Deuxième partie : La nostalgie d’une autre colonisation

2.1. Nostalgie de la colonisation

2.2. La figure de l’Indien

2.3. Le métissage

 

2.2. La figure de l’Indien chez Gustave Aimard

2.2.1. Un souci ethnographique ?

2.2.2. Un plaidoyer pour la race indienne ?

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2.2.        La figure de l’Indien chez Gustave Aimard

 

La question de la représentation de l’altérité dans les romans de Gustave Aimard relève d’une problématique plus large, celle de la représentation de la sauvagerie dans la littérature populaire du XIXème siècle. C’est en ce sens que nous allons nous efforcer d’étudier la figure de l’Indien dans les oeuvres de Gustave Aimard.

 

 

2.2.1. Un souci ethnographique ?

 

 «On a beaucoup écrit sur l’Amérique ; bon nombre d’auteurs d’un talent incontestable ont entrepris la tâche difficile de faire connaître ces savanes immenses, peuplées de tribus féroces et inaccessibles à la civilisation, mais peu d’entre eux ont réussi faute d’une connaissance approfondie des pays qu’ils voulaient décrire et des peuples dont ils prétendaient faire connaître les mœurs.

M. Gustave Aimard a été plus heureux que ses devanciers ; séparé pendant de longues années du monde civilisé, il a vécu de la vie du nomade au milieu des prairies, côte à côte avec les Indiens, fils adoptif d’une de leurs puissantes nations, partageant leurs dangers et leurs combats, les accompagnant partout, le rifle d’une main et le machète de l’autre. »[1]

 

C’est en ces termes que Gustave Aimard fut présenté à ses lecteurs lors de la parution en volume des Trappeurs de l’Arkansas. Si l’existence de l’auteur fait aujourd’hui partie d’une légende dont il semble difficile de démêler la part de vérité, il n’en demeure pas moins qu’Aimard, en prétendu aventurier-voyageur, témoigne d’un intérêt constant pour les peuples d’Amérique. Tout au long de ses oeuvres, il manifeste en effet de la curiosité pour les peuples indiens dont il décrit les mœurs, les lieux de vie et les coutumes, par souci d’exotisme et réelle attirance pour un peuple selon lui méconnu. En amateur avisé de la race indienne, Aimard tente de faire connaître ce peuple à son lecteur en s’opposant aux contre-vérités qui ont été proférées sur le compte des Peaux-Rouges.

Par exemple, évoquant une assemblée indienne, le narrateur souligne la véritable nature indienne : « Les Peaux-Rouges, que des auteurs mal informés nous représentent comme des hommes froids, compassés et silencieux, sont au contraire très gais et surtout très bavards lorsqu’ils sont entre eux. »[2] Ainsi Aimard prétend-il décrire l’Indien dans toute sa vérité car il est, selon lui, victime de sa réputation de sauvage.[3] Aimard s’engage donc dans une entreprise de compréhension de l’Indien. Mais son propos n’est pas de déplorer ce qui pourrait être amélioré chez les Indiens, mais de dire combien ils sont plus humains que ce que l’on prétend :

 

« Pendant notre long séjour au milieu des tribus indiennes, nous avons été souvent à même de reconnaître combien on se trompe sur le compte des Peaux-Rouges. En assistant à leurs longues causeries du soir dans les villages, ou pendant les expéditions de chasse, c’était un feu roulant de plaisanteries et de bons mots, souvent durant des heures entières, à la grande joie de l’auditoire riant à gorge déployée, de ce bon rire indien, sans souci et sans arrière-pensée, qui fend la bouche jusqu’aux oreilles et tire des larmes de jubilation, rire qui ne peut se comparer pour les éclats métalliques qu’à celui des nègres, bien que le premier soit beaucoup plus spirituel que le second, dont les notes ont toujours quelque chose de bestial. »[4]

 

