1857-1924.

 

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Conrad et le roman d'aventures.

Bibliographie.

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Généralités.

Joseph Conrad est certainement le plus réputé des auteurs de romans d'aventures et, avec Robert Louis Stevenson, celui qui a eu la plus grande influence dans l’évolution du genre. L’ascendant de Conrad sur la littérature occidentale est cependant beaucoup plus large que celle de Stevenson, et elle fait de lui l’une des figures fondatrices de la modernité. Son influence est en particulier très grande sur les auteurs français de la première moitié du XXe siècle : André Gide (Le voyage au Congo), le premier Malraux (Les conquérants, La voie royale), Blaise Cendrars (il y a du Lord Jim dans le Jean Galmot de Rhum) ou Jacques Rivière ont subi directement l’influence de l’auteur ; Quant à Louis Ferdinand Céline, il conçoit l’épisode africain de son Voyage au bout de la nuit comme une réécriture d’Au cœur des ténèbres. Dans une moindre mesure, les noms de Joseph Kessel, André t’Serstevens ou, ailleurs, John Masefield, Bernard Traven ou Ernest Hemingway doivent être rapportés à l’œuvre de Conrad.

Eléments biographiques.

Né en 1857, mort en 1924, Conrad est au croisement de deux siècles, de deux esthétiques. Il reste profondément lié à l’esthétique du romance, celle de Stevenson et du roman d'aventures, et s’inscrit, plus lointainement dans la tradition du romantisme. Mais il est également un écrivain du XXe siècle, qui met en cause l’univers du romance des victoriens et des edwardiens, pour leur substituer une esthétique dans laquelle les questions de l’écriture, de la parole, et de leur faculté à dire le monde, deviennent des préoccupations fondamentales. Thématiquement, cela se traduit par une nostalgie pour un monde déjà mort, celui de la marine à voile (voir La flèche d’or), de l’aventure romanesque (Lord Jim), de l’héroïsme (Nostromo) et de l’aventure coloniale (Au cœur des ténèbres). Mais cette nostalgie est perçue par l’auteur comme une illusion rétrospective : ce monde qui a nourri l’imaginaire du romance n’a jamais existé, c’est une création de l’esprit, et ceux qui tentent de le faire advenir sont condamnés, comme Kurtz ou Lord Jim, à une fin tragique.

De son vrai nom Teodor Jósef Konrad Korzeniowski, Joseph Conrad est né en Pologne, à l’époque où celle-ci est sous domination russe. Son père est nationaliste, et il est possible que cette situation de « colonisé » ait influencé son jugement futur, dans ses romans, sur le colonialisme britannique (jugement qui, s’il ne peut être considéré comme fondamentalement critique, est en tout cas loin de l’adhésion). L’intérêt de ses parents pour les idées nationalistes a sans doute aussi expliqué l’importance dans son œuvre des figures de révolutionnaires, comme dans L’agent secret ou Sous les yeux de l’Occident. Les opinions des parents de Conrad les conduira à l’exil.

A la mort de  ses parents, Conrad, orphelin à 11 ans, est recueilli par son oncle. En 1874, il décide de quitter la Pologne pour s’engager dans la marine, par goût pour l’aventure (goût que nourriront ses lectures du capitaine Marryat, comme il en témoignera dans certains de ses essais). Il s’engage d’abord dans la marine française, en 1875, puis dans la marine anglaise. En 1886, il passe avec le succès l’examen de capitaine. Conrad marie cependant la formation et l’expérience du marin avec une véritable culture lettrée : son père était traducteur et écrivain. Authentique marin, contrairement à un Emilio Salgari, Conrad ne va pas cependant faire l’éloge de la vie maritime, contrairement à l’autre capitaine, Marryat (dont les dessins de « midshipman » témoignent pourtant de la violence qu’il avait eu à subir dans cet univers cruel), et l’ expérience de Conrad se traduira par une série de désillusions. Aux valeurs de la navy diffusées par Marryat dans Masterman Ready ou Mr Midshipman Easy, Conrad va opposer la réalité d’une existence peu glorieuse, celle de Jim ou de Marlow. L’évocation de l’univers de la mer se retrouve dans des romans comme Typhon, qui joue sur la proximité qui existe entre l’héroïsme et la stupidité, comme Le nègre du Narcisse qui évoque, après Hermann Melville et son Billy Budd, la violence du monde des marins, comme Lord Jim, dans lequel les rêveries d’héroïsme maritime du personnage principal ne résistent pas à l’épreuve des faits, ou comme Au cœur des ténèbres, dans lequel le voyage maritime se dégrade en voyage fluvial dans un rafiot.

