1829-1915.

 

L'auteur de ces deux notices est Michel Federspiel.

 

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Rulaman.

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Présentation de l'auteur.

David Friedrich Weinland, l'auteur de Rulaman, naquit en 1829 dans le village de Grabenstetten, dans le Jura souabe, entre Tübingen et Ulm, sur les lieux mêmes qui serviront de cadre à son Rulaman. Après quatre années de théologie à Tübingen, il se tourna vers les sciences naturelles, pour lesquelles il se sentait plus de dispositions. Sa courte carrière d’universitaire s’exerça à Berlin, à Francfort, à Boston (1855-58), puis de nouveau en Allemagne, jusqu’au jour (1863) où une maladie contractée aux Etats-Unis l’obligea à se retirer d’abord sur les terres familiales, où il vécut chichement du petit bien de sa femme comme gentleman-farmer, avant de s’installer à Esslingen, puis à Baden-Baden et enfin à Hohenwittlingen, toujours dans le Jura souabe. Mais il garda toujours le contact avec les sciences naturelles, multipliant les observations de naturaliste de terrain, collaborant à des encyclopédies et faisant des conférences. Au total, on a de lui environ 150 articles ou notices, portant principalement sur la zoologie. Ses quatre fils ont tous embrassé une carrière scientifique. Il est mort en 1915, reconnu par ses contemporains à la fois comme naturaliste et comme romancier.

Ce qui frappe, chez Weinland, c’est la variété et l’étendue de ses curiosités intellectuelles. A ses multiples contributions de zoologiste dans des secteurs variés (oiseaux, amphibiens, parasites, reptiles), il a joint un goût passionné pour l’ethnologie, à laquelle il s’était initié lors de grands voyages d’études faits aux Etats-Unis, au Canada et en Haïti pendant son séjour américain, ainsi que pour la paléontologie et la paléoanthropologie naissantes. Il s’est aussi intéressé à la linguistique de son temps, notamment à la linguistique comparée des langues indo-européennes, inventée peu de temps avant sa naissance, ainsi qu’aux langues primitives. Il faut mentionner encore son intérêt pour l’histoire générale ou nationale et pour les problèmes philosophiques que posaient les sciences naturelles de son temps (par exemple, on a de lui des recensions des ouvrages de Darwin, où il se montre un fervent partisan de la théorie évolutionniste).

Si Weinland a laissé une trace non négligeable dans l’histoire des sciences naturelles du XIXe s. (son nom a été donné à quelques espèces de batraciens), les ouvrages qui ont fondé sa gloire sont deux romans pour la jeunesse : un roman historique, Kuning Hartfest (voyez les sites Internet qui le mentionnent et l’analysent - par exemple http://www.jadu.de/mittelalter/germanen/klinglari.html et http://www.hist-rom.de/rez/weinkuni.html) qui raconte les luttes des Germains contre les Romains à l’époque d’Arminius, et surtout un roman préhistorique, Rulaman. Il est dommage que Rulaman et son auteur soient si peu connus en France. Triple obstacle : un roman allemand, un roman d’aventures, un roman pour la jeunesse ; si l’on songe au temps qu’il a fallu pour reconnaître Jules Verne comme un auteur de premier plan, on ne s’étonnera pas trop de la place réservée à Weinland en France (ou ailleurs : il n’est même pas cité dans l’article de M. Angenot et N.Khouri, « An International Bibliography of Prehistoric Fiction », Science-Fiction Studies, 8, 1981, p. 38-53, qu’on trouvera aussi sur l’Internet).

Michel Federspiel

 

 

(La matière de cette notice est empruntée au riche article de Hans BINDER, « David Friedrich Weinland, Zoologe, Jugendbuchautor (1829-1915) », Lebensbilder aus Schwaben und Franken, vol. 13, 1977, p. 314-340.)

 

 

 

 

Rulaman.

Paru à Leipzig en 1878, Rulaman est le premier véritable roman préhistorique, bien antérieur à Vamireh (1892), qui ouvre la série des romans préhistoriques de Rosny. Comme le Robinson Suisse de Wyss, Rulaman a été d’abord un récit écrit pour les fils de l’auteur et lu dans le cercle des intimes ; c’est sur les instances de ses amis qu’il en a fait un livre. Theodor Heuss, premier président de la République fédérale allemande (1949-59) et fin lettré, tenait Rulaman pour le meilleur roman allemand pour la jeunesse. Ce n’est pas ce qu’il aurait dit s’il avait dû se contenter de la version française, qui a pourtant fasciné l’auteur de cette notice dans son enfance (éd. G.T. Rageot, coll. Heures Joyeuses ; je possède la quatrième édition, revue et augmentée, de 1944 ; il faudrait sans doute la comparer avec les précédentes et voir en quoi elle a été augmentée).

