DEUXIEME PARTIE

 

LES AMOURS DE Mlle ALDEE

 

 

 

 

I. Où Fortune rencontre le cadavre de maître Bertrand l'inspecteur.

II. Où Fortune entame sa plus triste aventure.

III. Où Fortune, déguisé en noyé, se présente chez une belle dame.

IV. Où Fortune a peur d'être aimé.

Lire les chapitres V-VIII.

Retour à la page consacrée à Paul Féval.

Autres ouvrages en ligne.

Retour à la page d'accueil.

 

 

Où Fortune rencontre le cadavre de maître Bertrand l'inspecteur.

 

Fortune savait désormais où il était. Son pauvre ami, le chevalier de Courtenay, dont il regrettait amèrement l'absence, lui avait dit la vérité de point en point.

Une simple pierre le séparait de ceux qu'il entendait. Il ne s'agissait que d'attendre la nuit pour soulever la dalle à la force des reins, et il allait se trouver dans la galerie d'Est, déserte et libre.

Il revint sur ses pas à reculons, rentra dans la cellule de La Pistole et replaça les quatre carreaux avec un soin minutieux.

La Pistole ne l'interrogea même pas sur le résultat de son exploration.

Les poignards des deux Altesses Royales firent leur office d'échelons, et Fortune regagna son gîte.

Ce fut une longue journée ; l'impatience de notre cavalier faisait durer les heures, et il n'était pas sans inquiétude au sujet de son voisin, qu'il entendait maintenant marcher à grands pas de l'autre côté de la cloison.

La fièvre avait succédé à l'abattement chez le pauvre La Pistole ; on l'entendait bavarder tout seul avec une étrange volubilité.

Il parlait tout à la fois de sa femme, de son voyage d'Espagne, de la conspiration, de son argent et de son chien.

Son idée fixe était maintenant d'être libre pour aller mettre le feu à l'Arsenal et incendier ainsi la coquine.

Quand maître Lombat, le guichetier, vint faire sa visite du soir, Fortune se sentit trembler. La voix de La Pistole lui donnait la chair de poule.

La Pistole, en effet, divaguait tant qu'il pouvait. Il avait pris à tâche de séduire le guichetier ; il lui faisait les propositions les plus généreuses, disant qu'il était le cousin et l'unique héritier de Chizac-le-Riche, et qu'il donnerait son pesant d'or à l'homme qui le mettrait à même de surprendre le galant rendez-vous de sa femme avec un grand seigneur.

Un grand seigneur assez lâche pour l'avoir fait charger de chaînes, afin de n’être point gêné par la jalousie d’un époux !

Maître Lombat était un peu de l'avis de Fortune, car il dit paisiblement :

- Là, là, bonhomme, la Zerline est une gaillarde, je ne prétends point le contraire ; mais, pour être gibier de grand seigneur, à d'autres ! Nous vous enverrons le docteur demain matin pour qu'il vous saigne jusqu'à l'eau rousse.

- Je sais des secrets ! s'écria La Pistole, je sais des mystères. La vie de M. le régent dépend de moi !

Fortune se collait tout haletant à la cloison, mais le brave guichetier coupa la harangue de La Pistole en refermant la porte brusquement.

Ce fut les deux poings sur les côtes et riant de tout son cœur que notre cavalier écouta le restant de la litanie hurlée par le petit comédien.

- Vous êtes un misérable ! criait celui-ci, vous êtes vendu à la coquine ! Je vous dénoncerai, je vous ferai perdre votre place et renfermer dans un cachot souterrain pour le restant de vos jours ! Ah ! comme M, le régent est mal servi ! c'est la scélérate qui gouverne la France !

Maître Lombat entrait en ce moment dans la cellule de Fortune.

- Ça se pourrait bien, dit-il, que ce petit chrétien vous empêche de dormir cette nuit. Si vous aviez eu de l'argent, je vous aurais changé de cellule.

- On fera sauter une mine sous le Palais-Royal ! criait en ce moment La Pistole. J'ai vu les barils de poudre !

- II est enragé ! fit maître Lombat, en jetant un pain noir sur le lit.

La Pistole, dont la voix s'enrouait, clama encore :

- On mettra du poison dans les dragées du roi !

- Bien, bien, dit maître Lombat; s'il ne s'est effondré le crâne contre les madriers avant demain matin, le docteur lui donnera un remède.

Il sortit.

Fortune entendit La Pistole qui se laissa choir épuisé sur le carreau.

Le bon cavalier écouta le bruit des pas du guichetier qui allaient se perdant au loin.

- Corbac ! pensa-t-il, la poitrine dégagée d'un poids de cent livres, si désormais La Pistole fait le méchant, il ne s'agira plus que de lui emplir la bouche avec de la paille !

Il se garda bien d'entamer la conversation à travers le madriers; le silence est le meilleur de tous les calmants.

Mais comme la soirée n'était pas encore assez avancée et qu'il fallait tuer le temps, Fortune entonna une chanson à boire qui avait beaucoup de couplets.

Au dixième couplet ou au vingtième, la voix de La Pistole l'interrompit :

- Cavalier, disait le petit homme, je vous demande pardon de vous avoir parlé avec mauvaise humeur. Si vous voulez venir me visiter, vous mangerez mon souper et nous causerons un peu de ma femme.

Fortune demanda :

- Qu'est-ce que c'est que ton souper ?

La Pistole découvrit l'assiette et répliqua :

- C'est une bonne part d'oie qui embaume.

- La peste ! gronda Fortune, se peut-il qu'il y ait tant d'oies à Paris ! As-tu du vin ?

- Une bonne et large bouteille.

Fortune planta les deux couteaux dans le bois.

- Ce n'est ni pour la volaille ni pour la boisson, dit-il, mais il est d'un bon cœur de consoler un camarade.

Quand ses deux pieds touchèrent le carreau du cabanon de La Pistole, Fortune vit le petit homme sur son billot assis bien tranquillement et tournant ses pouces d'un air réfléchi.

- Vas-tu dîner avec moi ? demanda notre cavalier.

- Je boirai un verre de vin, répondit La Pistole, mais je voudrais savoir une chose : c'était pour me guérir de ma jalousie, n'est-ce pas, que vous avez fait ce portrait si laid de Zerline,. ma femme ?

- De par tous les diables... commença Fortune.

Mais il s'arrêta et reprit :

- Oui, mon compagnon, c'était pour te guérir de ta jalousie. Ta femme est une personne accorte et qui vaut son prix.

La Pistole lui tendit les deux mains.

- Je veux bien m'échapper avec vous, dit-il; ce qui se passe entre moi et Mme La Pistole est peut-être le résultat d'un malentendu ; j'ai pu avoir des torts. Vous avez la langue dorée, quand vous voulez; s'il vous plaisait d'opérer entre nous deux une réconciliation honorable...

- Cela me plaît, mon camarade, interrompit Fortune. Voyons, mange un morceau; tu n'es pas encore blasé sur l'oie, toi, et tu la trouveras par délices !

- Ma foi, dit La Pistole, qui rapprocha son escabelle d'un air tout guilleret, il me semble que l'appétit me revient du moment que vous vous occupez de mes affaires. Mangeons à la gamelle comme de vieux amis et buvons dans le même verre. Il est certain que j'ai été quelquefois bien morose et bien dur avec ma pauvre Zerline. Si vous saviez quel caractère enchanteur elle avait avant d'être ma femme !