Contrairement à l’imagerie traditionnelle qui veut que l’Indien soit « froid, compassé et silencieux », le narrateur donne à voir ici des êtres chaleureux, volontiers rieurs, peu avares en plaisanteries, et finalement sincères, comme le laissent entendre les deux groupes nominaux prépositionnels « sans souci et sans arrière-pensée ». Le parallèle entre le rire « spirituel » de l’Indien et celui plus « bestial » du nègre montre la prégnance dans l’esprit du narrateur de catégories de classification des races humaines. Pour les besoins de l’analyse, le narrateur évoque en effet de manière allusive une hiérarchie des races humaines. Lui conférant un rire « spirituel »[5], le narrateur tente ici de ré-humaniser l’Indien en le donnant comme supérieur au Noir, ce dernier étant supposé plus proche de l’animalité à cause de la sonorité animale de son rire. Par ce procédé, le narrateur dépeint l’Indien comme un être dont la compagnie est loin d’être désagréable : il n’est plus cette nature « primitive », inculte, mais bien un être doué pour la plaisanterie et les bons mots, c’est-à-dire capable d’élaborer un discours suffisamment subtil pour susciter le rire. La sociabilité indienne est d’ailleurs telle qu’elle pourrait servir d’exemple aux peuples policés d’Europe et d’ailleurs : « Les Indiens, mieux que tout autre peuple, les Arabes exceptés, entendent les lois de l’hospitalité, cette vertu des races nomades ignorée dans les villes où elle est, à la honte des peuples civilisés, remplacée par un froid égoïsme et une méfiance honteuse. »[6]

L’insouciance et la naïveté sont les qualités que l’homme civilisé envie parfois au sauvage : mélange d’attirance et de nostalgie pour un état de nature supposé idyllique, cet intérêt pour des individus aux mœurs singulières peut se révéler ambivalent. Il en est ainsi d’un des personnages des Bandits de l’Arizona, don José, qui, fustigeant d’un côté l’alcoolisme chronique des Apaches[7], n’en trouve pas moins des raisons pour défendre les Indiens :

 

« Si vous connaissiez les mœurs des Peaux-Rouges (...) vous seriez stupéfait de la finesse et de l’intelligence raffinée de ces Indiens que vous nommez dédaigneusement des sauvages, parce qu’ils ne veulent pas accepter votre civilisation et préfèrent la leur ; tenez, sans aller plus loin, lorsque les guerriers d’une tribu sont sur le sentier de la guerre, il leur est défendu de prononcer un seul mot quand ils se supposent peu éloignés de l’ennemi qu’ils poursuivent (...) parce que les bois sont d’une sonorité dont vous ne pouvez vous faire une idée (...).»[8]

 

Ce discours de défense en faveur de l’Indien semble d’autant mieux développé que l’argument qui est censé le soutenir est sans commune mesure avec le nombre de vices que l’on impute à la race indienne. Affirmer que l’Indien n’est finalement pas si mauvais qu’on l’a dit ne remet pas en cause la perception globale de la race et ne permet pas de reconsidérer l’Indien sur de nouvelles bases. Et comme l’a très justement écrit James Wilson :

 

« Au bout du compte, le « bon » Indien n’est pas plus réel que le « mauvais » Indien. (...) Toutes ces tentatives [pour comprendre le Nouveau Monde et ses habitants après la « découverte »] avaient un point commun : la croyance fondamentale selon laquelle « l’Indien » appartient pour l’essentiel au passé plutôt qu’au présent. Il (ou elle) est un vestige exotique d’un stade précédent que nous avons dépassé depuis longtemps et que nous considérons soit (...) comme une forme d’anarchie primitive que nous avons surmontée (dans la nature et en nous-même), soit comme un âge d’or, un état d’innocence que nous avons perdu à cause de notre cupidité et de notre pouvoir de destruction. »[9]

 

L’Indien a donc toujours incarné un refuge pour les rêves et les désirs d’une civilisation coupable d’avoir détruit un peuple dans sa quasi-totalité. La vision romantique de l’Indien, faisant de lui le porteur de valeurs positives, telles que le souci de l’autre ou le respect de la nature, repose sur une ambiguïté fondamentale : octroyer des « bons points » à la race indienne sur des questions mineures n’empêche en rien de la considérer comme naturellement inférieure[10] ; affirmer que les Indiens ont des qualités, c’est aussi avouer qu’ils ont des défauts. Et en l’occurrence, chez Aimard, ces défauts sont à mettre au compte de l’appartenance à une race dont le narrateur ne cesse de détailler les attributs[11] : dans ses oeuvres l’Indien est ainsi décrit comme naturellement méfiant à l’égard de la race blanche[12], calculateur et finalement peu enclin à l’héroïsme.[13]