On le voit, Conrad se nourrit de son expérience de marin pour écrire ses récits : il s’inspire dans Nostromo de son voyage au Nicaragua (1877) ; de ses voyages en Asie (1884 à 1888), il tire l’univers d’Un paria des îles, de La folie Almayer et de Lord Jim. Son voyage au Congo (1890), seul voyage qu’il a fait avec le titre de capitaine, nourrit l’intrigue d’Au cœur des ténèbres et d’ « Un avant poste de progrès ».

Conrad commence à écrire alors qu’il est encore marin. Sa première œuvre, La folie Almayer, paraît en 1895, bientôt suivie d’Un paria des îles, avec lequel elle forme un diptyque. Par la suite, le peu de succès du marin conduira l’auteur à se tourner vers le seul métier des lettres. On considère généralement que la grande période romanesque de Conrad s’étend de 1895 à 1911. Par la suite (à partir de Fortune, en 1912), son style et son imagination s’épuisent un peu. Conrad meurt en 1924.

 

Conrad et le roman d'aventures.

L’œuvre de Conrad est profondément liée aux imaginaires du récit de voyage et du roman d'aventures, que l’auteur ne cesse d’interroger de roman en roman. Il le fait en combinant les approches contradictoires des deux esthétiques dominantes de la littérature anglaise du XIXe siècle : le romance (littérature d’imagination) et le novel (littérature réaliste). Comme l’a montré R. M. Stauffer dans Joseph Conrad, His Romantic-Realism, l’association de ces deux esthétiques jusqu’alors fondamentalement opposées (en particulier par Stevenson qui théorise leur incompatibilité dans plusieurs de ses essais) est une des clés d’analyse de son œuvre. Ce critique met en évidence un certain nombre de niveaux dans lesquels Conrad fait jouer l’opposition entre réalisme et romance. Elle montre ainsi que la structure du récit n’obéit pas, chez cet auteur, à une forme épisodique, comme dans la plupart des romances, où la succession événementielle est aisée à mettre en évidence (puisque l’action est centrale), mais que les péripéties privilégiées, souvent extraordinaires, s’inscrivent néanmoins dans la tradition romanesque : tout se passe comme si un récit romanesque était relu dans une perspective réaliste, converti en un puzzle narratif d’interprétations, qui tenteraient d’expliquer l’expérience et l’aventure du personnage. Ainsi, les combats de Jim dans la jungle n’ont de sens que si on les envisage dans leur relation à l’existence et aux failles du personnage (Lord Jim) ; la lutte des marins dans la tempête peut s’expliquer selon deux conceptions du monde, celle du capitaine, d’une rigueur absolue au risque de tout perdre, et de ses seconds, qui cherchent à survivre (Typhon) ; et le voyage dans les territoires sauvages de l’Afrique pour récupérer le responsable d’un comptoir commercial devient une plongée dans l’inconscient (Au cœur des ténèbres). Les événements deviennent le reflet du personnage et se combinent pour l’expliquer.

De même, événements et décor témoignent de la position ambiguë de Conrad. On retrouve chez cet auteur une fascination pour le dépaysement, non seulement pour les régions lointaines, mais pour les événements inhabituels, pour les âmes étrangères et les cœurs bouleversés ; affirmer cela, c’est souligner également l’influence de la tradition du romance sur les thèmes développés par Conrad, mais relus dans une perspective réaliste. Quand Conrad emprunte aux thèmes des intrigues sentimentales (Fortune), des récits maritimes (Typhon), des romans exotiques (Un paria des îles, Au cœur des ténèbres…), ou au courage des figures chevaleresques et romanesques (Lord Jim, Nostromo…), il replace non seulement ces thèmes dans une perspective réaliste, mais repense les stéréotypes du romance d’un point de vue critique : on n’agit plus impunément dans le monde ; chaque action s’inscrit dans une chaîne de réactions et d’interprétations, et les conséquences de leurs actes échappent bien souvent aux personnages.

On le voit, la relation au romance et au novel met en jeu la définition du roman d'aventures pour Conrad, mais aussi, celle du récit de voyage, qui hésite traditionnellement entre un goût pour la rêverie dépaysante et une volonté de peindre fidèlement le monde.

C’est peut-être dans Au cœur des ténèbres que l’articulation entre romance et novel apparaît le plus nettement. Elle se traduit en effet par un emprunt à l’autobiographie et au récit de voyage (s’appuyant sur les déboires survenus à Conrad lors de son voyage au Congo), mais reformulé dans une perspective romanesque qui s’inscrit dans la tradition du roman d'aventures exotiques dont il peut être lu comme une interprétation des ambiguïtés et des mythes.