- Avant ... grommela Fortune.

- Oh ! et après aussi !poursuivit La Pistole, attendri, nous autres hommes nous sommes des despotes; les femmes ne savent pas comment nous prendre. Nous leur disons :soyez belles, et nous ajoutons :ne soyez pas aimées. C'est absurde !

- Tu parles comme un livre, dit Fortune.

- J'ai bien réfléchi à tout cela, reprit l'ancien Arlequin, il y a en moi un grand fonds de philosophie.

Fortune approuva du bonnet. La Pistole poursuivit rongeant un os avec un évident plaisir.

- Qu'est-ce que c'est que la coquetterie ? C'est une chose qui nous fait damner et que nous adorons. Le jour où l'on cesse de faire la cour à nos femmes, nous ne voulons plus d'elles. Et, vrai Dieu ! le monde est bien mal mené, cavalier, n'est-ce pas ? Nous sommes tout à droite ou tout à gauche, jamais dans le milieu ! Moi, qui suis à mon sens le plus sage des hommes, à l'instant même où je n'ai plus l'idée de poignarder ma femme, je pense à me prosterner à ses pieds pour l'adorer comme une idole... A quoi songez-vous, cavalier ?

- A ta sagesse, mon garçon, répliqua Fortune.

- Raillez-vous ?

- Non pas !... écoute l'heure.

L'horloge sonna onze coups.

- Achevons la bouteille ! s'écria Fortune en se levant, et si tu veux vraiment être mon compagnon d'aventure, retrousse tes manches; nous allons entrer en besogne.

La Pistole retroussa ses manches. Il faisait en vérité plaisir à voir.

- Nous ne sommes pas très loin de l'Arsenal, dit-il, ce sera l'affaire d'un quart d'heure quand nous aurons seulement mis le pied dehors. Vive Dieu ! si quelqu'un nous barre la route, je me charge de lui marcher sur le ventre !

Fortune enlevait déjà les carreaux; il avait passé les deux petits poignards à sa ceinture.

- Suis-moi de près, dit-il en descendant au fond du trou, et colle-toi toujours à la paroi de droite ; car sur la gauche on peut tomber dans la cave.

- Et c'est profond, la cave ? demanda La Pistole, qui eut un petit frisson.

Fortune répondit :

-Je n'y ai pas été voir.

Puis on fit silence. Notre cavalier rampait le plus vite qu'il pouvait, et La Pistole le suivait, faisant déjà peut-être des réflexions qui n'échauffaient point son enthousiasme.

Ce n'était plus comme dans la matinée : on n'entendait ni pas ni voix dans la galerie de l'Est qui était complètement muette.

- Le chevalier était bien informé, se dit Fortune qui commença incontinent à desceller la dalle en dessous à l'aide d'un poignard.

La Pistole grelottait; il balbutia :

- J'aimerais mieux travailler qu'attendre. On est ici comme dans une tombe.

- Tu n'attendras pas longtemps, lui dit Fortune, la dalle remue.

- De ce côté-là, pensa tout haut La Pistole, c'est vous qui recevriez un mauvais coup s'il y avait quelqu'un à nous attendre; mais si on venait par derrière...

- Ah ! dit Fortune, tu serais le plus exposé ; mais on ne viendra pas.

- Savoir ! gronda La Pistole. Si vous connaissiez ma diablesse de femme !

- Bon ! s'écria Fortune, ce n'est donc pas un ange !

La Pistole ne répondit point, mais il poussait des soupirs de bœuf. Fortune, en ce moment, s'arc-bouta des pieds et des mains, et ses épaules robustes soulevèrent la dalle qui bascula sans lui faire aucun mal.

D'un bond il fut dans la galerie.

La Pistole hésitait à le suivre.

Quand il vit cependant qu'aucun cliquetis d'armes blanches ni aucune détonation d'armes à feu ne se faisait entendre, il sortit du trou comme une tortue qui met prudemment sa tête hors de son écaille.

La galerie n'était pas éclairée, mais ses quatre hautes fenêtres ogives qui donnaient sur la tête du pont et le lieu où est maintenant la place du Châtelet, laissaient passer les rayons de la lune qui traçaient de longues lignes parallèles sur le dallage alternativement noir et blanc.

C'était une solitude complète et rien ne se montrait qui fût de nature à augmenter les inquiétudes inséparables d'une semblable expédition ; néanmoins, Fortune fut obligé de tendre les deux mains à son camarade La Pistole dont les dents claquaient et qui disait :

- Si une ronde venait à passer, comment expliquerions-nous notre présence ici ?

- Corbac ! répliqua Fortune, la conversation ne serait pas longue et l'on ne nous donnerait guère le temps de fournir des explications.

La Pistole, en ce moment, posait son pied tremblant sur le pavé de la galerie. Sa voix chevrota pendant qu'il demandait :

- Pensez-vous qu'ils nous feraient du mal ? et donne-t-on quelquefois la question à cette heure de nuit ?... Je vous suivrai partout où vous irez dès que nous serons libres, car c'était une bien folle idée que d'aller vers cette femme, cause de tous mes malheurs; et, d'un autre côté, je ne puis rejoindre mon chien Faraud puisqu'il est chez maître Bertrand, l'inspecteur de police.

- C'est drôle, pensa Fortune qui arpentait déjà la galerie à petit bruit, cela me fait toujours quelque chose quand on parle de cet original. Est-il chair, est-il poisson, ce Bertrand ? C'est lui qui a montré au juge la pointe de mon épée en prouvant qu'elle n'avait jamais servi...

Il allait vers la droite, selon les instructions du chevalier de Courtenay; La Pistole le suivait à trois ou quatre pas de distance, se faisant petit et jetant à la ronde des regards effarés.

A l'extrémité méridionale de la galerie se trouvait la porte de la grand-chambre dont le développement était au midi, sur la Seine.

A l'angle sud-est, une autre porte beaucoup plus petite et bas voûtée donnait accès dans un couloir qui rejoignait la tour du coin sous laquelle était situé le caveau de la Montre.

Fortune s'engagea le premier dans un escalier à vis qui comptait a peine une douzaine de marches. Au bas de cet escalier se trouvait, la porte vitrée qui, de l'intérieur du Châtelet, permettait de voir les cadavres exposés.

Le caveau de la Montre était éclairé par une lampe dont les lueurs fumeuses semblaient sombres à côté du clair rayon de lune qui entrait par la meurtrière du bord de l'eau.

Au moment où Fortune allait jeter son regard dans le caveau, il se retourna au bruit que faisait La Pistole en dégringolant derrière lui.

- Que Dieu nous protège ! balbutia le malheureux Arlequin, mon pied a manqué sur ces marches mouillées... Mais qu'avons-nous ici derrière ces vitres ?...

Il s'interrompit en un cri étouffé.

- Voyez ! fit-il en frissonnant de tout son corps. C'est cet homme... maître Bertrand, qui nous guette !

Fortune se retourna aussi vivement que s'il eût senti la pointe d'une rapière dans ses reins.

- Où diable prends-tu maître Bertrand ? commença-t-il.

Mais sa voix s'arrêta dans son gosier, et il balbutia du fond de sa stupéfaction :

- La mule du pape ! c'est bien lui, le voilà !

 

Où Fortune entame sa plus triste aventure.

 

La Pistole s'était assis sur les marches parce que ses pauvres jambes ne pouvaient plus le porter.

