porte du fond s'ouvrit et Prudence dit :

- La soupe est servie.

Elle laissa grande ouverte, en se retirant, la porte qui donna issue au tapage plus joyeux des enfants, aux aboiements de Faraud et à une voix d'homme dont les mâles accents ne parvenaient point à dominer ce tumulte.

Fortune écouta cette voix et regarda Mme Bertrand avec stupéfaction.

Mme Bertrand mordillait son mouchoir, et, en vérité, les yeux de cette mère de famille étaient aussi espiègles que ceux de ses enfants.

- Qui donc est cet exempt, Julie ? demanda la voix mâle dans un instant d'accalmie.

La veuve qui avait ce petit nom : Julie, répondit :

- Je croyais connaître tous les exempts du Bailliage...

- Je suis de la Prévôté, s'empressa de dire Fortune.

- Et aussi de la Prévôté, continua Mme Bertrand; mais celui-ci est peut-être un nouveau.

La voix mâle ordonna :

- Range-toi, Joséphine ; mets-toi de côté, Charles, que je voie la figure de cet olibrius !

- Corbac ! pensa notre cavalier, c'est sa voix, ou que le diable m'emporte ! Est-ce qu'il va falloir en découdre ? Il serait plutôt temps de souper.

Il regardait de tous ses yeux par la porte ouverte qui lui montrait le potage fumant sur une table entourée d'une multitude de couverts; mais la voix partait d'une chambre qui était de l'autre côté de la salle à manger et qui n'avait point de lumière.

L'inquiétude de Fortune fut mise à fin par un large éclat de rire qui partit de la chambre noire.

- Eh ! mais, s'écria la voix mâle, c'est le pauvre garçon qui s'est endormi dans le trou de Guillaume Badin ! Comment s'appelait-il donc ? le cavalier Fortune, je crois ! C'est lui qui m'a ouvert la porte du caveau de la Montre. Femme, invite-le à manger la soupe; il est des amis de Thérèse Badin.

Mme Bertrand, redevenue la plus gracieuse des bourgeoises, tendit aussitôt sa blanche main à notre cavalier, qui resta muet de stupeur.

- Allons, dit-elle en l'entraînant vers la table, à la soupe !

Par l'autre porte entrait maître Bertrand, qui tenait deux marmots sur chaque bras et un cinquième commodément assis à califourchon sur sa nuque.

- La mule du pape ! gronda Fortune, ce n'est pas que je n'eusse un petit peu d'idée de tout cela, mais je ne voulais pas y croire ! Vous n'étiez donc pas assassiné, maître Bertrand ?

- Si fait bien, répondit l'inspecteur, mais nous allons parler affaire quand les petits seront couchés.

Les petits repartirent à l'unanimité en s'éparpillant autour de la table.

- Nous ne nous coucherons pas ! Celui-là joue trop bien au cheval fondu ! Après souper nous sauterons sur son dos, et toi, mon papa, tu sauteras par-dessus tout le monde.

Feu l'inspecteur Bertrand, ressuscité, ne sembla point repousser très loin ce terrible programme.

- Vous voyez, cavalier, dit-il en prenant place au centre de la table, j'ai des beaux enfants et une jolie petite femme, bien capable de m'en faire d'autres.

- Bertrand ! voulut interrompre Julie en rougissant.

- Madame, dit Fortune en s'inclinant, j'ai ouï parler d'un ancien roi de Champagne, nommé Priam, autant que je m'en souvienne, à qui sa femme avait donné cinquante fils et cinquante filles.

- C'est vrai que ce Priam était de Troie, répliqua l'inspecteur en riant ; mais nous nous contenterons à moins, et voici ce que je voulais dire : Sers la soupe, Julie ! Je voulais dire que, n'ayant point de rentes ni d'héritage, j'ai dû m'ingénier pour tenir tout cela frais et propre et gras aussi; mon métier d'inspecteur me donnait, juste ce qu'il fallait pour nourrir ma maisonnée avec du pain sec ; ma foi ! personne n'aimait cela ici, ni les grands; ni les petits... Avez-vous faim, cavalier ?

- Une faim de loup ! maître Bertrand.

- Tout est au mieux, vous verrez que nous avons bonne table. Pour mettre du beurre dans mes épinard, j'ai ajouté deux ou trois cordes à mon arc, en tout bien tout honneur, et je ne donnerais pas mes émoluments pour ceux d'un président à mortier, cavalier Fortune. Comment trouvez-vous mon potage ?

- Maître Bertrand, je le trouve par délices !

