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Comme Paul Féval père et fils, J. H. Rosny n’est pas un mais multiples : il y a à l’origine deux frères, Joseph Henri Boex, dit Rosny l’aîné (1856-1940) et Séraphin Justin Boex, dit Rosny le jeune (1859-1948). Mais là où Paul Féval nous fait découvrir une dynastie de la cape et épée française, les deux Belges s’illustrent d’abord dans une collaboration étroite, avant de mener chacun de leur côté une carrière littéraire avec un succès inégal. Les frères Rosny n’est pas un, mais trois auteurs : J. H. Rosny, entité bicéphale qui disparut avec la séparation de Joseph Henri et de Séraphin Justin en 1907, Rosny l’aîné, qui présidera à partir de 1896, l’Académie Goncourt, et Rosny le jeune, moins brillant et un peu oublié aujourd’hui. On
![]() Un monde perdu de Rosny le jeune. |
s’accorde en général pour dire que Rosny l’aîné, le plus talentueux des deux frères était l’âme du duo.
Si l’œuvre des Rosny est multiple,
c’est aussi qu’ils ont abordé, au cours de leur prolifique carrière, bien
des genres littéraires : romans sociaux (R. l’aîné, Marthe Baraquin,
1909, R. le jeune, Sépulcres blanchis, 1913), romans sentimentaux (R.
l’aîné, l’appel du bonheur, 1919), récits préhistoriques (Rosny
frères, Vamireh, 1892, R. l’aîné, La guerre du feu, 1909),
science-fiction archaïque (Rosny frères, Les Xipéhuz, 1887),
fantastique (R. l’aîné, La jeune vampire, 1920),
« mondes perdus » (Rosny le jeune, La contrée aux embûches,
Rosny l’aîné, L’étonnant voyage d’Hareton Ironcastle,
1922), romans historiques (R. l’aîné, Ambor le loup), et mêmes
des essais de vulgarisation scientifique (R. l’aîné, Les
conquérants du feu, 1929) et de
philosophie (R. l’aîné, Le
pluraliste, essai sur la discontinuité et l’hétérogénéité des phénomènes,
1919). On aurait peine à décliner l’ensemble des œuvres de ces auteurs,
d’autant qu’ils comptent à eux deux plus de cent ouvrages publiés.
Dans le domaine spécifique du roman d'aventures, l’importance de Rosny est double. D’abord, il est l'un des précurseurs dans le domaine du récit préhistorique (après Weinland et son Rulaman) dont il a inventé une partie des codes : depuis Rosny, ce type d’œuvres est systématiquement associé au motif de l’éveil de l’Humanité, la trame narrative mime les étapes d’une initiation, les mésaventures du héros sont autant de mise à l’épreuve de son humanité face à la sauvagerie primitive du monde et le style oratoire mise volontiers sur une tonalité épique. Mais l’influence de Rosny ne s’arrête pas au seul domaine du roman préhistorique, à l’étendue somme toute assez limitée; ses œuvres fantastiques et d’extrapolation scientifique ont largement contribué à faire basculer un pan du roman d’aventures dans
Un roman à la frontière des récits de mondes perdus et de la science-fiction. |
la science-fiction. Ses « mondes perdus »
ne se contentent plus, comme chez Rider Haggard (Queen
Sheba's Ring) ou Conan Doyle (The Lost World), de ressusciter des civilisations disparues, ils créent
des espèces nouvelles, à la frontière du règne végétal et animal, telles
les mimosées de L’étonnant
voyage de Hareton Ironcastle.
Parfois, il imagine la rencontre de civilisations passées – et en un sens pas
si éloignées de ses hommes préhistoriques – avec un peuple inconnu « absolument
dissemblable de notre règne animal ou végétal » (Les
Xipéhuz). Les
combats des hommes primitifs et des Xipéhuz nous offre la rencontre des récits
préhistoriques (ou des œuvres antiques, tel Ambor
le loup) et de ce
qu’on appellera par la suite la science fiction. Car les extrapolations que
Rosny tente dans ces récits et dans quelques autres (La
mort de la terre, La force mystérieuse…)
mettent en place un univers cohérent qui préfigure effectivement la
science-fiction, à tel point qu’on a pu le présenter comme le premier auteur
véritable du genre. Certes les structures du récit sont encore tributaires de
formes plus anciennes issues du roman d’aventures, mais finalement, ils ne le
sont guère plus que les romans de science-fiction moderne.
Si
les frères Rosny ont immédiatement fait usage d’une large palette générique,
ils se sont pourtant immédiatement réclamés de l’influence de Zola et du
naturalisme, ils participeront tous deux à l’Académie Goncourt, Edmond
Goncourt les ayant immédiatement distingué pour leur réalisme et « l’aspiration
artiste » de leur style. Mais ils se lient au mouvement au moment où
celui-ci éclate, et ils signeront le « Manifeste des cinq »,
violente attaque contre Emile Zola, pour aussitôt déplorer ce geste (Rosny
l’aîné regrettera en tout cas explicitement ce geste). L’ambiguïté des
relations des frères Rosny avec la littérature de l’époque se traduit par
la dualité de leurs romans qui hésitent entre un réalisme déjà désuet et
stéréotypé et un symbolisme des thèmes d’une part et une préciosité de
l’écriture d’autre part, qui caractérise la littérature fin de siècle.