Fortune lui-même était singulièrement ému, et son premier mouvement avait été de faire retraite devant le regard fixe que l'inspecteur Bertrand jetait sur lui à travers les carreaux.

Ce singulier personnage était assis ou plutôt demi-couché sur une table de marbre qui occupait l'extrémité du caveau la plus voisine de la porte vitrée. Il avait son costume de tous les jours, qui semblait seulement un peu en désordre, et ses cheveux étaient mêlés sur sa tête nue. Une de ses jambes pendait hors de la table; son torse était relevé et s'adossait contre un paquet informe, dont Fortune ne devinait point la nature.

L'inspecteur Bertrand, ainsi accoté, recevait en plein sur son visage la lumière fumeuse et vacillante de la lampe: On aurait juré que ses yeux regardaient et que les muscles de sa figure s'agitaient.

Cela d'autant mieux que le réduit lugubre où il lui plaisait de faire ainsi faction était habité par d'autres ôtes, dont l'état et la posture parlaient énergiquement de mort.

Il y avait trois cadavres couchés sur trois tables, qui s'alignaient derrière celle où l'inspecteur Bertrand reposait, et le rayon de lune enfilait ces trois tables, touchant de sa lumière livide trois têtes de décédés.

La Pistole pensait :

- Comment a-t-elle su que j'allais essayer de sortir d'embarras ? Je ne peux pas le deviner, mais la diablesse finira sorcière ! Elle a mis ce Bertrand en embuscade pour m'arrêter ou me tuer.

Il se leva tout doucement et remonta trois marches.

- Par la morbleu ! se disait pendant cela Fortune, je n'ai jamais ouï parler de vivants enfermés dans ce trou... je n'ai pas eu peur, non ! mais il m'est venu un petit peu de chair de poule.

« Sang de moi, interrompit-il, le coquin vient de me lancer un regard ! il me voit... Mais s'il me voit, pourquoi ne bouge-t-il pas ?

La Pistole remonta encore trois marches.

- Cavalier; dit-il, si vous m'en croyez, nous allons regagner nos cellules. Ce Bertrand n'est pas un méchant homme au fond, puisqu'il a caressé mon chien. Si nous nous en allons bien tranquillement, il fera peut-être; semblant de ne nous avoir point vus.

Fortune ne répondit pas; ses yeux étaient toujours fixés par une sorte de fascination sur l'agent de police qui ne cessait de le regarder.

- Que je sois pendu, s'écria-t-il à la fin une bonne fois pour toutes, si je n'en ai pas le cœur net !

Et d'un bond il atteignit le bas des degrés.

- Malheureux ! balbutia La Pistole qui, d'un mouvement contraire, regagna le haut des marches, vous courez à votre perte.

Comme l'escalier tournait, Fortune et La Pistole se trouvaient désormais hors de vue l'un de l'autre.

Aussitôt que l'ancien Arlequin cessa d'apercevoir son compagnon, les réflexions les plus sages envahirent son cerveau; il rentra tout doucement dans la galerie de l'Est, où il avait moins peur parce qu'on y voyait plus clair.

- J'ai promis, pensa-t-il, de suivre mon camarade Fortune mais non point de partager ses folies. Il a le tempérament téméraire et j'ai idée qu'il finira mal.

Tout en méditant ainsi il se rapprochait de la dalle soulevée.

- Qui croirait, se dit-il encore, que la méchanceté d'une femme pût aller jusque-là ? L'idée d'avoir posté ce Bertrand dans le caveau des morts pour m'inquiéter au passage est véritablement infernale. Elle a de l'esprit comme quatre, c'est certain... et en définitive, l'excès de sa haine prouve jusqu'à quel point j'occupe encore sa pensée. Nous ferons un bon ménage avec le temps.

Il rentra dans le boyau et n'oublia point de se coller à la paroi méridionale pour éviter le trou de la cave.

Quand une fois il fut dans sa cellule, il poussa un grand soupir de soulagement, comme un voyageur qui se retrouve sain et sauf au logis après une dangereuse traversée.

- Quant à gagner le dehors malgré l'inspecteur Bertrand, raisonnait-il en replaçant avec soin les quatre carreaux, il n'y a pas d'apparence que mon pauvre compagnon le puisse. II va recevoir peut-être de dangereuses blessures, après quoi on va lui mettre les fers aux pieds et aux mains pour le jeter tout vivant dans quelque oubliette.

« Ma foi, conclut-il en s'étendant sur son grabat avec une sorte de volupté, je lui aurai du moins donné un bon conseil en l'engageant à revenir sur ses pas. S'il se ravise, il sera toujours temps d'enlever les tuiles pour lui faire un passage... Ah ! Zerline, méchant démon, lequel aimerais-je le mieux en ce moment, de te battre ou de t'embrasser ?

Ayant ainsi dévoilé le fond mystérieux de son cœur, ce fantasque La Pistole se répondit à lui-même avec une entière franchise :

- Ce soir, je crois que je t'embrasserais mais je suis bien sûr que je te battrais demain, scélérate !

Et il s'endormit.

Au premier moment, Fortune, qui ne s'était point aperçu de son absence, avait mis bravement son nez aux vitres du caveau des Montres : le regard de l'inspecteur Bertrand lui sembla devenir plus fixe et plus profond, mais ce bizarre personnage n'en demeurait pas moins complètement immobile.

Fortune resta un instant assez perplexe, et le cas, on en conviendra, en valait bien la peine. Mais notre cavalier ne réfléchissait jamais très longtemps.

- Mon brave, dit-il à l'inspecteur à travers les carreaux, j'ai une idée qu'au fond vous êtes un bon vivant malgré le métier que vous faites, et, en définitive, vous avez essayé de me rendre service, là-bas, dans le cellier du pauvre Guillaume Badin. Vous êtes convaincu de mon innocence, j'en suis sûr; si vous voulez bien ne point vous opposer au dessein que j'ai de fuir, je vous engage ma parole que les cent premiers louis qui tomberont dans ma poche seront pour vous, et mon compagnon La Pistole garantira ma promesse.

L'inspecteur Bertrand ne bougea ni ne répondit.

- Hé ! La Pistole, cria Fortune, t'engages-tu avec moi pour cent louis ?

La Pistole fit comme l'inspecteur Bertrand, et nous savons bien pourquoi.

Fortune cependant commençait à entrevoir la vérité. Sans s'arrêter au silence de La Pistole, qui cadrait bien avec le caractère prudent de ce dernier, il mit la main sur le bouton de la porte vitrée en se disant :

- Nous allons voir si le Bertrand bouge, cette fois.

Le Bertrand ne bougea pas, mais la porte ne s'ouvrit point.

Fortune était désormais fixé à peu près et pensait :

- Ce drôle de corps est original après son décès comme pendant sa vie. Vit-on jamais un mort dans cette gaillarde posture ?

D'un coup de coude bien appliqué, il brisa le carreau le plus voisin de la serrure et, à l'aide du même moyen, il élargit le trou pour ne point se couper les doigts en travaillant.

Il appelait La Pistole et le rassurait, disant :

- Tu peux venir, mon garçon, ce n'est pas ta femme qui a mis l'inspecteur à cette place, et le pauvre diable ne nous empêchera point de passer.

Sa main atteignit la clé et la porte s'ouvrit.

Il alla tout d'un temps à maître Bertrand et lui prit le poignet qu'il trouva inerte.