- Vous êtes un homme de bon goût. Et, d'ailleurs, vous avez joué avec les petits ; vous m'allez ! Voyez comme cette marmaille se tient droite à table ; ils ont la religion du déjeuner, du dîner et du souper. La mère les a dressés à cela. Le reste du temps ils sont les maîtres.

Par le fait, toute la couvée, depuis Mlle Joséphine et M. Charles jusqu'à Pierre et Julienne, les deux bébés, gardait une tenue irréprochable et dévorait avec un grave appétit.

- Julie, demanda tout à coup maître Bertrand, combien ce bon M. Chizac t'a-t-il donné, ce soir ?

- Deux billets de caisse de dix mille livres chacun, répondit Mme Bertrand.

L'inspecteur cligna de l'œil à l'adresse de Fortune.

- J'ai fait d'assez jolies affaires en ma vie, dit-il, mais jamais une seule de cette taille-là. Il y en aura pour tout le monde. Appelle Faraud, Julie.

Mme Bertrand, qui étai l'obéissance même, appela Faraud sans demander d'explication.

Le chien se mit aussitôt à flairer la poche où elle avait serré sa bourse. En flairant il donnait comme un limier au bois.

- Connaissez-vous cela, cavalier ? demanda l'inspecteur.

- Oui, répondit Fortune, je connais cela.

- C'est curieux, dit maître Bertrand, et ce La Pistole est un drôle de corps. Nous en reparlerons après le repas... Prudence, ma fille, va nous chercher à la cave, dans le coin de droite, un flacon de bon vieux vin de Bourgogne que m'envoie le faussaire. Ne te trompe pas ! il est auprès du pommard qui nous vient du banqueroutier.

Fortune, à qui on venait de servir une tranche de rôti merveilleusement rissolée, lâcha tout à coup sa fourchette et son couteau et se mit à se frotter les mains la bouche pleine :

- Le cavalier trouve notre filet de bœuf cuit à point ? dit madame Bertrand flattée.

- Chez vous, répondit Fortune, je trouve tout charmant, tout exquis, tout admirable : mais ce n'est pas cela, par la corbleu ! qui cause ma meilleure jubilation, quoique je fusse à jeun depuis hier soir. Ce qui me fait rire, ce qui me donne envie de chanter à pleine voix comme si j'étais au lutrin, c'est l'idée que nous sommes au bout de nos peines ! Puisque vous voilà vivant et en pleine santé, maître Bertrand, nous tenons bel et bien le Chizac !...

L'inspecteur, était en train de déboucher avec un soin minutieux le bourgogne du faussaire.

Il hocha la tête gravement.

- Cavalier, répondit-il, on ne tient jamais les gens qui ont des millions. Les millions sont sorciers. Les millions sont sacrés. Soupons tranquillement, je vous l'ai dit : après le repas, nous parlerons affaires.

 

 

Où Fortune et maître Bertrand tiennent conseil.

 

Fortune et maître Bertrand, après avoir soupé d'excellent appétit, prenaient leur café en tête-à-tête dans un cabinet de travail fort proprement meublé, qui était à l'usage particulier de l'inspecteur.

Entre eux, le chien Faraud, accroupi, tendait son museau pensif et semblait écouter la conversation qui ne laissait pas que d'avoir un certain intérêt.

- Il y a des choses qui nous sautent aux yeux; à nous autres, disait maître Bertrand en retournant sa cuiller dans sa tasse ; au bout de cinq minutes, je savais que vois étiez entré dans le cellier par hasard... ou plutôt je m'étais mis en tête que c'était Chizac qui vous y avait poussé.

- Vous connaissiez donc bien à fond votre Chizac ? demanda Fortune.

- Non, pas beaucoup ; je savais seulement que c'était un assez brave homme, faible et mou de caractère, qui était parti de rien pour gagner une immense fortune...

« Entendons-nous ! interrompit ici maître Bertrand. Je ne suis pas de ceux qui disent : Aux innocents les mains pleines ! Neuf fois sur dix, une grande fortune conquise prouve le talent ou à tout le moins, la vaillance ; mais une fois sur dix le hasard fait des siennes et donne le gros lot au premier venu. Alors, il faut se méfier de ce premier venu, parce que tout le monde ne sait pas porter la richesse.

- Vous le croiriez fou ? s'écria Fortune.

- Non pas comme vous le comprenez, répondit l'inspecteur. Si vous lui demandiez un conseil pour tenter le hasard, rue Quincampoix, et qu'il voulût bien le donner, vous seriez sûr de rentrer chez vous les poches pleines. Il fait ses affaires admirablement, et depuis deux jours que je le suis comme son ombre, il a remué des montagnes pour les entasser entre lui et la justice, qui ne songe guère à l'attaquer. Mais il y a Colette Besançon...

