(Colonel Emile-Cyprien Driant)

1855-1916

 

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Présentation de l'auteur.

Gendre du Général Boulanger, le Capitaine Danrit est, avec Louis Boussenard et Paul d'Ivoi l'un des principaux auteurs du Journal des voyages. Il représente donc l'une des figures importantes du roman d'aventures coloniales d'avant la première guerre mondiale. Les récits de Danrit sont inspirés du modèle vernien du roman d'aventures, mais relu à travers la défaite de Sedan et l'expansionnisme colonial français. La découverte du monde et de ses merveilles devient l'évocation de richesses à puiser ou de menaces à circonscrire; les machines extraordinaires, qui permettaient, chez Verne, de voyager à travers les airs et les mers, sont désormais avant tout des machines de guerre, pour détruire l'adversaire. La conclusion de L'Alerte est explicite, qui précise que la Science est un mal si elle n'est pas au service de l'Idéal, "et, de cet Idéal, le Patriotisme est la forme la plus pure". Volontiers raciste, le roman d'aventures du capitaine Danrit est fondé sur une idéologie impérialiste et belliciste. L'aventure est embrigadée, elle devient lutte contre l'adversaire: l'Anglais (La guerre fatale, mais aussi, nous le verrons, L'Invasion jaune), l'Allemand bien sûr (La guerre de demain), mais aussi les populations émergentes, que leur démographie galopante convertit en autant de "périls" qui ont obsédé les Occidentaux au début du XXe siècle: péril noir (L'invasion noire), péril jaune (L'invasion jaune, L'aviateur du Pacifique)... Qu'il soit un rival économique et militaire ou le représentant d'une culture différente, l'autre est toujours une menace.

Dès lors, l'oeuvre de Danrit nous fait basculer d'une logique triomphante du roman d'aventures coloniales de la fin du XIXe siècle à la logique plus spécifique des années précédant la première guerre mondiale: le monde est presque entièrement colonisé, les rivalités entre grandes nations ne peuvent donc plus s'exprimer par delà les océans, les tensions ne trouvent plus d'exutoire, et tout semble devoir conduire à une inéluctable guerre - la "guerre de demain". C'est ce que signalent les remarques du roman du même nom, dans lequel Danrit s'est plu à figurer lui-même: "A cette époque nous disions: 'Espérons que, si l'Allemagne et la Russie en viennent aux mains, nous ne les regarderons pas faire, bras croisés'. Eh bien il se trouvait alors des gens, des Français pour répondre: 'Mais si! pourquoi nous en mêler!' Pourquoi? mais, malheureux! parce qu'après la Russie ce sera le tour de la France, tandis qu'avec la Russie, c'est l'écrasement certain, inévitable de l'Allemagne! Prise des deux côtés entre ces formidables mâchoires, c'en est fait d'elle!" C'est la vision d'un monde prêt à exploser, et dont les alliances internationales rend tout isolement illusoire, que peint Danrit. Dès lors, l'auteur attribue à son oeuvre une fonction explicite: celle de faire voir une menace qu'il sent extrêmement proche, et dont il s'étonne que personne ne prenne la mesure: "ils savent; ils ont des écrivains qui ont constaté dans leurs revues, dans leurs journaux, le développement économique de leurs ennemis d'outre-Rhin, après leurs victoires de 1870; ils n'ont pas pu ne pas voir ce que nous autres avons gagné avec la conquête de Cuba et des Philippines, en 1898: mais de tout cela ils ne déduisent rien. De temps en temps un cri d'alarme les fait tressauter, puis ils se rassurent et se replongent dans la lecture de leurs journaux" (L'invasion jaune). Alerter l'opinion publique, lui faire voir, par l'anticipation, son inéluctable sort si elle ne change rien, tel est le dessein politique de l'auteur.

  Danrit n'est pas le seul à l'époque à sentir monter le risque de la guerre: le colonel Royet (La patrie en danger, 1904-1905, avec Paul d'Ivoi), Paul d'Ivoi (Corsaire Triplex) et Pierre Giffard (La guerre infernale) en France laissent deviner une telle obsession; chez les Anglo-Saxons, des écrivains comme Max Pemberton (Pro Patria), William Le Queux (The Great War in England) ou même John Buchan (Les Trente neuf marches évoquent elles aussi la menace d'une guerre). D'autres viendront dans l'entre-deux guerre (Jean de La Hire sous le nom de Cazal, le colonel Royet à nouveau), témoignant à chaque fois du sentiment, partagé par l'opinion publique, d'une situation internationale ne pouvant mener qu'au chaos. Ces écrits sont le reflet d'une opinion publique obsédée par la menace d'une guerre. Ils accompagnent les discours quotidiens de la presse, toujours attentive aux incidents internationaux et aux risques d'embrasement qu'ils portent en eux. Mais en formalisant cette obsession collective, en leur donnant une dimension prophétique, ces récits contribuent aussi à inquiéter les esprits. La conclusion de La guerre de demain signale combien la peur d'une invasion prochaine s'accompagne de façon ambiguë d'un espoir d'une guerre de revanche: "Où que tu ailles, rappelle-toi le drapeau qui t'a abrité, et quand tu seras appelé à le défendre, bientôt peut-être, quand elle arrivera la guerre de demain, - bientôt, je veux l'espérer, - pars avec confiance, petit soldat". cette guerre que Danrit craint et souhaite à la fois, va être la cause de sa perte, puisqu'il meurt, le 22 février 1916, lors du combat du Bois des Caures, à Verdun. Mais, comme il l'aurait souhaité, son sacrifice sera largement récupéré par la presse et les publications de la guerre, pour galvaniser les troupes.

 

Une carte postale représentant le lieu où est mort Danrit.