- Il arrive souvent malheur aux gens de sa sorte, pensa-t-il, et pourtant, selon la renommée, celui-ci était adroit comme un singe. II ne s'est pas noyé puisque ses vêtements sont intacts : comment donc est-il mort ?

Il appela de nouveau :

- La Pistole ! où donc es-tu ?

Son regard connaisseur parcourut le pourpoint de maître Bertrand au côté gauche duquel il y avait une toute petite piqûre.

- Oh ! oh ! s'écria Fortune, c'est le même coup que Guillaume Badin !

Il écarta vivement le pourpoint, la veste, puis la chemise, et se pencha sur la poitrine de maître Bertrand qui était percée un peu à droite du cœur.

- La même plaie que Guillaume Badin, dit encore Fortune.

Il resta tout pensif.

- Ah ça ! ah ça ! se dit-il après un moment, pourquoi la figure bouffie de ce Chizac danse-t-elle devant mes yeux avec son tic et les deux vessies qu'il a sous la paupière ? On ne tue pas quand on est si riche .... Mais il y a aussi l'histoire de La Pistole, arrêté après ce déjeuner chez Chizac... Où diable est-il cet innocent de La Pistole ?

C'était vraiment une bonne âme. Il sortit du caveau, appelant toujours son compagnon à voix basse; il remonta l'escalier tournant et traversa la galerie jusqu'au boyau où il appela encore.

- Allons ! se dit-il, les opinions sont libres et je ne peux pas emmener ce nigaud malgré lui. Replaçons toujours la dalle, au cas où il passerait quelque ronde, car je ne suis pas encore dans la rue, et Dieu sait le temps que je vais mettre à sortir de ce caveau !

La dalle fut remise en place, après quoi Fortune regagna la Morgue dont il referma la porte intérieure à double tour.

En rentrant, il lui sembla que la position du corps de l'inspecteur était tant soit peu changée, mais il attribua ce fait à l'examen qu'il avait opéré lui-même, et aussi peut-être à quelque jeu de la lumière. Il s'agissait maintenant de sortir; Fortune ne s'occupa plus autrement de maître Bertrand et donna toute son attention à la fermeture extérieure d'une grande montre qui permettait aux gens du dehors de reconnaître les cadavres exposés.

Ce n'était plus ici comme du côté de l'escalier tournant; la devanture vitrée était défendue par un grillage.

Et, au lieu d'être fermée en dedans, la serrure avait sa clé au dehors à cause du gardien, dont la loge était sous le vestibule.

Fortune vit tout cela d'un coup d'œil, et ce fut un peu le supplice de Tantale, car le vestibule, grand ouvert, laisse voir à dix pas la tête du pont où la lune jouait sur les pavés mouillés.

Sans beaucoup d'espoir, notre cavalier éprouva le châssis de la cloison vitrée; il était robuste, mais les solides madriers résistèrent, aussi fermes qu'une muraille.

- Est-ce que maître La Pistole aurait eu raison rentrer dans son trou ? se demanda-t-il avec inquiétude: Être venu jusqu'ici et rester sot devant ces planches, ce, serait pour en mourir de honte !... Cherchons.

II tourna le dos au châssis et parcourut le caveau dans le vague espoir de trouver une autre issue.

Tout d'abord il se rendit à la meurtrière par où pénétrait la lumière de la lune.

C'était une fente étroite et longue, destinée à fournir de l'air, dont le lieu avait terriblement besoin.

Fortune essaya d'y passer la tête, mais les pierres trop rapprochées arrêtèrent ses tempes.

De ce côté, la fuite était absolument impossible.

En outre de la meurtrière, il n'y avait aucune communication avec le dehors.

Le caveau était de forme ronde, sauf le pan coupé que formait la devanture; il occupait le rez-de-chaussée de la tour du coin, à quelques pieds seulement au-dessous du niveau de la rue. Les murailles en étaient d'une épaisseur considérable dont la meurtrière elle-même en donnait l'exacte mesure.

Maître Bertrand était évidemment le dernier venu. Les deux autres, un homme et une femme, n'avaient déjà plus figure humaine, et quand Fortune les examina de plus près il s'éloigna de leurs tables avec horreur.

Ce mouvement lui fit heurter une corde qui pendait de la voûte et qu'il n'avait point aperçue.

Il leva la tête et vit au-dessus de la lampe, pendue à la voûte, une cloche d'assez forte dimension que la corde était destinée à mettre en branle.

C'est ce qu'on appelait « la cloche de pitié ».

Fortune resta une bonne minute immobile à regarder la cloche. Son imagination travaillait.

- C'est chanceux ! se dit-il en secouant la tête, et je n'aime pas beaucoup jouer avec ces choses-là, mais quand on n'a pas le choix... La mule du pape ! j'en serai quitte pour faire dire des messes la prochaine fois qu'il me tombera de l'argent.

En acompte sur les messes ainsi promises, il fit d'abord un grand signe de croix, et, tournant autour des tables, il se rapprocha de feu maître Bertrand, qu'il examina, de nouveau.

Le résultat de cet examen ne fut pas satisfaisant.

- Corbac ! pensa-t-il, rien à faire de ce côté ! On ne me prendra jamais pour ce drôle qui avait en son vivant une physionomie commune et bourgeoise au dernier point. Il vaut mieux jouer 1e tout pour le tout, et me déguiser en spectre des pieds à la tête.

Ce n'était pas là, il faut bien le confesser, une aventure séduisante, et notre cavalier en dépouillant lestement ses habits éprouva plus d'un frisson qui n'était point produit par le froid humide du lieu.

Pour contenir son courage, il pensait :

- Maintenant que ce pauvre chevalier est à tous les diables, notre pauvre Aldée n'a plus que moi, et, si je fais le dégoûté, ce misérable vampire de Richelieu la croquera comme une alouette !

En fait de guenilles sépulcrales, il y avait un choix énorme. Fortune prit au hasard parmi les lambeaux éparpillés sur les bancs ce qu'il fallait pour sa toilette.

II n'avait pas seulement à sa disposition les diverses pièces de son sinistre costume, il avait aussi le modèle à imiter, et au bout d'un quart d'heure, après avoir aplati ses cheveux ramenés en mèches rigides sur ses joues; il put se comparer lui-même sans trop de désavantage au cadavre du sexe masculin qui était étendu sur l'une des tables.

Il prit ce cadavre par les épaules, promettant une messe ou deux de plus pour cette profanation, et le fit glisser en dedans de la table, du côté opposé à la grande montre. Cette besogne étant achevée, il prit la corde à deux mains et mit en branle la cloche de pitié, dont les vibrations tristes emplirent le caveau.

Notre cavalier avait la sueur froide aux tempes et frémissait jusque dans la moelle de ses os. Le rayon de lune qui glissait sur le visage bleui de la femme assassinée lui montra comme un bizarre sourire, et la tête de feu maître Bertrand lui sembla s'éveiller, prête à tourner sur lui ses regards étonnés.

Il attendit la moitié d'une minute.

Un bruit se fit au-dehors vers la loge du gardien; des voix appelèrent et se répondirent.

Puis une lumière parut à la fenêtre de la loge qui regardait la grande montre.

Fortune s'était accroupi derrière la table du milieu et ne pouvait être vu du dehors.

Il pesa de nouveau sur la corde et la cloche de pitié tinta pour la seconde fois.

