CHAPITRE VII

Diplomatie féminine.

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La chasse à courre dont Henry Harding avait été le héros fut la dernière de la saison. Le printemps était venu cou­vrant le comté de Bucks de son manteau vert tout constellé de fleurs. La caille picorait dans les champs de blé; le coucou faisait retentir de sa note mélancolique les bois que remplissaient, la nuit, les merveilleuses vocalises du rossi­gnol. C'était le mois de mai, époque charmante où la nature entière semble saisie du besoin d'aimer; où les plus farou­ches habitants de l'air et les plus timides quadrupèdes, domptés à la fois et enhardis par ses influences, cherchent les épaisses futaies pour s'y livrer aux plaisirs qui leur sont refusés dans toute autre saison.

Que les passions de l'espèce humaine soient soumises à cette même influence, c'est une question qui reste à ré­soudre. Peut-être l'homme primitif la subissait-il et a-t-il inconsciemment obéi aussi aux impulsions de la nature; mais quelle que soit l'époques da l'année l'amour germe dans deux jeunes cœurs, c'est certainement le printemps que la nature a désigné pour sa maturité.

C'était, au moins, le cas pour Henry Harding. Au mois de mai, sa passion pour Belle Mainwaring était mûre et deman­dait à être cueillie. En d'autres termes, Henry trouva que le moment était venu de la déclarer à celle qui en était l'objet.

Pour le monde, il restait douteux encore que cette pas­sion fût partagée, quoique l'on crût généralement que la co­quette s'était enfin laissée surprendre. La partialité de Belle pour Henry, en supposant qu'elle existât, s'expliquait, non seulement au point de vue de la fortune, mais encore à celui des avantages extérieurs.

A cette époque, le plus jeune fils du général Harding, parvenu à l'âge d'homme, était doué d'une physionomie et d'une tournure dont la grâce n'excluait pas la virilité. Le seul défaut qu'on pût lui reprocher était d'une nature toute mo­rale, son penchant pour la prodigalité; mais le temps pou­vait le corriger. Ce défaut, d'ailleurs, ne lui faisait aucun tort aux yeux des femmes, dont plus d'une enviait tout bas la chance de Belle Mainwaring.

Quant à cette dernière, une conversation qu'elle eut, un certain matin, en déjeunant, avec sa digne mère, dévoilera le caractère et la nature de ses sentiments.

Le nom de Henry Harding venait d'être prononcé.

- Ainsi, tu veux l'épouser? demanda Mme Mainwaring.

- Oui, maman, avec ta permission.

- Et la sienne?

Belle laissa échapper un frais éclat de rire.

- La sienne! Mais, maman, je n'ai plus besoin de la lui demander.

- Déjà! s'est-il donc déclaré? Je veux dire de vive voix !

- Pas exactement. Mais, chère maman, je m'aperçois que tu veux connaître mon secret avant de donner ton consen­tement. Je ferais aussi bien de te tout dire. Il se déclarera bientôt aujourd'hui même, si je ne me trompe pas de date.

- D'où te vient cette certitude?

- C'est bien simple. Il m'a fait comprendre qu'il avait à causer sérieusement avec moi et m'a prévenue de sa visite pour cette après-midi. Qu'a-t-il à me dire, sinon qu'il m'aime et serait heureux d'obtenir ma main ?

Mme Mainwaring ne répondit pas. Sa physionomie pensive n'exprimait pas la satisfaction qu'espérait, sans doute, y lire sa fille.

- J'espère que tu es contente, chère maman, dit celle-ci.

- De quoi, ma fille?

- Mais de... eh bien ! d'avoir Henry Harding pour gendre.

- Ma chère enfant, répondit la veuve de ce ton circons­pect particulier à son pays — elle était Écossaise — c'est une chose sérieuse, très sérieuse, et qui mérite considéra­tion. Tu sais quelle est notre situation et combien maigres sont les ressources que ton pauvre père nous a laissées.

- Comment ne le saurais-je pas? répondit Belle avec humeur. Ne dois-je pas retourner deux fois mes robes de bal et les faire teindre pour qu'elles puissent servir une troisième fois? Raison de plus pour épouser Henry Harding. Il m'évitera toutes ces vilenies.

- Je n'en suis pas sûre, mon enfant.

- Tu sais quelque chose, maman, quelque chose que tu ne m'as pas dit !

- Presque rien, à mon grand regret.

- Mais son père est riche et il n`a que deux fils. — Ta m'as dit déjà que ses biens n'étalent pas — comment ap­pelles-tu cela? — substitués, je crois, et qu'ils seraient par­tagés également. Je me contenterai parfaitement de la moitié.

- Et moi aussi, ma fille, si j'étais bien certaine de l'avoir, cette moitié. C'est là qu'est la difficulté. Si les biens étaient substitués, il n'y en aurait aucune.

- Alors je pourrais épouser Henry.

- Non. — Nigel.

- Oh ! maman, que veux-tu dire ?

- Parce que la fortune appartiendrait à Nigel. Aujourd'hui la situation des héritiers est douteuse; tout dépend d'un caprice du testateur, et je connais assez le général Harding pour le croire très capricieux.

Belle resta, à son tour, silencieuse et pensive.

- Il est fort à craindre, continua la respectable matrone, que le général déshérite Henry ou ne lui laisse que fort peu de chose. Il est certainement très mécontent de son cadet dont il a vainement essayé de réformer la conduite. Je ne prétends pas que le jeune homme soit complètement perverti, sans quoi, je n'en voudrais pas entendre parler pour gendre, quelque pauvres que nous soyons.

En parlant ainsi, la veuve interrogeait sa fille du regard. Belle lui répondit avec un sourire significatif.

- Mais, maman, le mariage ne le corrigera-t-il pas de ses habitudes de prodigalité? Ne serai-je pas là pour prendre soin de sa fortune?

- Certainement, en supposant qu'il en ait. Mais, je le répète, c'est justement là que gît la difficulté.

- Mais, maman, je l'aime.

- J'en suis désespérée, mon enfant. Tu aurais du être plus prudente et songer davantage à l'avenir. Ne décide rien, attends — par amour pour toi et pour moi.

- Mais il va venir ! Quelle réponse lui ferai-je?

- Une réponse évasive, ma chère. Rien n'est plus facile. Ne suis-je pas là pour endosser toute responsabilité? Tu es mon unique enfant; mon consentement est nécessaire. Allons ! Belle, tu n'as pas besoin de mes instructions. Tu ne risques rien à attendre; tu as tout à gagner, au contraire. Une précipitation inconsidérée t'expose à devenir la femme d'un homme plus pauvre même que ne l'était ton père; et au lieu d'être forcée de retourner tes robes de soie, tu pourrais bien n'en pas avoir du tout à mettre. Sois donc pru­dente, c'est mon dernier conseil.

Belle soupira sans répondre. Mais ce soupir n'était ni assez profond, ni assez triste pour laisser supposer à sa mère que ses excellents conseils étaient perdus; le fin sourire qui l'accompagna lui prouva même que sa digne fille avait pris le parti de la prudence.

 

 

 

Chapitre 8.

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