Dans cette œuvre, Conrad reprend bien des traits de son voyage : même engagement à Bruxelles, même déception lorsqu’il découvre qu’il va commander un simple navire fluvial, même dégoût pour la violence du colonialisme français (la scène de la canonnière tirant absurdement sur la jungle semble être authentique) et du colonialisme belge (les morts le long de la route, les prisonniers, les blessés et les agonisants…), même type de contretemps grotesques, même retour profondément pessimiste en Europe. Il manque cependant l’essentiel, la rencontre avec Kurtz et l’expérience de l’abîme. Or c’est ce qui fait le caractère fondamentalement fictif de l’œuvre : Conrad convertit une expérience somme toute banale en réflexion à la fois sur le colonialisme, sur la nature humaine, et sur la fiction. Le colonialisme est présenté comme une expérience de l’absurde, il est voué à l’échec et à la cruauté (et en cela, Conrad radicalise le discours développé par le diptyque d’Almayer, dans lequel le le point de vue des autochtones venaient pondérer le discours colonial sans le remettre fondamentalement en cause) – mais c’est le colonialisme dans ses formes françaises et belges qui est critiqué, pas celui des Anglais. Cette crise vient de ce que la nature sauvage de l’Afrique révèle la sauvagerie fondamentale de l’homme, cette wilderness (qui est aussi wild, folie) qui est fondamentale dans l’imaginaire du roman d'aventures anglo-saxon – et qui témoigne de ce que l’homme peut à tout moment basculer dans la sauvagerie. C’est donc aussi une réflexion sur le romance et le roman d’aventures qui est proposée. En confrontant l’imaginaire du roman d'aventures (celui de l’aventurier roi, de la conquête coloniale, du conflit entre civilisation et sauvagerie et de la fascination horrifiée pour la violence) à des pratiques d’écriture réalistes (l’introspection, l’analyse psychologique…), Conrad met en évidence son caractère essentiellement mythique. Kurtz est un être de langage, une légende qui n’apparaît comme un héros solaire (et, de plus en plus, comme un soleil noir) que tant qu’il n’existe que par la seule magie de la parole (de la fiction). Mais la réalité fait voler en éclats la rêverie héroïque qui s’était construite autour de Kurtz : l’aventurier roi, le surhomme, dès lors qu’on le rencontre, n’est qu’un monstre, « creux de l’intérieur », comme sont creux ces être de papier que sont les fonctionnaires coloniaux.

L’expérience du héros de Lord Jim sera la même. Lui qui, à force de lire des romans d'aventures, rêvait de devenir un héros romanesque, découvre lors d’un naufrage qu’il n’y a pas d’héroïsme possible : rien d’épique dans l’avarie de son navire, mais une lente agonie, sans passion, dans laquelle le personnage est agi plus qu’il n’agit. Plus tard, Jim fuit la réalité pour tenter de devenir ce héros qu’il n’a pas su être, mais il est constamment rattrapé par celle-ci : même son royaume malais, sorte de frêle « monde perdu » ne résiste que tant qu’il n’est qu’un neverland. Dès que la réalité l’atteint, il s’effondre dans le sang, ainsi que le héros.

Comme le confirme une œuvre mineure de Conrad, Romance (écrit en collaboration avec Ford Madox Ford), l’aventure n’existe que dans les représentations nostalgiques et irréalistes, celles que les jeux d’enfants et la fiction retranscrivent au mieux : ce don Quichotte qu’est le héros en quête du romanesque et de l’aventure, découvre constamment que le romance n’existe pas, qu’il est toujours en aval (dans la rêverie de l’enfant), ou en amont (dans les souvenirs de l’adulte vieillissant). Au moment de l’action, il n’y a de place que pour la souffrance.

Comme en témoigne l’évocation, dans les premières pages d’Au cœur des ténèbres de la disparition des zones vierges du globe, Conrad est conscient de ce que les aspirations et l’esprit de conquête du colonialisme qui avaient porté le roman d'aventures ne sont plus de mise au XXe siècle. Aussi l’aventure ne peut plus être évoquée que sur le mode nostalgique, et les tentatives pour la réaliser apparaissent toujours comme décevantes. Dès La folie Almayer, la vocation colonialiste du héros est mise en cause, quant aux exploits des aventuriers, ils apparaissent dans toute leur monstruosité dès lors qu’ils sont présentés par ceux qui les subissent : les indigènes décrivent le coup de main héroïque de Lingard comme un enlèvement violent ; et si le Blanc n’est plus une figure virile et séduisante, l’autochtone ne correspond pas, pour autant à la vision idéale que pouvaient en donner les auteurs du début du XIXe siècle. Toutes ces critiques du discours colonial étaient déjà présentes dans les derniers romans de Stevenson (à commencer par La côte à Falesa). Mais chez Conrad, c’est la structure même de l’aventure qui est mise en cause : le développement et la banalisation de l’espace colonial, la puissance de conviction du monde moderne interdisent de maintenir l’espace irréaliste de l’aventure. C’est confrontée au réel que l’action aventureuse prend sa dimension dramatique, qui broie les rêveurs et les faibles (Lord Jim, Almayer) et présente les forts, ces héros romanesques, comme des monstres (Kurtz, Mac Whirr). L’aventure est désormais engagée dans le monde : Nostromo, l’un des personnages les plus proches des héros de romans d'aventures, n’atteint à sa dimension héroïque que parce que ses actes s’intègrent dans un système social et politique plus vaste. Avec Conrad, l’aventure s’éloigne du romanesque pour intégrer des problématiques réalistes.