Si l’on veut goûter toutes les richesses de l’ouvrage, on en est réduit à lire Rulaman en allemand, par exemple dans l'édition procurée par la maison souabe Knödler (Rulaman, Knödler Verlag, Reutlingen 2003, avec une postface de H. Binder), ou sur l’Internet. Dans la belle réédition Knödler, cartonnée, beau papier, d’un prix modique, vous trouverez le texte intégral, assorti des illustrations d’origine, qui sont de deux sortes : celles qu’on trouve habituellement dans un roman d’aventures, où se donne libre cours la fantaisie du dessinateur, et les illustrations techniques procurées sans doute par Weinland lui-même (point à vérifier), qui montrent des squelettes de mégathériums, des pointes de flèches en os, des nasses de pêcheurs, des nucléi de silex, des haches de pierre ou de cuivre, etc. Vous y trouverez aussi, regroupées en fin de volume, toutes les notes accumulées par Weinland lors des rééditions successives, sur le climat, la végétation, la faune, la paléontologie, l’archéologie et même la linguistique, qui reflètent les multiples curiosités de l’auteur. Les illustrations scientifiques et les notes ont disparu de la version française, au nom d’une conception étriquée de ce qui fait rêver la jeunesse : qui n’a jamais rêvé, rappelle Michel Butor dans ses Lectures de l'enfance, sur la fameuse page de Jules Verne décrivant le cabinet de naturaliste du Capitaine Nemo ?

Nous sommes à la fin de l’âge glaciaire. L’Europe centrale, entre Neckar et Danube, est habitée par des hommes de petite taille à la peau jaune (un peu comme les Lapons actuels, explique Weinland), les Aimates, une tribu de chasseurs divisée en trois clans qui vivent dans des cavernes. A l’époque de Weinland, malgré un développement rapide de la recherche sur le terrain, la préhistoire était encore relativement mal connue ; l’auteur a télescopé les époques, puisque la fonte des dernières grandes calottes glaciaires s’est achevée il y a environ 7000 ans, c’est-à-dire bien avant l’arrivée des Celtes en Europe centrale, et on ne savait pas que nos ancêtres habitaient des abris sous roche (pourtant connus de Weinland, qui avait fait des fouilles) plutôt que des cavernes. Le climat s’était réchauffé, même s’il était beaucoup plus froid que de nos jours ; c’est la fin du mammouth, du rhinocéros laineux, du lion géant et de l’ours des cavernes, qui disparaissent sous les yeux du lecteur. L’auteur décrit d’abord la vie quotidienne des Aimates, et surtout celle du clan des Tulkas, où l’activité dominante est la chasse.

Le héros est Rulaman, fils du chef des Tulkas, un vaillant adolescent qui participe pour la première fois à la chasse au lion et à l’ours. Un autre personnage joue un rôle important dans cette histoire, la vieille Parre, mère de tous les hommes du clan, chargée d’ans et d’expérience, et qui a les attributs du chamane : elle soigne les maladies et les blessures, elle a des visions prophétiques. Après ces scènes palpitantes de chasse, on voit nos Aimates se diriger vers le sud, comme chaque été, au-delà du Danube, chez leurs frères installés au bord d’un lac. Ces Aimates pêcheurs habitent des palafittes, montent des barques monoxyles et capturent le silure géant d’Europe centrale au moyen de harpons en corne de renne ; ils font sécher le poisson ; leur vie est plus facile que celle des Aimates du nord, car la nourriture ne leur fait jamais défaut.

Au retour, un drame se noue : un conflit sanglant se déclenche entre les Tulkas et les Nallis, plus nombreux, qui habitent une autre caverne et sont gouvernés par un personnage ambigu, le Nargu. Rul, le père de Rulaman, est tué. La vieille Parre, une Nalli elle aussi et demi-sœur du Nargu, réussit à renouer les liens. Les trois clans se réunissent pour les grandioses funérailles de Rul, et la réconciliation est scellée par les fiançailles de la belle Ara, petite-fille du Nargu, et du jeune Obu, ami de Rulaman. L’hiver venu, les Tulkas, les Nallis et les Huhkas s’unissent pour une dangereuse partie de chasse aux urus et aux aurochs, ces bovidés des temps anciens qui gîtent dans les forêts au nord du Neckar. Ara, Obu et Rulaman tuent aussi un loup blanc, très rare, dont la peau n’est portée que par les chefs.