- Colette Besançon ? répéta Fortune.

Maître Bertrand humait le fond sucré de sa tasse en amateur.

- Colette Besançon, reprit-il, était une ancienne jolie fille qui demeurait ici près, rue de l'Arbre-Sec, et qui gagnait sa vie à tirer les cartes. Voilà six mois, pour le moins, que Chizac-le-Riche n'a pas manqué un seul jour de faire visite à Colette Besançon.

- Les avis sont partagés, dit Fortune avec une certaine gravité, j'ai connu des personnes respectables qui croyaient à la bonne aventure. Il y a quelque chose au fond de tout cela.

- Certes, certes, répondit l'inspecteur, et telle sotte créature, comme Colette Besançon, est capable de tuer bien des honnêtes gens en sa vie.

Le regard de Fortune interrogea. Maître Bertrand lui versa un verre de genièvre hollandais et poursuivit :

- C'est Colette Besançon qui a passé l'épée de Chizac au travers du corps de Guillaume Badin.

- Corbac ! s'écria Fortune, quelle virago !

- Sans sortir de chez elle, reprit maître Bertrand, et sans seulement lever le doigt. je n'ai jamais tant travaillé que depuis ma mort, et je puis bien vous dire que je connais maintenant l'histoire sur le pouce. Les créatures comme Colette Besançon guettent la pensée des niais qui les consultent, et dès qu'elles ont découvert un dada, elles le caressent. Il y avait déjà quatre ou cinq jours que Chizac s'inquiétait d'une veine réellement extraordinaire poursuivie par Guillaume Badin. Les parvenus de l'espèce de Chizac sont jaloux jusqu'à la maladie, et il se trouvait par malheur que les habitués des Trois-Singes, soit malice ou sottise, disaient du matin au soir : « Maître Guillaume deviendra plus riche que Chizac ! » Le jour qui précéda cette nuit où vous avez dormi dans le lit du pauvre Guillaume, Chizac s'était fait tirer les cartes pour savoir si maître Badin deviendrait plus riche que lui.

- Et les cartes de la Besançon avaient dit oui ? demanda Fortune.

- Les cartes de la Besançon avaient dit : « Si Chizac ne défend pas ses millions, ils passeront dans la poche de Guillaume. »

- Ah ! fit notre cavalier, qui écoutait ces choses avec un vif intérêt. Chizac a cru défendre ses millions ! Et vous êtes un rude gaillard, maître Bertrand ! Tout ce que vous dites là doit être vrai comme Évangile. je les ai vus en face l'un de l'autre au cabaret des Trois-Singes, Chizac-le-Riche et Guillaume Badin. Chaque fois que Guillaume gagnait, le tic du riche démanchait son visage comme. si on lui eût arraché des dents. je vois ce qui en est : il sera entré dans le cellier de Guillaume Badin en sortant du cabaret.

- Non pas, interrompit maître Bertrand; cet homme-là est mou comme une poire blette et il n'a pas pour six blancs de méchanceté. Il a fallu l'insomnie, la fièvre, le transport, pour lui mettre l'épée à la main. Il est rentré chez lui tout uniment, j'en suis sûr, il a essayé de dormir, et la prédiction de la Colette lui est revenue, montrant ses millions, ses chers millions, qui fuyaient hors de sa caisse comme un ruisseau pour couler dans le taudis de Guillaume. Il a suivi ses millions, entendez-vous, comme un misérable fou qu'il était, et comme un misérable fou il a tué Guillaume pour défendre ses millions !

- Un fou se serait laissé prendre, dit Fortune.

- Ah ! voilà ! s'écria Bertrand. Je vous dis que j'ai travaillé cette histoire-là comme une bijouterie. Je l'ai brodée, je l'ai fouillée. Chizac-le-Riche s'est éveillé après le meurtre ; il a eu horreur et peur, puis il a fait appel à tout ce qu'il y a eu en lui de sang-froid et de courage pour juger sa position.

« Il s'est dit : Ma position est bonne, je n'ai qu'à enlever l'argent de Badin et à laisser la porte entrouverte, on accusera les voleurs et personne n'aura la pensée qu'un homme tel que moi ait pu commettre une action pareille. C'était sage, il n'y avait rien autre à faire, et s'il s'en était tenu là, tout était dit. Mais il y a une chose qui perdra éternellement les coupables, c'est le besoin d'éloigner les soupçons. Après avoir été sage pendant une heure, pendant deux heures, le besoin d'éloigner les soupçons s'empara de Chizac qui fut pris d'une autre fièvre et redevint fou. Impossible de rester tranquille ! Vous les tueriez sur place plutôt que de les empêcher d'amonceler les preuves de leur innocence.