 

Bibliographie.

1895 ALMAYER'S FOLLY – La Folie Almayer.

1896 AN OUTCAST OF THE ISLANDS – Un paria des îles.

1897 THE NIGGER OF THE "NARCISSUS" – Le nègre du Narcisse.

1898 TALES OF UNREST (Karain , a Memory, The Idiots, An Outpost of Progress, The Return, The Lagoon) – Inquiétude.

1900 LORD JIM – Lord Jim.

1901 THE INHERITORS (en collaboration avec Ford Madox Ford)

1902 YOUTH - A NARRATIVE, AND TWO OTHER STORIES (Youth, Heart of Darkness, The End of the Tether), Jeunesse.

1903 TYPHOON, AND OTHER STORIES (Typhoon, Amy Foster, Falk, To-morrow) – Typhon.

1903 ROMANCE (en collaboration avec Ford Madox Ford) – L’aventure.

1904 NOSTROMO – Nostromo.

1906 THE MIRROR OF THE SEA – Le miroir de la mer.

1907 THE SECRET AGENT – L’agent secret.

1908 A SET OF SIX (Gaspar Ruiz, The Informer, The Brute, An Anarchist, The Duel, IlConde) – Six nouvelles.

1911 UNDER WESTERN EYES – Sous les yeux de l’Occident.

1912 SOME REMINISCENCES (autre titre: A PERSONAL RECORD) – Souvenirs personnels.

1912 'TWIXT LAND AND SEA (A Smile of Fortune, The Secret Sharer, Freya of the Seven Isles) – Entre terre et mer.

1913 CHANCE – Fortune.

1913 ONE DAY MORE (pièce de theatre, adaptée de To-morrow).

1915 VICTORY – Victoire.

1915 WITHIN THE TIDES (The Planter of Malata, The Partner, The Inn of the Two Witches, Because of the Dollars) – En marge des marées.

1917 THE SHADOW LINE – La ligne d’ombre.

1919 THE ARROW OF GOLD – La fleche d’or.

1920 THE RESCUE – La rescousse.

1921 NOTES ON LIFE AND LETTERS.

1923 THE ROVER – Le frère de la côte.

1923 THE SECRET AGENT (pièce de theatre adaptée du récit du même nom).

1924 LAUGHING ANNE (pièce de theatre adaptée de « Because of the dollar »).

1924 THE NATURE OF A CRIME (pièce de theatre).

1925 TALES OF HEARSAY (The Warrior's Soul, Prince Roman, The Tale, The Black Mate) – Derniers contes.

1925 SUSPENSE – L’attente.

1926 LAST ESSAYS.

1928 SISTERS (inachevé).

 

 

Liens vers d’autres sites.

Il existe énormément de sites consacrés à Joseph Conrad, la plupart en anglais. En voici quelques uns.

- Un article en français sur Conrad dans le site du Guide du Routard.

- Un article en français proposé par le site Terre d'écrivains.

- Le résumé en français d'un colloque consacré à Conrad.

- Le site de la Joseph Conrad Society.

- Le site de la Joseph Conrad Foundation.

- Une série de liens vers des articles (en anglais) consacrés à Conrad.

- Un site très complet (en anglais) sur les déclinaisons d'Au coeur des ténèbres (le roman et le film).

 - Un site en français proposant une bibliographie assez complète.

- Une bibliographie très complète en anglais.

- Une biographie en anglais sur l'auteur par le site ClassicNotes.

- Une brève biographie en anglais sur l'auteur.

- Une brève biographie en anglais sur l'auteur.

 

Où trouver les oeuvres de l'auteur?

Une fois n'est pas coutume, la quasi totalité des oeuvres de l'auteur est accessible en français (en Pléiade, chez Autrement et, en poche, chez GF ou Folio), et en anglais. On peut donc les trouver ou les commander dans toutes les librairies. D'autres pistes, pour les livres anciens ou les versions électroniques de ses oeuvres, peuvent cependant être évoquées.

 

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