Mais un grave danger menace la tribu : l’arrivée des Calates (= Celtes), qui remontent lentement, depuis des siècles, la vallée du Danube, en même temps que de nouveaux animaux ou oiseaux qui vont occuper les niches écologiques ouvertes par le changement de climat. A vrai dire, les Aimates sont avertis depuis longtemps de cette menace, comme l’est aussi le lecteur dès le début du livre. Le père du Nargu a vécu chez les Calates et a épousé une Calate, mère du Nargu. Le Nargu lui-même fait depuis longtemps du commerce avec les envahisseurs de l’Est ; il leur envoie régulièrement des caravanes chargées de défenses de mammouths, de peaux de rhinocéros et d’ours, et reçoit en échange des objets de cuivre (« la pierre du soleil ») et surtout du koum (= koumys), ce lait de jument fermenté dont le Nargu est friand. – Il faut croire que le mot « koum » sonne comme un vrai mot primitif à la fin du XIXe siècle, puisque, dans ses Mines du Roi Salomon, Rider Haggard en fait le salut royal proféré par les guerriers Kakouanas sous les armes.

         Les Calates sont plus grands que les Aimates ; ils ont la peau blanche, les cheveux châtains et les yeux bruns. Ils portent des vêtements de laine et de lin ; ils ont des objets de cuivre et de bronze. Leur système social est très différent de celui des Aimates ; ils sont soumis à un chef de paix et de guerre et à un chef spirituel, le Druide. Les Calates s’efforcent d’abord de séduire les Aimates par des cadeaux et des manières aimables (c’est l’image classique des Français, polis et faux, comme les Persans, ces « Français de l’Orient », dit quelque part Karl May, l’exact contemporain de Weinland). Ils s’installent, bâtissent une forteresse consacrée à Belen (= Bélénos, le dieu du soleil des Celtes), cultivent la terre, élèvent des chevaux, des bovins et d’autres animaux inconnus des Aimates, des moutons, des chèvres et des chiens ; ils cultivent le millet et le blé et font du pain. Choc des civilisations. Les Calates proposent une alliance étroite avec les Aimates. Les Huhkas et les Nallis acceptent de travailler pour les Calates, en échange de pain et de koum.  Refus des Tulkas, instruits par la vieille Parre, qui voient dans cette offre une tentative déguisée de domination. Une partie conjointe de chasse aux rennes est organisée, où Rulaman devient ami du jeune Kando, le fils du chef calate ; la chasse se termine par un désastre des chasseurs calates, peu accoutumés à chasser cet animal. Les relations se tendent. Ara, la fiancée d’Obu, vient de disparaître ; la vieille Parre soupçonne les Calates de l’avoir enlevée. Accompagné de son oncle Repo, chef du clan, Rulaman se rend dans le village calate ; il observe avec curiosité le travail du cuivre et du bronze, des vêtements, du pain ; Gulloch, le chef calate, leur montre ses richesses, armes, bijoux de cuivre et de bronze, et leur présente sa fille, Welda (= Velléda), une ravissante jeune fille qui produit un effet certain sur Rulaman, avec sa carnation chaude, ses boucles de cheveux châtains, sa ceinture d’or et son collier d’ambre. Les soupçons sur l’enlèvement d’Ara se précisent dans l’esprit des Aimates, qui devinent où elle est retenue. Pour finir, Gulloch invite les Aimates des trois clans à la fête de Belen qui aura lieu au moment du solstice d’été.

Ce jour-là, les Aimates sont témoins de scènes barbares, comme celle du sacrifice – heureusement non accompli (Weinland écrit pour la jeunesse ; ce n’est pas comme Flaubert) – de jeunes gens au dieu du Soleil, organisé par le méchant druide. Puis le drame éclate : Obu est allé délivrer sa fiancée en tuant le garde ; les éléments se déchaînent ; le druide ordonne le massacre des Aimates mâles, qui succombent sous le nombre ; mais Gulloch est tué, comme de nombreux Calates. Blessé, Rulaman revient à la caverne, est soigné par la vieille Parre, qui finit par l’emmener dans une petite grotte plus sûre. Bien leur en a pris, car quelques jours après, les Aimates survivants sont enfumés et massacrés dans leurs refuges. Les mois passent tristement pour Rulaman et la vieille Parre, jusqu’au jour où Rulaman sauve la vie de son ami Kando. Revenu après quelques semaines chez les siens, Kando recouvre le pouvoir que le druide avait usurpé (ce druide n’est vraiment pas sympathique). Souvent il vient voir Rulaman avec sa sœur, et offre à son ami de devenir avec lui chef des Calates, où sont restées les femmes aimates qui avaient été épargnées. Le druide profite d’une absence de Rulaman pour tenter de tuer la vieille Parre, qui le précipite avec elle dans l’abîme, non sans avoir prophétisé la venue d’un autre peuple, vrai Fils du Soleil, aux cheveux blonds et aux yeux bleus comme le ciel, qui réduira les Calates en esclavage. On a compris qu’il s’agit des Germains, qui venaient justement, quelques années plus tôt, de vaincre la France de Napoléon III et de lui imposer une contribution de 5 milliards.