 

 

2.2.2. Un plaidoyer pour la race indienne ?

 

Dans son ouvrage consacré à Gustave Aimard, Jean Bastaire a cru voir en l’auteur des Trappeurs de l’Arkansas un avocat plaidant pour la cause indienne.[14] Selon lui, Aimard, nostalgique de sa vie passée parmi les Indiens, aurait tenté de donner au travers de ses oeuvres une idée plus véridique de l’Indien, déchargée de tout le poids qu’ont fait peser des siècles de colonisation et de mépris pour ces supposés « barbares ». Pour Jean Bastaire,

 

« Gustave Aimard entend montrer que les Peaux-Rouges ne sont pas les sauvages qu’on imagine. C’est même un des objectifs essentiels qu’il s’est fixé en écrivant : par la création romanesque, dire la vérité sur une race qu’on méprise parce qu’on l’ignore. Race d’autant plus intéressante qu’elle est persécutée depuis plusieurs siècles et vouée à disparaître si on n’arrête pas la main de ses persécuteurs. »[15]

 

L’entreprise d’Aimard serait donc empreinte d’une vision humanitaire : dire enfin la vérité sur l’Indien reviendrait à sauver ce peuple d’un second désastre, l’oubli, alors que tout le monde s’accorde sur sa disparition prochaine. Sans nous étendre sur cette générosité attribuée à l’auteur[16], il nous paraît digne d’intérêt d’étudier les raisons pour lesquelles Aimard ne peut, selon nous, être qualifié de « défenseur des Indiens », du moins en tant que cette expression désigne les peuples amérindiens dans leur totalité, et non une nation ou une tribu indienne.

Nous avons vu qu’en effet Gustave Aimard développe un discours visant à reconsidérer l’Indien sur les bases de son expérience personnelle. De nombreux passages de ses romans laissent percevoir combien la cause qu’il défend lui tient sincèrement à cœur.[17] Il épouse d’ailleurs tellement cette cause, qu’il semble parfois regretter que les Indiens ne soient pas plus civilisés pour échapper au lot commun des peuples primitifs. Parlant des pratiques religieuses indiennes, il affirme ainsi :

 

« Nul peuple n’est aussi superstitieux que les Peaux-Rouges ; pour eux la religion est toute physique, ils en ignorent complètement les dogmes et préfèrent croire, les yeux fermés, aux absurdités que leur débitent leurs devins, plutôt que de se donner la peine de réfléchir sur des mystères qu’ils ne comprennent pas et dont, dans leur for intérieur, ils se soucient fort peu. »[18]

 

Nul doute que, débarrassé de ces simulacres de religion[19], le peuple indien serait voué à un avenir meilleur. Mais en attendant celui qui pourrait le libérer, il semble qu’il puisse encore être considéré comme sauvage et inculte. En témoigne la manière dont les Comanches conçoivent le rôle des femmes parmi la tribu :

 

« Condamnées par les lois qui régissent leurs peuplades[20] à demeurer constamment courbées sous un joug de fer, à être réduites à la plus complète abjection, et à s’occuper des travaux les plus durs et les plus pénibles, elles supportent tout sans se plaindre, persuadées qu’il en doit être ainsi, et que rien ne saurait les soustraire à l’implacable tyrannie qui pèse sur elles depuis leur naissance jusqu’à leur mort. »[21]

 