« On ne soupçonne pas les gens qui se mettent en avant. Chizac se mit en avant d'autant que la bonne chance lui restait fidèle et qu'un malheureux homme, pris de vin, s'était introduit à l'aveugle dans le cellier où gisait le cadavre. C'était là un coup de partie pour Chizac, mais il avait compté sans un honnête garçon du nom de Bertrand, qui n'était pas là pour le roi de Prusse, et dont le métier est de déchiffrer les physionomies.

- Corbleu ! interrompit Fortune, je vivrais cent ans, que je me souviendrais toujours du plaisir que vous m'avez donné en dégainant mon épée pour montrer que la lame n'avait jamais servi !

- Mon camarade, répondit maître Bertrand, je n'avais pas encore l'avantage de vous connaître, et ce n'était point pour vous que je faisais cela. Vous avez vu ma compagne qui est grasse, bien portante et, certes, bien couverte aussi ; vous avez vu mes enfants qui sont tous dodus, joyeux et habillés comme si j'étais un conseiller du Châtelet ou un collecteur des finances ; mon logis est convenable, vous ne pouvez pas dire le contraire, et comme nous ne vous attendions point à dîner, vous avez pu voir que l'ordinaire de notre table est sain, appétissant et savoureux.

- J'ai voyagé, déclara Fortune, mais je n'ai jamais rencontré dans mes voyages une famille en si bon point que la vôtre.

- Cela coûte cher, répliqua maître Bertrand, et l'émolument de ma place d'inspecteur est de neuf cents livres par années, plus vingt écus d'étrennes. Il y en a pour trois mois, à peu près, en se serrant un peu les côtes. Il faut donc que mon industrie me fournisse les moyens de tenir ma maison en joie et en santé pendant les neuf autres mois. Pour cela, voici ma méthode ; je cherche des Chizac:

- Et quand vous en avez trouvé un, dit Fortune en riant, vous l'empaillez ?

- Du tout, point, je le sale et je le mets dans mon garde-manger.

- Et il s'est trouvé, cette fois, dit encore Fortune, que le Chizac en question ne voulant point aller au saloir, a borné ses libéralités envers vous à un coup d'épée planté en pleine poitrine... Pas si fou, le gaillard !

- Il a des moments lucides, répliqua bonnement l'inspecteur. S'il avait piqué un pouce plus à droite et si sa main n'avait pas tremblé à faire pitié, bonsoir les voisins ! La famille Bertrand tombait dans la misère. Mais, à cause de ce tremblement de la main et de cette différence d'un pouce, voici au contraire la famille Bertrand qui sort de l’ornière et qui va devenir une bonne maison, c'est moi que vous le dis ! De deux choses l'une : ou Chizac, vivant, nous mettra à même de rouler carrosse, ou Chizac, mort, nous fera ses héritiers.

- Qui entendez-vous par ce nous ? demanda Fortune.

- Oh ! tout le monde, répliqua l'inspecteur rondement ; et il y a, Dieu merci, de quoi partager : Thérèse Badin, vous, moi, et même cet original de La Pistole. Vous avez tous droit : la belle Thérèse, du fait de son père, dont la mort aura ouvert pour nous cette riche succession ; vous, parce qu'en m'ouvrant les portes du caveau de la Montre, vous m'avez fourni les moyens de jouer la comédie qui dictera le testament de Chizac ; et La Pistole, parce qu'il ma prêté son chien, dont l'instinct merveilleux m'a mis sur une piste que je n'aurais pas trouvée moi-même. Je sais où est le mouchoir de Guillaume Badin : le mouchoir où il avait enveloppé son or et ses valeurs avant de sortir du cabaret des Trois-Singes.

- Ceci devant moi ! s'écria Fortune. Je vois encore le mouchoir, qui était bourré comme un boudin !

Bertrand se leva et roula un marchepied qui était auprès de la fenêtre jusqu'à la bibliothèque.

- Je n'en ai pas beaucoup, dit-t-il en se guindant sur le plus haut degré du marchepied, mais enfin j'en ai quelques-unes, et je les ai mises hors de la portée de notre ami Faraud.

Tout en parlant, il ouvrait un livre qui était sur le rayon le plus élevé de la bibliothèque.