Cet essai de Rosny, qui exploite le succès de La guerre du feu, éclaire la pensée de l'auteur sur cette période. |
Cette
aspiration à une honorabilité littéraire et stylistique fait des frères
Rosny (et de Rosny l’aîné en particulier) une figure à part du roman
d'aventures français au tournant du siècle : à une époque où les œuvres
se destinent à un lectorat populaire et enfantin, Rosny publie dans des éditions
prestigieuses, comme Flammarion, et jouit d’une véritable reconnaissance dans
les milieux littéraires. Certes, son image est ternie aujourd’hui, et
certaines affectations stylistiques agacent, telles ces formulations souvent
gratuites : « en zigzags de lazulite » (pour décrire un vol de
libellules), « la mort fut dans son âme », « c’est au matin »,
« les rebondissements des organismes colossaux ». Mais ce style, qui
rappelle parfois, toutes proportions gardées, dans sa façon de mêler des terminologies scientifiques
et des préciosités lyriques, l’écriture d’un Villiers dans
L’Eve
future, ne doit
pas être perçu comme une pure gratuité. Il traduit une volonté d’élever
l’aventure à sa dimension épique. Dans les romans préhistoriques, l’écriture
participe d’une étrangeté de l’univers décrit, et rend palpable le décalage
dans le temps, l’espace et les actes des personnages. Lorsqu’un personnage
se dresse, dans les premières pages de La
guerre du feu,
pour exprimer son désespoir, il le fait dans un langage éloigné des
grognements auxquels nous avait habitués la version cinématographique de
Jean-Jacques Annaud : « Que feront les Oulhamr sans le Feu ?
cria-t-il. Comment vivront-ils sur la savane et la forêt, qui les défendra
contre les ténèbres et le vent d’hiver ? Ils devront manger la chair
crue et la plante amère ». Plus recherchée encore est la description du
monde : « longtemps, il se trouva dans cette obscurité sans astre
qui avait retardé sa fuite. Puis, une clarté filtra à l’Orient. Répandue
avec douceur dans la mousse des nuages, elle descendit comme une nappe de perles »
(La guerre du feu).
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Ce procédé n’est pourtant pas réservé aux seuls romans préhistoriques. Ainsi, cette description d’un des personnages, extraite de L’étonnant voyage de Hareton Ironcastle : « ayant ôté son masque et son manteau métallique, Muriel rêvait
devant
le grand Orion, constellation de la terre natale, et la Croix du Sud qui
symbolisait la terre inconnue. Philippe s’enchantait auprès de cette fille
pareille aux oréades, aux napées qui se lèvent dans l’aube des forêts, aux
ondines qui jaillissent des lacs crépusculaires. Dans la solitude sinistre,
elle concentra les songes de l’homme ». Il n’est pas surprenant que
les effets de style se confondent avec les références mythiques, puisque
l’ambition de Rosny est d’élever l’aventure de ses personnages au niveau
de l’épopée. Rosny ne se contente pas de narrer les aventures de ses
personnages, il tente de leur donner un sens exemplaire, de leur donner une
dimension mythique. En effet, l’aventure des personnages participe souvent de la fondation d’un monde : celle d’une humanité naissante (Vamireh),
celle de l’avènement d’un peuple (Eyrimah),
celle associée à la maîtrise du feu (La
guerre du feu)…
mais les récits futuristes ou fantastiques participent également de cette
dimension mythique, telle la découverte d’une espèce supérieure (L’étonnant
voyage de Hareton Ironcastle,
Les Xipéhuz),
telle cette évocation d’un moderne déluge dans « Le cataclysme »
ou La mort de la terre.
Alors que plusieurs de ses romans ont été constamment réédités depuis l'origine, l'oeuvre de Rosny a été assez peu étudiée.
On trouve cependant quelques textes intéressants sur cet auteur:
- Honneur à l'internet: on trouve une étude très intéressante sur La guerre du feu, par Eric Lysoe, professeur à l'université de Mulhouse: "La guerre du feu, une vision épique de l'évolution".
- Il existe un ouvrage très ancien, J. H. Rosny, le préhistorien, l'animalier, le romancier, le critique, par P. Massé (1937) qui correspond malheureusement à une vision critique datée.
- Un article de Daniel Couégnas est consacré à "Rêver la science: romans préhistoriques de Rosny et Wells", Fictions, énigmes, images, Limoges, PULIM, 2001.
-L'édition des oeuvres préhistoriques dans la collection Bouquins comporte également une bonne introduction par Jean-Baptiste Baronian.
Quelques exemples parmi la multitude d'éditions de La Guerre du feu. |
Où trouver les oeuvres de cet auteur?
- Plusieurs romans de Rosny sont encore édités aujourd'hui: outre La guerre du feu, disponible dans plusieurs éditions pour la jeunesse (certaines sans doute adaptées), Bouquins a édité l'ensemble des textes préhistoriques ainsi que Les Xipéhuz et La grande énigme en un seul volume, Le Castor Astral a fait paraître La jeune vampire, et Ombres a publié ensemble Les Xipéhuz, la mort de la terre et la force mystérieuse. Les Bretons pourront par ailleurs lire deux traductions en breton de romans préhistoriques.
- Faites une recherche sur abebooks.fr, toujours riche en oeuvres d'occasion.
On peut télécharger en mode image (faible qualité) Les cinq sous de Lavarède sur le site de la Bibliothèque nationale: Bibliothèque Nationale de France (nécessite Acrobat Reader).
- Vous trouverez également des adresses de bouquinistes spécialisés dans la littérature populaire sur ma page d'adresses.