Nul ne saurait être plus clair et plus définitif : véritables esclaves aux ordres des hommes, les Indiennes pourraient envier la considération que leurs maris réservent à leurs chevaux. C’est du moins ce que laisse entendre le narrateur, lorsqu’il décrit, avec force subjectivité, l’ « implacable tyrannie » que subissent les femmes indiennes « depuis leur naissance jusqu’à leur mort ». La demi-mesure et la nuance n’ont ici pas lieu d’être : les adjectifs (« condamnées », « courbées ») dénotent l’état de soumission extrême dans lequel vivent les Indiennes ; les adjectifs comparatifs de supériorité (« la plus complète abjection », « des travaux les plus durs et les plus pénibles ») amplifient le tableau de ces misères ; enfin, les adverbes exprimant la durée (« constamment », « toujours ») ne font qu’étendre cette soumission à toute l’existence (« depuis leur naissance jusqu’à leur mort »).[22]

Au final, Aimard ne se démarque pas de la représentation usuelle de l’Indien et rejoint l’avis de la majorité des observateurs : l’Indien ne saurait se départir de ses mœurs sauvages et primitives ; il soumet ainsi le plus faible à sa loi par une violence inacceptable, incontrôlée et despotique ; il cultive le péché[23], possède un penchant naturel pour la luxure[24] et se trouve finalement responsable de sa condition inférieure.[25]

L’Indien d’Aimard collectionne donc tous les défauts imputés par le discours racialiste et colonialiste aux races dites « inférieures ». La classification mise au point d’après les travaux du naturaliste Buffon et vulgarisée en France par des auteurs comme Gustave Le Bon[26] est opérante dans l’esprit de Gustave Aimard. Ses oeuvres ne semblent donc pas développer une vision spécifique et personnelle de l’Indien : elles ne font que relayer un discours où se mêlent paternalisme et mépris pour des individus considérés comme naturellement inférieurs et donc inévitablement voués à disparaître.

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[1] « Note de la première édition » (1858) des Trappeurs de l’Arkansas, p.7.

[2] Balle-Franche, p.293.

[3] Ce discours s’opposant à la représentation de la sauvagerie indienne n’empêche pas le narrateur de décrire Natah-Otann comme un antique combattant barbare, montrant ainsi que cette représentation influence toujours aussi fortement la vision de l’Indien. Décrivant la scène grandiose du grand conseil au cours duquel Natah-Otann rallie à sa cause les combattants des tribus indiennes venues se réunir au pied de l’Arbre du maître de la vie, la narrateur esquisse une comparaison : « À l’orient le soleil dardait ses flammes ; le désert, aride et nu, se mêlait à l’horizon sans bornes (...). À cet aspect majestueux, on se rappelait involontairement d’autres temps et d’autres climats, quand, à la clarté des incendies, les féroces compagnons d’Attila couraient à la conquête et au rajeunissement de l’Empire romain. » (Balle-Franche, p.313).

[4] Balle-Franche, p.293.

[5] Ce qui confère à l’Indien l’esprit qui semble tant manquer aux peuples primitifs.

[6] L’Éclaireur, p.651.

[7] Tout en octroyant à des membres de cette nation de quoi étancher leur soif avec « trois bouteilles d’eau de feu (...) et (...) un barillet de pulque [boisson fermentée à base d’agave] » en échange de leurs renseignements (cf. Les Bandits de l’Arizona, p.806).

[8] Les Bandits de l’Arizona, p.819.

[9] James Wilson, La terre pleurera, une histoire de l’Amérique indienne, Albin Michel, coll. Terre Indienne, 2002 (édition originale américaine, 1998), p.19.

[10] Nous pourrions même dire que cela y autorise avec d’autant plus de facilités.

[11] Que ce soit pour affirmer un défaut ou une qualité chez un Indien, il est systématiquement fait référence à cette appartenance raciale. Citons pour exemple ce passage de Balle-Franche dans lequel est décrite la trahison du Loup-Rouge envers ses frères Pieds-Noirs : connaissant le penchant pour l’alcool de ses congénères, le Loup-Rouge décide d’apporter des liqueurs au sein-même du camp indien, et ce après la rude bataille qui a permis la prise du fort américain ; pour introduire cette scène, le narrateur précise alors que « Le Loup-Rouge (...) avait conçu un plan atroce, qu’un cerveau indien était seul capable d’enfanter » (Balle-Franche, p.466). Rien, à part la jalousie, n’explique ce geste par un penchant individuel à la cruauté, et tout mène en revanche à considérer que l’action du Loup-Rouge est comme déterminée par son appartenance à une race fourbe et cruelle.