En écoutant le bruit du papier froissé, Faraud dressa l'oreille et remua la queue.

- Retenez-le un peu sur le collier, dit Bertrand, il ne me donnerait pas le temps de faire mes préparatifs, et c'est une épreuve curieuse que j'ai déjà répétée plus d'une fois.

Fortune passa la main dans le collier de Faraud, qui entra dans un état d'agitation inquiète pendant que l'inspecteur redescendait du marchepied. L'inspecteur souleva un des carreaux qui pavaient la chambre et qui était descellé d'avance, il mit dessous les papiers qu’il tenait à la main et replaça le carreau en l'affermissant d'un coup de pied.

Fortune avait grand peine à retenir le chien, qui gémissait comme un limier qu'on empêche de piller sous bois.

- Vous pouvez le lâcher, dit maître Bertrand.

Fortune obéit, et Faraud, bondissant par-dessus le guéridon, vint tomber juste sur le carreau mobile, qu'il attaqua des pattes et du museau en poussant de sonores aboiements.

- A bas ! bonhomme, ordonna l'inspecteur en caressant Faraud. Tu as trouvé le pot aux roses.

Il souleva la tuile, sous laquelle il prit une douzaine d'actions de la Compagnie, qu'il glissa dans sa poche.

Le chien se mit alors à gambader joyeusement et aboya une véritable fanfare de triomphe.

Maître Bertrand revint s'asseoir et dit :

- Autour de certain carreau qui est auprès du lit, dans la chambre à coucher de Chizac-le-Riche, notre ami Faraud en a fait autant avant-hier.

- Ici, bonhomme ! ajouta-t-il.

Il écarta le collier de Faraud, qui s'était approché en rampant, et montra une plaie qui allait déjà se cicatrisant.

- Bon, s'écria Fortune, encore le Chizac !

- Le Chizac a deviné, lui aussi, dit Bertrand, et il a essayé de tuer le chien. Ce n'est pas tout : Colette Besançon est morte hier soir empoisonnée.

- La peste ! fit notre cavalier, nous n'avons qu'à bien nous tenir !

- Ne riez pas, dit l'inspecteur, il faut avoir l'œil en tout lieu et en toute heure.

- Vous disiez que ce brave Chizac était si débonnaire !

- J'ai dit aussi qu'il était fou. La folie de la peur le tient et nous le livrera, mais à la condition que nous sachions nous garer de ses coups. Il est lancé sur une pente où il ne s'arrêtera point ; c'est une sorte de fascination qui l'entraîne : il croit cacher un meurtre par dix meurtres. Il souffre, il s'épuise, il se meurt : il vieillit d'une année par jour, mais il suit résolument son chemin, et tant pis pour celui qu'il rencontrera sur sa route !

- Corbac ! dit Fortune, vous êtes mort, vous, maître Bertrand, et vous n'avez plus rien à craindre ; mais nous autres, vivants, ne pourrions-nous un peu nous adresser aux tribunaux ?

La justice et la police ont l'une contre l'autre cette bonne haine des voisins du même carré, haine solide et implacable.

Maître Bertrand ne répondit que par un haussement d'épaules et ces seuls mots :

- Les millions !

« Qu'est-ce ? ajouta-t-il en se tournant vers la porte où l'on frappait tout doucement.

- C'est une lettre de la fille Badin, répondit d'un air un peu pincé la petite Mme Bertrand, dont la tête blonde se montra sur le seuil.

- Donne, répondit l'inspecteur, et reste, car tu es jalouse, malgré toutes mes vertus, et tu as bonne envie de connaître le contenu de ce message.

Mme Bertrand rougit, mais ne dit pas non.

L'inspecteur ouvrit la lettre et lut :

« Tous vos soupçons à propos de M. Chizac étaient erronés. Il faut chercher ailleurs, car il y a des choses impossibles. M. Chizac sort de chez moi; il m'a offert de m'épouser, d'acheter la noblesse avec un titre de comte et de me constituer par contrat la totalité de sa fortune.

- Voyez un peu la chance de ces créatures ! émit la petite Mme Bertrand.

- Ah ça ! murmura Fortune en s'adressant à l'inspecteur, est-ce que vous vous seriez trompé ?

- Les fous, répondit Bertrand qui réfléchissait, ont des éclairs de génie. Ceci est un trait de génie, car il doit croire que nous ne pouvons nous passer de Thérèse. Tenons-nous bien ! il cherche, il travaille, il fermente. Si on ne noie pas cette mine d'or, il éclatera sous nos pieds comme cent tonneaux de poudre !

 

 

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