La porte de la loge s'ouvrit. Un homme en camisole de nuit et coiffé d'un bonnet de coton qu'un ruban violet serrait chaudement sur ses oreilles, sortit avec précaution; il tenait une arquebuse dans sa main droite et une longue épée dans sa main gauche.

Derrière lui venaient deux vieilles femmes, dont l'une était armée d'une broche et l'autre d'un coutelas.

Derrière les deux vieilles femmes, un gros valet à cheveux rouges se montra, brandissant un merlin à fendre le bois.

Cette troupe, dont l'apparence ne laissait pas d'être formidable, se rangea en bataille devant la grande montre et sembla attendre un nouvel appel.

- Corbac ! pensa Fortune, si c'est comme cela qu'ils viennent au secours des moribonds !... Mais le vin est tiré, il faut le boire.

Et, pour la troisième fois, caché qu'il était derrière la table, il agita la cloche de pitié.

 

 

Où Fortune, déguisé en noyé, se présente chez une belle dame.

 

L'armée, qui se rangeait en bataille sous le vestibule, était ainsi composée : maître Magloire Séverin, gardien juré et greffier des écritures de la Morgue ; Françoise Jodelet, sa femme légitime ; Anne-Gertrude Séverin, sa sœur aînée, et Denis Museau, son valet.

Anne-Gertrude Séverin, qui était demoiselle à plus de cinquante ans qu'elle avait, s'était réveillée en sursaut au premier son de cloche; elle avait appelé Magloire Séverin, son frère, qui avait secoué Françoise Jodelet laquelle gardait toujours dans la ruelle de son lit une gaule pour mettre un terme, vers 4 heures du matin, au sommeil de Denis Museau, le domestique.

Denis Museau avait allumé la chandelle.

Et la chandelle allumée avait éclairé quatre faces bouleversées, et si blêmes qu'elles s'étaient fait peur les unes aux autres.

L'armée sortit donc en bon ordre avec l'intention d'assommer ou de hacher tout mort qui se permettrait de bouger.

Arrivé sous le vestibule, Magloire dit d'une voix qui tremblait un peu :

- Je ne vois rien.

Et les autres, plus affirmatifs, répondirent :

- Il n'y a rien !

En effet, derrière la montre, la lampe sépulcrale éclairait l'immobilité la plus complète. Mais, en ce moment, la cloche de pitié tinta pour la troisième fois.

- J'ai vu remuer la corde ! s'écria Anne-Gertrude, dont les cheveux gris se hérissèrent sur son crâne.

- Il y a quelqu'un derrière la table, ajouta Françoise Jodelet, prête à s'évanouir.

Denis Museau dit en frissonnant de tous ses membres :

- Le mort du milieu manque !

Ces derniers mots portèrent au comble l'épouvante de l'armée. Il n'y avait pas à dire non ; le mort du milieu manquait.

- Il faut rentrer et se barricader, conseilla Françoise Jodelet. Mais Anne-Gertrude, qui était une fille de courage, s'écria :

-Mon frère Magloire, il s'agit de se montrer. Vous avez des ennemis et des gens qui souhaitent votre place; faites les sommations voulues et procédons par la force.

Magloire n'hésita pas ; il était à la hauteur de ses fonctions.

- De par le roi, dit-il à haute et intelligible voix et en faisant sonner la crosse de son arquebuse contre le pavé, il est enjoint au mort du milieu...

Il s'arrêta, soupçonnant vaguement qu'il y avait peut-être quelque ridicule au fond de sa situation.

- Eh bien ! fit Anne-Gertrude.

- Denis, ordonna le gardien juré, introduisez la clef dans la serrure et que chacun se tienne prêt à faire son devoir.

Ce fut un instant solennel. Denis Museau ouvrit la porte de la Montre et ressaisit vivement son merlin. Magloire mit son arquebuse en joue.

Anne-Gertrude qui, comme elle le dit plus tard bien des fois, avait fait le sacrifice de sa vie, saisit sa broche à deux mains et la croisa comme une hallebarde, tandis que Françoise Jodelet, plus timide, se cachait derrière elle avec son inoffensif coutelas.

Rien ne bougea cependant à l'intérieur du caveau.

En ces moments suprêmes, la plus cruelle de toutes les souffrances, c'est l'attente. Le pauvre Magloire soufflait et suait.

Changeant de formule et laissant le roi de côté pour prendre son point d'appuis haut, il déclara :

- Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ! « vade retro Satanas ! », où est le mort du milieu ?

Pour toute réponse, un silence complet et l'immobilité de la tombe.

Un accès de courage désespéré monta au cerveau de Magloire, il lâcha son arquebuse et mit l'épée à la main en criant :

- Il faut aller au fond de ce noir mystère, et voir ce qu'il y a derrière les tables. Qui m'aime me suive !

Il s'élança en avant, tournant autour de la table qui supportait le corps de maître Bernard; Denis Museau fit le tour en sens inverse avec son merlin levé. Il ne restait auprès de la porte que les deux femmes.

Mais à ce moment la cloche de pitié se mit à carillonner à pleine volée, et le mort du milieu se leva de son haut, cachant sa figure derrière les grandes mèches de ses cheveux.

Magloire et Denis s'arrêtèrent l'un à droite, l'autre à gauche; les deux femmes tombèrent sur leurs genoux en murmurant des patenôtres.

Le mort du milieu, cependant, doué d'une agilité vraiment surprenante, surtout si l'on considère l'état de décomposition déjà fort avancé où on l'avait laissé la veille, se pendit à la corde, prit du champ et passa par-dessus la table pour aller tomber auprès du seuil, qu'il franchit en poussant un cri de victoire.

Anne-Gertrude avoua depuis qu'elle ne s'y connaissait pas, il est vrai, mais que malgré les lambeaux, repoussants dont il était couvert, ce mort du milieu lui avait paru avoir la taille bien prise et la jambe agréablement tournée.

On le vit danser sur les pavés mouillés que brillantaient les rayons de la lune et enfiler le pont au Change, où il se perdit dans les ténèbres comme un vrai fantôme qu'il était.

Magloire Séverin était payé par le roi pour garder les cadavres du caveau de la Montre ; il ne peut moins faire que de s'élancer à la poursuite de ce défunt qui allait rendre ses écritures presque impossibles. Toutefois à la tête de sa famille fidèle, il traversa la place du Châtelet, le pont au Change et même une partie de la rue de la Barillerie; mais, comme il n'avait point pris le temps de prendre ses chausses, il dut sonner la retraite dans la crainte de gagner un rhume.

Ils revinrent tous et rentrèrent dans le caveau pour chercher au moins les traces du mystérieux fuyard.

Là, une surprise nouvelle les attendait, deux surpris et même trois en comptant les habits de Fortune qui étaient éparpillés sur le sol.

Il n'y avait plus personne sur la table de pierre où gisait encore tout à l'heure feu l'inspecteur Bertrand.

Et le mort du milieu, qu'on avait vu sauter par-dessus la table, était paisiblement étendu sur le carreau, incapable assurément de se livrer à aucune gymnastique.

Le greffier juré et sa famille, après avoir refermé la Montre, rentrèrent dans la loge et passèrent le restant de la nuit à chercher en vain le mot de cette lugubre charade.