[12] « Les Indiens, à cause de la vie qu’ils sont contraints de mener et de l’éducation qu’ils reçoivent, sont d’un caractère essentiellement défiant : habitués à se mettre constamment en garde contre tout ce qui les environne, à soupçonner les intentions en apparence les plus loyales, de cacher une trahison ou une perfidie, ils ont acquis une habileté peu commune pour deviner les projets des personnes avec lesquelles le hasard les met en rapport et déjouer les embûches tendues sous leurs pas par leurs ennemis. » (L’Éclaireur, p.632)

[13] « Les Peaux-Rouges sont braves, téméraires même, cette question ne peut ni être discutée ni mise en doute, mais chez eux le courage est calculé, ils ne combattent que pour atteindre un but et ne risquent jamais leur vie qu’à bon escient » (Balle-Franche, p.403). Par sa nature calculatrice, l’Indien ne peut donc être un héros, le personnage héroïque se caractérisant par son sacrifice désintéressé et son abandon total à une cause qui le dépasse.

[14] Cf. Jean Bastaire, Sur la piste de Gustave Aimard, op. cit., pp.43-64, chap. III intitulé « le défenseur des Indiens ».

[15] Ibid., p.61.

[16] Ibid., p.62.

[17] Ainsi, avant que de mettre en scène la torture d’une femme par les hommes de la Tête-d’Aigle, Aimard prend la précaution d’avertir ses lecteurs pour qu’ils ne se méprennent pas sur le compte des Peaux-Rouges : « Nous le répétons ici, afin qu’on en soit bien convaincu, les Indiens ne sont pas cruels pour le plaisir de l’être. La nécessité est leur première loi, jamais ils n’ordonnent le supplice d’un prisonnier, d’une femme surtout, sans que l’intérêt de la nation l’exige. » (Les Trappeurs de l’Arkansas, p.124). Ce qui n’empêche pas les Peaux-Rouges d’éprouver du plaisir à torturer leur prisonnière. Toutefois, Aimard tente de relativiser cette sauvagerie indienne en la comparant à celle dont pourraient faire preuve des hommes civilisés : « En un mot, comme cela arrive toujours, aussi bien chez les peuples civilisés que parmi les sauvages, le sang les grisait, leur amour-propre était en jeu, chacun cherchait à surpasser celui qui l’avait précédé, toute autre considération était oubliée. » (Ibid., p.130)

[18] L’Éclaireur, pp.714-715. On trouve dans le Grand dictionnaire universel du XIXème siècle de Pierre Larousse (art. « Comanches », p.668, tome I) une remarque quasiment identique. Il y est dit en effet que la religion des Comanches « fait un dieu de tout ce qui agit fortement sur leurs sens ou leur inspire de la terreur. » Dans Balle-Franche (p.431), le narrateur n’hésite pas à stigmatiser la « crédulité stupide » des Indiens face au « grossier mensonge » de Natah-Otann tentant de faire passer le comte de Beaulieu pour la réincarnation de Mocktekuzoma. L’aveuglement des Indiens conduit alors le narrateur à les qualifier de « natures abruties ». Cette qualification, essentiellement descriptive, ne doit pas être lue comme une injure faite aux Indiens, mais bien comme une évaluation de leur niveau intellectuel : il est en effet précisé que cette crédulité est due à leur ignorance et non à une disposition naturelle.

[19] Évoquant les pratiques religieuses indiennes, le narrateur les qualifie de « jongleries mystiques » (L’Éclaireur, p.727).

[20] Curieuse allusion que cette référence à ces « lois (...) régiss[ant] » les rapports entre hommes et femmes dans les « peuplades » indiennes, lorsque l’on sait que pour les Indiens ce concept est inopérant. Peut-être est-ce là une manière de rendre encore plus odieuse la manière dont sont traitées les femmes indiennes.