Le cœur du sujet est donc le choc de deux civilisations et la quasi-disparition de la plus faible. Weinland, comme on le voit dans sonintroduction, pense explicitement à la conquête de l’Ouest américain et à la disparition de ces Indiens qu’il a vus dans les années 1855 lors de son séjour aux USA. Pour les Aimates, sa reconstitution de leur vie quotidienne se fonde sur des analogies avec les peuples primitifs auxquels il s’est intéressé. Pour les Calates, il puise surtout dans la Guerre des Gaules de César. L’intrigue, la figure de Rulaman, de son père Rul, de son oncle Repo, de son ami Obu, de la vieille Parre, et même des Calates Kando et Welda, tout cela est bien dessiné ; comme Obu et Rulaman, le jeune lecteur est amoureux d’Ara et de Welda.

Mais le livre vaut d’abord par la force des représentations qu’il suscite (moins puissantes cependant que l’ouvrage de Haggard cité plus haut). Cette vie sauvage, où l’on pêche le silure géant, où l’on chasse le lion, l’ours, le loup, l’aurochs et le renne, fait rêver, comme aussi la description de la brillante civilisation calate. La férocité des mœurs calates fait trembler. En outre, le livre fourmille de détails sur le comportement des animaux et des oiseaux comme seul un naturaliste pouvait le faire ; les lieux sont décrits avec une minutie de géographe de terrain qui connaît chaque pouce de son Jura souabe (le livre comporte une carte sommaire, à laquelle on peut se reporter à tout instant). Enfin, un autre aspect fascinant de l’ouvrage tient aux notations linguistiques. L’auteur a créé plus de cent mots puisés dans diverses langues jugées par lui primitives, comme le groenlandais, le javanais ou le hottentot ; par exemple, c’est au hottentot qu’il a pris le mot « twoba » (éléphant) pour désigner le mammouth. Mais son domaine de prédilection est la famille des langues finno-ougriennes ; le nom hongrois du loup, « farka », lui a fourni celui du loup blanc ; le mot « Aimate » est lapon et veut dire « homme » ; il a emprunté aussi au lapon le nom du renne, « kadde » ; le nom de la caverne des Huhkas « hibou » a été pris au finnois ; Obu, l’ami de Rulaman, a un nom qui signifie « ours » en vogoul, etc. Enfin, à la fin du livre (chap. 30), lorsque Rulaman enseigne la langue aimate à son ami Kando, cela nous vaut une page entière de linguistique aimate, directement inspirée d’un article de Weinland sur la formation des mots dans les langues primitives (1877) ; ce passage a été scandaleusement supprimé de la version française.

     Qu’est-ce donc que Rulaman ? C’est un livre à visée pédagogique, aux accents parfois épiques, écrit par un homme doué d’un sens aigu du tragique historique et d’une imagination non seulement romanesque, mais aussi scientifique, historique, archéologique et linguistique. Comme Jules Verne, Weinland prouve que la science peut induire de puissantes rêveries archétypales qui n’ont rien à voir avec le brouet sentimental servi souvent aux enfants et aux jeunes gens. C’est aussi un roman d’éducation, un Bildungsroman, relatant les épreuves d’un adolescent qui, à travers l’expérience de la chasse aux animaux sauvages, de la violence entre les clans aimates et entre les Aimates et les Calates, de la mort des êtres chers, des sentiments de l’amitié (pour Obu et Kando) et de l’amour naissant (pour Welda), réunira les deux peuples ennemis et accomplira la prédiction de la vieille Parre pour devenir un chef calate.

     L’auteur de cette notice souhaite qu’il se trouve enfin un éditeur prêt à publier la traduction intégrale de l’ouvrage de Weinland, avec les notes et les illustrations.

 

                                                                                Michel FEDERSPIEL

 

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