Pendant cela, notre cavalier Fortune courait les quai sous ses guenilles de spectre et regrettait déjà d'avoir pris tant de peines pour passer sur le ventre de l'armée Séverin. Il se disait : « Avec de semblables adversaires, je n'avais pas besoin de quitter mes habits; et que faire dans Paris, à cette heure, sans un rouge liard dans la poche, avec les loques impures qui me couvrent le corps ? »

Dix minutes auparavant, pour acheter la liberté, il eût consenti à voyager tout nu pendant une semaine ; mais nul d'entre nous n'est parfait, et Fortune se croyait en droit d'adresser les plus vifs reproches à son étoile, qui ne lui avait point conseillé de garder au moins ses chausses et sa chemise.

Son costume de noyé n'était pas cependant d'une scrupuleuse exactitude car il avait conservé ses bons souliers neufs qui permettaient d'aller grand train sur le pavé. La nuit était claire, mais il n'y avait personne sur les quais et Fortune comptait sur son fantastique accoutrement pour écarter les passants effrayés.

Il s'arrêta pour la première fois au bout du pont Saint-Michel, après avoir traversé la Cité tout entière ; il écouta pour savoir s'il était poursuivi. Derrière lui aucun bruit ne venait, et les alentours étaient si calmes qu'il pouvait entendre, le murmure de l'eau coulant sous le pont.

- Vais-je tourner à droite ou à gauche ? se demanda-t-il.

A gauche, il y avait un refuge; c'était le logis de Muguette. Si misérable que fût son accoutrement, Fortune était bien sûr de n'être point repoussé cher Muguette.

Et pourtant il ne tourna point à gauche et poursuivit sa course à grands pas dans la direction contraire.

- Corbac ! se disait-il en arpentant le quai, je suis le bienfaiteur de cette enfant, là, c'est vrai, et je n'ai point à me gêner, je ne suis en vérité point vêtu selon les lois de la décence, et j'emporte avec moi l'odeur de ce caveau. .Si. je suis destiné à faire un jour ou l'autre cette folie de prendre femme il y a gros à parier pour Muguette, et je ne veut point qu'elle me voie jamais autrement que sous un aspect galant et même, s'il se peut, héroïque.

Il dépassa la tête du Pont-Neuf, à l'autre bout duquel une patrouille du guet chevauchait paisiblement en causant amour et politique.

Le guet fait songer aux voleurs. Fortune, nous devons l'avouer à son blâme, eut bien un peu l'idée de faire la chasse aux bourgeois attardés afin de conquérir au moins un costume.

Mais une pensée plus folle encore avait pris possession de son cerveau; il s'était mis en tête de pénétrer chez Thérèse Badin, dont la demeure était désormais toute proche ; il avait même ébauché un plan, dont l'extravagante naïveté plaisait à son imagination.

Il comptait frapper bravement à la porte de l'hôtel coquet, acheté par la fille de Guillaume Badin, et traiter les valets de Thérèse comme il avait fait pour la famille Séverin.

La plume est lente, nous avons mis beaucoup de temps à raconter dans ses détails l'évasion de notre cavalier; mais, par le fait, les événements avaient marché très vite, et quand Fortune arriva devant l'hôtel de Thérèse Badin, au coin de la rue des Saint-Pères et du quai, minuit venait de sonner à l'horloge des Quatre-Nations.

Fortune tourna bravement le coin de la rue, mais il s'arrêta interdit à la vue d'un beau carrosse arrêté à dix pas de lui.

Le cocher et le laquais de ce beau carrosse avaient quitté leurs sièges et s'entretenaient à la porte même de l'hôtel.

Fortune fit un coude et passa comme un trait, bien heureux de n'avoir pas été aperçu par cette valetaille. Il rôda un instant sur le quai, allant et venant, car il n'avait plus de but.

Derrière l'hôtel de Thérèse, s'étendait un mur assez long, mais peu élevé, qui entourait un jardin pris, comme l'hôtel lui-même, sur les anciens terrains du Pré-aux-Clercs. Notre ami Fortune se dit après mûre réflexion :

- Il importe que j'entre par-devant ou par-derrière.

Et, prenant son élan, il fit un saut que n'eût pas désavoué le petit Bourbon lui-même. Ce saut, bien calculé, l'accrocha des deux mains au faite de la muraille, et, l'instant d'après, il retombait sur une plate-bande fraîchement labourée à l'intérieur du jardin.

C'était déjà quelque chose, Une fois là; il n'avait plus à redouter la curiosité des passants.

II pénétra sous une belle allée de tilleuls taillés et commença une promenade qui eût été fort agréable à deux, si le sort lui eût voulu rendre un pourpoint et des chausses.

Il se disait, toujours plein de sens dans ses réflexions :

- J'entendrai bien partir le carrosse, et il sera temps alors de prendre mes mesures.

Fortune quitta son allée de tilleuls et traversa le parterre pour se rapprocher de deux fenêtres éclairées.

Quand il fut en face des deux fenêtres illuminées, il vit sur l'une d'elles, dont les carreaux étaient doublés par une draperie en mousseline des Indes, deux silhouettes qui se détachaient comme une paire d'ombres chinoises.

C'était d'abord la taille d'une jeune femme svelte et hardie, c'était ensuite quelque chose de gros et d'informe qui pouvait bien être un homme chargé d'obésité.

- II n'y a pas à dire, pensait Fortune, cette fille-là est belle à faire perdre la tête, et je la crois bonne par-dessus le marché. Mais qui donc est ce galant qui semble d'ici plus gros qu'un éléphant ?

Fortune devait attendre un peu la réponse à cette question indiscrète; il eut le temps de faire plus d'un tour dans le parterre et de voir bien des fois la double silhouette grandir ou disparaître sur le rideau.

La dernière fois, le couple s'arrêta un instant tout près de la fenêtre. Thérèse se tenait droite et rejetait sa charmante tête en arrière; le gros galant, au contraire, se courbait en deux, et sur la mousseline, le profil de son dos était rond, comme celui d'un ballon.

Fortune le vit qui prenait respectueusement la main de Thérèse et qui la portait à ses lèvres, je ne sais pas s'il fut jaloux, mais il jura un peu la mule du pape.

Après ce baise-main, la lourde silhouette du galant s'exagéra en tous sens pour disparaître définitivement.

Thérèse restait debout auprès, de la fenêtre.

Au bout d'une minute écoulée, Fortune put entendre le bruit de la porte cochère qui s'ouvrait puis se refermait ; il y eut quelques mots prononcés à haute voix dans la rue, et le carrosse roula au grand trot vers le Pont-Neuf.

C'était le moment. Fortune se rapprocha de la maison et lança son bouquet vers les carreaux ; mais le bouquet, trop léger s'arrêta à moitié route.

- Thérèse ! appela Fortune.

Sa voix n'alla pas plus loin que le bouquet, car la silhouette s'éloigna des rideaux.

- La peste ! pensa notre cavalier; il ne faut pourtant pas qu'elle s'aille coucher comme cela !

Et, sans plus de façon, il prit à ses pieds une pleine poignée de gravier, qu'il envoya dans les carreaux.

Presque aussitôt après, la fenêtre s'ouvrit et Thérèse parut au balcon.

- Qui est là ? demanda-t-elle tout bas, d'une voix ferme et exempte de frayeur.

- C'est moi, le cavalier Fortune, répondit ce dernier.

Thérèse murmura : - Je pensais à vous.

Elle rentra et la porte fut refermée.

 

 

Où Fortune a peur d'être aimé.

 

Fortune se frotta les mains de tout son cœur.