[21] L’Éclaireur, p.634.

[22] Pierre Larousse ne semble là encore pas dire autre chose que ce que dit Aimard : « Le Comanche n’a nul souci de sa famille ; la femme, son esclave absolue, doit tout faire pour lui. Souvent il n’apporte pas même le gibier qu’il a tué, mais il envoie sa femme le chercher au loin. S’il combat, elle est à ses côtés pour lui fournir des flèches » (Grand dictionnaire universel du XIXème siècle, op. cit., art. « Comanches », tome I, p. 668). Dans l’Éclaireur, la femme de l’Aigle-Volant illustre parfaitement ce stéréotype : « soumise et obéissante comme une véritable femme indienne » (p.633), elle n’en joue pas moins un rôle important pour l’action principale.

[23] La paresse, topos de la description des mœurs sauvages, apparaît en filigrane chez Aimard : « Chez les Indiens, les hommes ne travaillent jamais, ce sont les femmes qui, seules, sont chargées des achats, des soins du ménage et de la préparation de tout ce qui est indispensable à l’existence. Les hommes, trop fiers pour s’astreindre aux travaux d’intérieur, chassent ou font la guerre. » (L’Éclaireur, p.644)

[24] L’Indien Addick, auquel don Miguel confie deux jeunes filles pour les mettre en sûreté, n’est pas sans arrière-pensée : « Un frisson de volupté inouïe parcourut le corps de l’Indien, dès qu’il se vit dans la plaine avec les jeunes filles, loin des regards inquisiteurs de don Miguel et de ceux plus clairvoyants encore de Bon-Affût. Son oeil pétillant de plaisir courait de doña Laura à doña Luisa, sans pouvoir s’arrêter plus sur l’une que sur l’autre. (...) il ne se rassasiait pas de les contempler avec la frénétique admiration qu’éprouvent les Indiens à la vue des femmes espagnoles, qu’ils préfèrent infiniment à celles de leurs tribus.» (L’Éclaireur, p.639) Finalement, l’Indien ne succombe pas à la tentation, et bien lui en prend car l’une d’elle a pris le soin de s’armer contre son prétendu protecteur...

[25] Ainsi l’échec de Natah-Otann n’est-il pas tant à mettre au compte de la figure traîtresse du Loup-Rouge (venu apporter de l’alcool à ses compatriotes dans le but de faire échouer son ennemi) qu’au comportement finalement incorrigible des Indiens : « Après la prise de la forteresse (...) les liqueurs fortes ne leur avaient pas longtemps échappé, ils avaient roulé les barils dans la cour et les avaient défoncés, profitant, pour se livrer à cet acte d’indiscipline inqualifiable, du sommeil du Bison-Blanc qui, rendu de fatigues, s’était assoupi pendant quelques instants et de l’absence de Natah-Otann, les deux seuls hommes dont l’influence aurait été assez grande pour les maintenir dans le devoir. Alors une orgie effroyable avait commencé, orgie indienne avec ses atroces péripéties de meurtre et de massacre. Nous l’avons dit, l’ivresse pour les Peaux-Rouges, c’est la folie poussée au dernier paroxysme de la fureur et de la rage ; il y avait eu une épouvantable scène de carnage, à la suite de laquelle les Indiens étaient tombés les uns sur les autres et s’étaient endormis pêle-mêle au milieu de la cour. » Le narrateur rapporte alors les paroles désespérées de Natah-Otann devant ce spectacle : « Oh ! (...) que faire avec de pareils hommes ! » (Balle-Franche, p.467)

[26] Sociologue et médecin français (1841-1931), auteur d’ouvrages tels que les Lois psychologiques de l’évolution des peuples, oeuvre « très représentati[ve] de la vulgate racialiste de la fin du XIXème siècle » selon Pierre-André Taguieff, qui qualifie son auteur d’un « des plus habiles vulgarisateurs du racialisme évolutionniste » (La Couleur et le sang. Doctrines racistes à la française, Mille et une Nuits, Paris, 2002, p.35).

 

Mémoire de lettres modernes d'Emmanuel Dubosq.