1878-1967
Où trouver les œuvres de Masefield ?
John Masefield a connu au début du siècle un grand prestige
comme poète de la mer. Ses Salt Water
Poems, publiés en 1902, ont marqué
les lecteurs anglais de la première moitié du XXe siècle. Avec Reynard the Fox,
il est sans doute l’un des derniers poètes narratifs anglais, illustrant un
courant qui a été fort en Grande-Bretagne, avant que la modernité poétique ne
lui donne un coup d’arrêt. Dans le domaine du roman, il subit la double
influence de Joseph Conrad et de Robert Louis Stevenson. Au premier, il emprunte
certains traits de sa littérature d’aventures géographiques (Multitude and
Solitude, ODTAA) ; chez le second, il trouve les procédés stylistique
d’un roman d’aventures pour la jeunesse qui puisse également être littéraire (Jim
Davis, Captain Margaret). Certes, dans tous les cas, Masefield arrive
trop tard : ses
récits maritimes apparaissent après les Yellow
Nineties,
ses romans d’aventures, comme ses poèmes, paraissent un peu désuets à l’époque où
triomphe la modernité littéraire. Paradoxalement, Masefield souffre de son
ambition littéraire : là où Rafael Sabatini ou les grands auteurs des premiers
pulps (Bedford Jones, Talbot Mundy, McCulley), prennent le parti d’une
écriture déliée et d’un imaginaire romanesque, Masefield hésite entre l'écriture
romanesque et les valeurs du roman psychologique, entre le style artiste et le
plaisir du récit, et la lecture en souffre aujourd’hui. C’est peut-être ce qui
explique que, à l’instar de son contemporain Arthur Quiller-Couch et des
derniers édouardiens, John Masefield soit aujourd’hui relégué dans une sorte de
purgatoire de la littérature.
Né en 1878, John Masefield s’est retrouvé orphelin en 1890,
après la mort de sa mère et l’internement de son père. Elevé par son oncle et sa
tante, il doit freiner lecture et études, avant de rejoindre la carrière
maritime en 1891. A l’instar de Joseph Conrad, John Masefield sera un de ces
marins lettrés de la marine britannique, profitant du temps de loisir en mer pour lire
et, bientôt, pour écrire. Quelques expériences malheureuses durant sa carrière le
détourneront progressivement du métier de marin. En 1895, à New York, il
abandonne son navire et renonce à la carrière maritime, et vit de petits emplois
à travers l’Amérique. De retour en Angleterre en 1897, Masefield se lance enfin
dans la carrière littéraire. Il écrit alors des poèmes, influencés par l’œuvre
de Yeats (qu’il rencontrera en 1900 et avec lequel il se liera d’amitié). En
1902 paraît son premier recueil de poèmes, Salt Water Ballads. Viendront
ensuite un certain nombre de pièces de théâtre qui, de l’avis général, ne sont
pas mémorables (sa première pièce, The Tragedy of Nan date de 1904).
Viendront ensuite les romans pour adultes (Multitude and Solitude, 1909)
et les romans de jeunesse (A Book of Discoveries, 1910), les poèmes
narratifs (The Everlasting Mercy, 1911), témoignant d’une volonté de
s’essayer à toutes les formes littéraires. Les romans et poèmes
narratifs valent à l’auteur un grand succès avant la première guerre mondiale
(il participera d’ailleurs à l’effort de guerre en publiant des poèmes
patriotiques). Dans les années 1920, il est un poète célébré et populaire, à
l’instar de Rudyard Kipling, au destin semblable en bien des points. Mais son
succès paraît s’être un peu atténué dès l’entre-deux guerres : chez les
intellectuels, il est perçu comme un auteur académique, fort éloigné des
problématiques modernes de la littérature. On lui reproche d’écrire trop vite,
et de céder souvent à la facilité, en particulier dans ses pièces en vers.