- Avec cette belle fille-là, se dit-il, les choses vont toujours comme sur des roulettes ! elle ne prend pas de gants ; elle ne cherche jamais midi à quatorze heures. Je parie qu'elle va trouver moyen de m'habiller de pied en cap sans même envoyer chez le fripier !

« Et ce n'est pas mal aisé, interrompit-il, car, au pis aller, je prendrais les vêtements d'un de ses valets pour gagner la boutique de maître Mathieu, rue des Deux-Mules, qui m'accommodera à miracle, pourvu que j'aie de l'argent.

Une porte située immédiatement sous les fenêtres éclairées s'ouvrit.

- Et du diable, continua Fortune, si elle refuse de me prêter quelque argent sur ma bonne mine !

Ce dernier mot cependant le fit réfléchir, car, au lieu de rester au milieu de l'allée, il sauta par-dessus une plate-bande et se réfugia derrière une boule de lilas.

- Où êtes-vous ? demanda en ce moment Thérèse.

- Ceci mérite explication, répondit Fortune. Je me suis échappé voici une heure des prisons du Châtelet et cela ne se fait pas comme on veut. Je n'ai pas la toilette qu'il faut pour me présenter devant une dame.

- Vous n'avez gagné qu'une nuit, répliqua Thérèse; demain matin, vous auriez été mis en liberté.

- Par vos soins ?

- Par mes soins:

- La mule du pape ! s'écria notre cavalier, on m'avait bien dit que vous aviez le bras long.

Thérèse sortait en ce moment de l'ombre portée par la maison, et la lumière de la lune l'éclairait.

Fortune vit qu'elle était en grand deuil.

- Si j'osais, reprit-il, je vous dirais que j'ai été étonné de ne vous point voir hier dans ma prison.

- J'ai songé d'abord à mon père, répondit Thérèse; mais vous m'avez dit : « Je vous aime », à une heure et en un lieu que je n'oublierai jamais.

- Ceci mérite encore explication, voulu interrompre notre cavalier.

Mais elle l'arrêta; disant avec quelque impatience :

- Montrez-vous, s'il vous plaît. Qu'importe le costume ?

- Corbac ! répondit Fortune, il importe du moins d'avoir un costume quelconque, et à part mes souliers que j'ai eu la précaution de garder:..

- Vous vous êtes sauvé à la nage ? demanda Thérèse.

- Je me suis sauvé en noyé, répondit Fortune, et j'y pense, je mettrais aussi bien une robe qu'un pourpoint; tout ce que je désire, c'est d'être couvert pour la décence, d'abord, ensuite pour un petit vent frais qui va me donner le mal de gorge.

Thérèse resta un moment pensive.

- Vous n'aviez dans Paris personne autre que moi chez qui vous réfugier ? demanda-t-elle.

- Oh ! si fait, répondit Fortune, mais je ne sais pas comment vous dire cela : je n'ai pas honte de paraître devant vous dans une position malheureuse ou ridicule.

Thérèse lui montra de la main un pavillon situé à l'autre extrémité du parterre et dit :

- Entrez-là, je vais vous apporter des vêtements.

Elle se dirigea en même temps vers la maison.

Fortune attendit qu'elle eût passé le seuil et traversa de nouveau le parterre pour gagner le pavillon dont la porte était ouverte.

- Vous êtes là ? demanda en dehors la voix de Thérèse déjà revenue.

- Je suis là, répondit Fortune.

Tenez, reprit Thérèse, qui lança un paquet dans le pavillon, voici des habits : ce sont ceux de mon père.

Fortune fut frappé.

- C'est bien cela ! dit-il, et si ce n'est pas une épreuve, je vous remercie.

- Ce n'est pas une épreuve, répondit la Badin de sa voix ferme et froide. J'ai besoin de causer avec vous, dépêchez ! Vous me trouverez dans l'allée des tilleuls.

Le pavillon était une salle de bains. Quoiqu'il n'eût qu'un rayon de lune pour voir à faire sa toilette, notre cavalier ne fut pas long. Après une large ablution qui effaça définitivement les traces de son passage dans le caveau, il revêtit en un clin d'œil les habits de Guillaume Badin et sortit à la recherche de Thérèse.

Thérèse l'attendait sous les arbres. Elle lui laissa prendre sa main, qui était glacée comme un marbre.

- Je ne suis pas un grand clerc, dit Fortune dont la voix était sincèrement émue, et du diable si je saurais expliquer ce que j'éprouve pour vous, mais quand je vous ai dit : « Je vous aime », c'était la vérité, et si vous avez besoin de mon sang, prenez-le.

La Badin répondit :

- J'ai besoin de venger mon père.

- Alors, vous ne m'aimez pas ? demanda Fortune avec un singulier accent où il y avait presque de la joie.

Comme elle tardait à répondre, il ajouta :

- C'est que, voyez-vous, si vous m'aviez aimé, je sens que je serais devenu fou. Or, de plus fins que moi pourraient vous expliquer la chose, moi je me borne à vous dire ceci : « Je crois qu'il y a une autre femme qui me tient au cœur encore plus que vous; je crois que cette femme-là, ou plutôt cette chère fillette car c'est presque une enfant, s'en irait mourant si je ne l'aimais pas... et peut-être que je ne l'aimerais pas si vous m'aimiez.

Thérèse répondit enfin :

- Vous êtes un brave garçon.

« Il faut aimer celle qui vous aime.

Mais en achevant cette phrase ambiguë, un soupir lui échappa.

- En un mot comme en mille, demanda Fortune brusquement, m'aimez-vous, oui ou non ?

Certes, les belles dames qui l'avaient pris pour le duc de Richelieu ne s'y seraient pas trompées en ce moment. M. le duc avait une autre manière de faire sa cour.

Thérèse Badin eut un sourire triste.

- Mon père et moi, dit-elle, nous étions tout l'un pour l'autre. C'était un grand, c'était un bel amour, et il me semblait qu'aucun autre amour ne pouvait entrer dans mon cœur. On ne le connaissait pas, mon père; pour tout le monde il a été, pendant de longues années, le pauvre artiste qui vendait son talent pour un morceau de pain au maître de musique de l'Opéra; pour tout le monde encore et pendant quelques jours, il a été un fou que le démon du jeu possédait. Mon père n'a jamais montré le fond de son âme qu'à ma mère, qui est morte quand j'étais encore un enfant, et à moi dès que j'ai eu l'âge de comprendre. Mon père était un noble esprit, un cœur d'or; mon père ne ressemblait pas plus à tous ces hommes que j'ai vus passant et bourdonnant autour de moi que cette blanche lumière de l'astre qui est au ciel ne ressemble aux lueurs fumeuses d'un flambeau. Tant que j'ai eu mon père, il ne me restait rien à désirer en ce monde, et pourtant c'est bien vrai, une inquiétude s'est emparée de moi un jour, une folie a saisi mon cerveau, un trouble s'est rendu maître de mon cœur ou de mes sens : c'est mon secret, je ne le dois à personne et je ne le vous dirai pas. Mon père est mort de cette maladie qui a changé mon être. J'essayais de monter, j'essayais de grandir pour mettre mon sourire au niveau des regards d'un homme. Je ne sais plus si je hais cet homme ou si je l'aime.

- Et moi, belle dame, interrompit Fortune, je veux être brûlé vif si je comprends un mot de votre histoire ! A moins, interrompit-il vivement et comme s'il eût été frappé d'une idée subite, à moins qu'il ne s'agisse encore de cette détestable ressemblance !

Les beaux yeux de Thérèse se baissèrent et notre cavalier crut la voir pâlir.

- Vous n'êtes pas pour moi le premier venu, reprit-elle doucement, je vous l'ai déjà prouvé par trois fois. N'essayez point de percer un mystère qui est peut-être au-dessus de votre portée. Quel qu'ait été mon caprice, mon amour, si vous voulez, le charme est rompu, je le crois, je l'espère. Ma vie a désormais un autre but : j'ai besoin d'aide, voulez-vous me servir ?

- Eh bien ! par la corbleu ! s'écria rondement Fortune, vous me tirez d'un mortel embarras, et je reconnais là mon étoile ! Assurément un cavalier tel que moi ne se gêne pas pour voltiger de belle en belle, comme un papillon qui fait son choix entre les fleurs; mais depuis que j'ai revu certaine jeune fille que j'avais laissée enfant lors de mon départ pour les pays d'aventure, j'ai le caractère bien changé et je ne me reconnais plus moi-même. C'est marché conclu, je vous servirai de mon épée et de mes conseils, et voici mon premier conseil : si j'ai bien compris votre parabole, vous nourrissez ou avez nourri quelque joli caprice pour cet ogre blanc et rose qui est maintenant à la Bastille ?

Thérèse secoua la tête lentement et dit :

- Vous avez mal compris.

Puis elle ajouta :

- Si vous voulez parler de M. le duc de Richelieu, il est en liberté depuis quarante-huit heures.

-Alors, que Dieu nous protège ! s'écria Fortune ; il a eu déjà le temps de mettre en train quelque noire diablerie; mais un bon averti en vaut deux ; je sais sur quel chemin lui couper le passage, et quand le diable y serait, je ne me sens pas plus de répugnance à couper la gorge d'un duc et pair qu'à tordre le cou d'un canard !

Ils avaient quitté l'allée des tilleuls et traversaient le parterre pour se rapprocher de la maison.

- Si vous me servez, dit Thérèse, il faudra être à ma disposition quelle que soit l'heure du jour ou de la nuit; je ne vous laisserai pas le temps d'accomplir une autre besogne.

Fortune haussa les épaules et répliqua :

- Deux autres besognes s'il le faut, ma belle patronne, et trois aussi, et dix au besoin ! Vous ne connaissez pas l'homme que votre bonne chance a jeté sur votre route ! Tout en faisant vos affaires, j'ai une princesse à protéger et à doter, un prince à délivrer et à marier, et, par-dessus le marché, ma propre personne à garer contre les gens de la police, sans compter ce pauvre La Pistole, à qui je veux du bien, et ce duc de malheur avec qui je veux me rencontrer nez à nez un jour ou l'autre. En conséquence de quoi je vous prierai de m'indiquer la chambre ou je dois reposer, car j'ai grandement sommeil, et il faut que je sois debout demain matin à la belle heure.

Ils étaient entrés à l'hôtel par la petite porte qui s'ouvrait sous les deux fenêtres éclairées. L'escalier qu'ils montèrent les conduisit précisément dans la chambre dans laquelle Fortune avait vu deux ombres se dessiner sur les rideaux. Il entra sans façon, comme il faisait toute chose, et promena son regard réjoui sur le luxe coquet de cette pièce qui servait de petit salon.

- La mule du pape ! dit-il en se laissant tomber, de son haut sur les coussins rebondis d'une bergère, je serai ici tout aussi bien qu'ailleurs, et si vous n'avez pas d'autre chambre à me donner, je me contenterai pour le nuit de cette retraite. Je suis si las que je ne vous demanderai même pas à souper.

Thérèse, qui était toute rêveuse, jeta sur lui un regard et détourna les yeux. Elle avait pris un flambeau et s'apprêtait à se retirer, lorsque Fortune dit tout à coup :

- J'allais oublier de vous demander le  nom du gros galant qui m'a fait croquer le marmot ici dessous dans le parterre.

- Si nous parlons de celui-là, prononça Thérèse à voix basse, vous ne dormirez peut-être pas de longtemps.

- Allez toujours.

Il croisa ses jambes l'une sur l'autre et se renversa voluptueusement.

- La personne qui sort d'ici, murmura Thérèse, est Chizac-le-Riche.

- Ah bah ! fit notre cavalier, voici un bonhomme qui s'arrange de manière à ce que j'entende parler de lui bien souvent !

- Il venait me rendre compte, répondit Thérèse, des recherches qu'il a faites pour retrouver l'assassin de mon bien-aimé père. Il m'a parlé de vous:

- En vérité ? J'ai idée, moi, que je vous parlerai de lui un jour ou l'autre.

- Il ne vous accusait pas formellement, poursuivit Thérèse.

- De sa part, c'est bien de la bonté !

- Mais, poursuivit encore la belle Badin, il garde un doute à cause de ce La Pistole dont vous avez prononcé le nom tout à l'heure et qui est maintenant sous la main de la justice.

- Pauvre mouton ! murmura Fortune. Vous qui êtes une personne d'esprit, Thérèse, que pensez-vous de ce Chizac ?

- Il a gagné quatre millions avant-hier, répliqua la Badin, deux hier dans la matinée, et l'après-midi, il a fait une rafle de cinq millions.

- Onze millions en quarante-huit heures, supputa Fortune, c'est un assez joli denier. Je ferai de mon mieux pour me procurer un bout de la corde qui le pendra.

Les regards brillants de Thérèse étaient sur lui.

- Avez-vous un soupçon ? prononça-t-elle tout bas.

Et comme Fortune tardait à répondre, elle ajouta :

- Ce n'est pas possible ! il est si riche !

- C'est vrai, il est si riche ! Et à vrai dire je n'avais pas de soupçons.

- Mais alors pourquoi a-t-il tendu un piège à ce pauvre La Pistole ?

Une flamme sombre était dans les yeux de Thérèse.

- Il y a quelqu'un, dit-elle, qui répondra à cette question.

- Et ce quelqu'un là ?

- C'est maître Bertrand, l'inspecteur.

- Sang de moi ! dit Fortune en se redressant d'un saut, j'avais oublié cet original !

- Il est adroit, poursuivit Thérèse, il est hardi...

Fortune l'interrompit et acheva :

- Il est mort !

Thérèse ouvrit ses yeux tout grands et se souleva, les deux mains crispées sur les bras de son fauteuil.

- Il est mort, répéta-t-elle ; l'inspecteur Bertrand est mort !

En quelques paroles Fortune lui raconta sa fuite et son passage dans le caveau de la Montre.

- Il avait été déposé à la hâte sur la table de pierre, acheva-t-il, et il n'était pas même étendu comme il faut. Sa blessure ressemblait à celle de Guillaume Badin.

- Vous croiriez ?... commença Thérèse dont la pâleur était livide.

- Je crois comme vous, interrompit Fortune, que l'inspecteur Bertrand était un homme adroit et hardi. Peut-être en savait-il trop long.

Thérèse frissonna et pensa tout haut :

- Mais pourquoi ? pourquoi ?... un homme si riche !

Fortune hocha la tête et conclut :

- Je vous l'ai dit : c'est très curieux; et il y aura plaisir à débrouiller cette affaire-là.

 

Lire les pages V-VIII.

Retour à la page consacrée à Paul Féval.

Autres ouvrages en ligne.

Retour à la page d'accueil.