Masefield devient une sorte d’écrivain officiel, plus préoccupé par le pouvoir
qu’offre la fonction que par les interrogations esthétiques. Il abandonne
progressivement le poème narratif, décidément trop désuet. Dans le domaine du
roman, Masefield paraît avoir cherché à résister à l’essoufflement tout à la
fois du succès et de ses propres facultés créatives, en se tournant vers
d’autres sujets : cela expliquerait le choix tardif du roman historique (Conquer,
Basilissa) à une époque où, tandis que le roman exotique déclinait, ce
genre jouissait d’un certain succès. A la fin de sa vie, il a écrit plusieurs
textes autobiographiques (In the Mill, 1941, Wonderings, Between One
and Six Years, 1943, texte en vers, New Chum, 1944, So Long to
Learn, 1952 et Grace Before Ploughing, 1966). John Masefield est mort en 1967, à 88 ans.
Si John Masefield n’est plus lu aujourd’hui qu’à travers ses romans destinés aux plus jeunes (en particulier The Midnight Folk, 1927 et A Box of Delights, 1935), le reste de son œuvre, par son ambition même, reste intéressante. Elle représente une tentative, sans doute l’une des dernières avant que la fin du XXe siècle ne réhabilite le récit de genre (Paco Ignacio Taibo II, Perez Reverte…), pour donner une légitimité littéraire au récit romanesque. Au sein de cette oeuvre, dans laquelle l'auteur s'est intéressé aux sujets réalistes comme aux excès du mélodrame, le récit d'aventures tient une place centrale.
La relation de Masefield à l’aventure ne peut sans doute pas
s’envisager indépendamment des problématiques liées au genre épique. Si ses
récits ont souvent été écrits en vers, c’est que l’auteur s’inscrit dans une
généalogie épique, et les romans, bien qu'en prose, restent liés à l’imaginaire épique. Il
y a en effet de l’épopée dans les romans arthuriens ou babyloniens des dernières
années (Basilissa, 1940, Conquer, 1941, Badon Parchments,
1947), mais il y en a également dans les romans maritimes (les liens entre
Captain Margaret, 1908 et le poème
maritime Dauber, 1913, est en cela
significatif). De même, la façon très particulière qu’a Masefield d’envisager le
roman exotique s’inscrit dans des pratiques épiques: dans ses oeuvres qui
participent de cette tradition, loin d'en rester à l'imaginaire du roman colonial ou du roman d’exploration scientifique, Masefield
propose une plongée dans l’Histoire et la politique d’un pays imaginaire
d’Amérique Latine, Santa Barbara (Sard Harker, ODTAA, The
Taking of the Gry). Ici l’aventure individuelle rencontre l’épopée
collective d’un pays, d’une histoire et d’une culture imaginaires. Enfin, le
diptyque de Dead Ned et Live and Kicking Ned empruntent souvent à
une tradition picaresque dont on sait qu’elle a partie liée avec l’imaginaire
épique (ici, l’écriture parodie volontiers le style des romans anglais du XVIIIe
siècle) ; d’autant que l’aventure picaresque du premier volume tend à se
charger d’une dimension épique, à travers les affrontements du héros avec les
M’gai.
En termes d’écriture, une telle attitude se traduit par la mise en avant de la dimension romanesque du récit. On pourrait s’en étonner lorsqu’on sait que la veine réaliste, voire intimiste, a également été importante dans l’œuvre de Masefield, aussi bien dans les romans (The Street of To-day, 1911, Eggs and Baker, 1936) que dans les poèmes narratifs (The Widow in the Bye Street, 1912, The Daffodil Fields, 1913). Pourtant c’est bien à un romanesque assez proche de celui défini par Stevenson dans ses essais que l’on assiste dans la plupart des oeuvres d'aventures. Le monde envisagé dans les romans d'aventures ne cherche pas tant à restituer un univers de fiction réaliste, mais à s’installer dans des pratiques stéréotypiques : les structures des récits, les imaginaires mis en jeu par les époques et les régions évoquées obéissent aux « lois idéales de la rêveries », c’est-à-dire à ces conventions génériques qui s’imposent à l’écriture davantage que la fidélité au réel. Cela explique que Captain Margaret, l’un des premiers romans de l’auteur, ait été sous-titré a romance, désignant sans doute moins la trame sentimentale du récit (qui existe néanmoins) qu’une conception romanesque (et donc intertextuelle) de l’écriture, par opposition au novel, roman réaliste. Comme Stevenson, et peut-être plus encore que lui, les stéréotypes sont en quelques sorte remotivés par le contexte narratif et le choix d’une écriture qui échappe, elle, aux stéréotypes stylistiques. L’auteur n’évite pas pour autant une certaine affectation : archaïsmes et afféteries stylistiques donnent parfois au style un aspect désuet ; en revanche, lorsqu’il atteint la pleine maîtrise de son écriture, il sait convoquer ses compétences de poète narratif pour donner une tonalité épique à son style (caractère visuel des évocations, multiplication des sujets et description fragmentée du réel, style soutenu, etc.).
Masefield a beaucoup écrit, et ses œuvres ne peuvent toutes être rapprochées du modèle du roman d'aventures. Nous proposons donc une sélection de ses récits qui se rattachent le plus, de près ou de loin, à ce genre, et le cas échéant, nous en indiquons les traductions françaises (lorsque nous les avons repérées). Les indications de genre n'ont pas grande valeur, mais elles pourront néanmoins éventuellement orienter le lecteur dans ses choix.
1902 Salt Water Poems and Ballads. Poèmes maritimes.
1908 Captain Margaret. Aventures maritimes.
1909 Multitude and Solitude. Roman exotique.
1910 A Book of Discoveries. Littérature de jeunesse.
1910 Martin Hyde. Littérature de jeunesse (Martin Hyde, Paris, Phébus, 2000).
1910 Lost Endeavour. Littérature de jeunesse.
1911 The Street of To-day. Roman de mœurs.
1911 Jim Davis. Littérature de jeunesse (Jim Davis, Londres, Nicholson et Watson, 1946 - il s'agit sans doute d'une version destinée au public belge).
1913 Dauber. Poème narratif maritime.
1920 Enslaved. Poème narratif d’aventures.
1924 Sard Harker. Roman exotique.
1926 ODTAA. Roman exotique.
1927 The Midnight Folk. Littérature de jeunesse.
1929 The Hawbucks. Roman de mœurs.
1933 The Bird of Dawning. Aventures maritimes (La Course au thé, Paris, Plon, 1939, republié chez Phébus et 10/18).
1934 The Taking of the Gry. Roman exotique.
1935 Victorious Troy. Aventures maritimes (Par les moyens du bord, Paris, Plon, 1938 ; republié chez Marabout, puis chez Phébus).
1935 A Box of Delights. Littérature de jeunesse.
1936 Eggs and Baker. Roman de mœurs.
1937 The Square Peg. Roman de mœurs.
1938. Dead Ned. Roman exotique.
1939 Live and Kicking Ned. Roman exotique.
1940 Basilissa. Roman historique.
1941 Conquer. Roman historique.
1947 Badon Parchments. Roman historique.
Les ouvrages et articles portant sur l'oeuvre de Masefield sont nombreux, et nous n'en indiquons que quelques uns à titre indicatif. Il faut bien sûr y ajouter les textes autobiographiques, déjà évoqués, qui fournissent des informations intéressantes sur l'auteur et la conception qu'il a de sa propre oeuvre.
Babington-Smith, Constance, John Masefield: A Life, Oxford, Oxford University Press, 1978.
Lamont, Corliss, Remembering John Masefield, Dickinson University, 1971.
Dwyer, June, John Masefield, New York, Ungar, 1987.
Nevinson, Henry W, John Masefield - An Appreciation, Londres, Heinemann, 1931.
Spark, Muriel, John Masefield, Londres, Pimlico, 1992.
Sternlicht, Sanford, John Masefield, Boston, Twayne Publishers, 1977.
Références du journal de la John Masefield Society.
Où trouver les œuvres de Masefield ?
Masefield étant mort récemment, son oeuvre n'est pas libre de droits, aussi ne trouve-t-on pratiquement pas de textes en ligne, et ceux qui peuvent se trouver enfreignent sans doute les règles de droits d'auteurs. En revanche, les oeuvres de Masefield sont aisément accessibles sur les sites de vente en ligne, de type abebooks.fr (site spécialisé dans les livres d'occasion anglais). Les oeuvres en français ne sont pas nombreuses (voir bibliographie), mais elles ont l'avantage d'être accessibles, grâce aux efforts de l'éditeur Phébus.