Les romans du Capitaine Danrit sont donc moins des romans d'aventures au sens strict, que des romans d'anticipation guerrière et, de façon essentiellement fantasmatique, d'anticipation politique (La guerre de demain porte ainsi pour sous-titre "Grand récit patriotique et militaire"). Loin d'imaginer un futur lointain, Danrit préfère évoquer des événements prochains. Le bellicisme de Danrit est associé à l'obsession du déclin de la France (face aux autres nations européennes) et de celui de l'Europe (face aux autres continents, à la démographie menaçante). Ce n'est pas un bellicisme conquérant, mais paniqué, paranoïaque. Il faut combattre parce qu'on est menacé, parce que, si on n'entre pas en guerre le premier, l'autre nous envahira. Dans les romans de l'auteur, c'est toujours l'autre l'agresseur, et il paraît d'abord près de vaincre grâce à sa fourberie. Bien plus, cet autre est toujours potentiellement un ennemi, même lorsqu'il est théoriquement un allié: dans L'invasion jaune, ce sont les Américains, capitalistes âpres au gain, qui permettent aux asiatiques de s'armer, en leur vendant fusils et cartouches. A côté d'eux, les Anglais sont des traîtres, les Allemands, des brutes, les Arabes, des fanatiques, les Asiatiques des fourbes, et les Juifs mêlent à peu près les travers de tous les autres. L'autre est nécessairement pervers, parce qu'il est l'alien, celui qui vient de l'extérieur et dont la présence est par définition une menace. Dans cette vision obsidionale de la géopolitique se structure la pensée de l'auteur: l'autre est toujours prêt à fondre sur nous, il ne peut guère exister d'allié, et il faut donc se défendre. La peur de l'autre devient donc la source du discours sur l'armée, centre des valeurs. La plupart des romans de Danrit sont dédicacés à quelque général, quelque officier qui a servi la patrie en participant à son rayonnement ou à sa défense.

Cette opposition de l'armée et de l'autre structure l'ensemble du récit de Danrit: au centre, il y a le jeune officier militaire, courageux, loyal, prêt au sacrifice pour sauver la patrie. Autour de lui, comme alliés objectifs, il y a l'ensemble de l'armée: non seulement les hommes, mais aussi (et surtout) le dispositif en lui même, c'est-à-dire les armes, les corps, les hiérarchies. Danrit aime à évoquer le fonctionnement du système, les stratégies en vogue, les mécanisme de telle arme, de tel véhicule, le rôle qu'ils sont appelés à jouer dans une offensive. C'est en cela qu'il offre, peut-être plus que tout autre écrivain, un véritable roman de guerre, dans la mesure où, contrairement aux écrivains de guerre traditionnel qui exaltent l'individu contre l'armée, l'individu tend, chez Danrit, à s'effacer derrière cet autre organisme qu'est l'armée. Cela donne à son oeuvre un aspect un peu sec, avec ses listes des forces en présence, ses fiches techniques sur telle ou telle arme, souvent accompagnées de croquis. S'il y a anticipation ici, ce n'est pas parce que Danrit invente des armes futures, mais plutôt parce qu'il imagine comment utiliser massivement les armes actuelles dans une situation de guerre mondiale: gaz mortels, aéroplanes, sous-marins, le rôle de chaque invention est considéré dans la perspective d'une vaste offensive. Et même lorsque l'auteur n'évoque qu'une machine isolée (Les Robinsons sous-marins, Au-dessus du continent noir), dans une perspective proche de ce qu'offrent les récits de machines de l'époque (ceux de Jules, Verne, de Paul d'Ivoi ou de Luigi Motta), l'auteur prend souvent soin d'évoquer ses possibilités comme arme. En ce sens, la remarque du marin Yvonnec, torpilleur sur le sous-marin Libellule, est significative: "c'est ici le principal dans un sous-marin, Capitaine; le reste, voyez-vous, c'est de l'accessoire. Tout ce qu'on fait ici, c'est pour arriver à lancer juste et au bon moment ce joli joujou réglé et armé par moi. Ici, c'est mon domaine, et j'étais bien sûr que vous voudriez voir mon tube" (Les robinsons sous-marins). La phrase vaut pour métaphore de l'ouvrage: comme le sous-marin se construit autour du compartiment du tube lance-torpille, le roman se construit autour de l'arme et pour l'arme.

La peur de l'autre, l'obsession d'une restauration de la puissance française, le militarisme de l'auteur, s'associent pour dégager une orientation politique de l'oeuvre. Ils expliquent la fascination de Danrit pour les grandes figures de l'histoire de France, Jeanne d'Arc, mais aussi - et surtout Napoléon Bonaparte. Le gendre du général Boulanger était fasciné par les figures de pouvoir galvanisant le peuple. Plusieurs de ses récits évoquent ainsi la figure de Bonaparte, comme Filleuls de Napoléon, l'une des trois partie de l'Histoire d'une famille de soldats. Il a également écrit une uchronie, Evasion d'empereur, dans laquelle des fidèles de Napoléon organisent sa fuite de l'île de Sainte Hélène à bord d'un sous-marin. Le récit s'achève tragiquement par la mort de l'empereur, mais aussi, significativement, par ces mots "Vive l'Empereur!" C'est dessiner l'espoir d'un système politique dans lequel l'armée aurait la préséance sur les forces parlementaires. L'Invasion jaune le dit de façon transparente quand Danrit caricature le leader socialiste qui, à l'Assemblée, s'en prend au militarisme. Celui-ci se lance dans un long discours contre la guerre et l'armée, qu'il entrecoupe de gorgées goulues de vin: "c'est en agitant le vieux spectre des haines de races et des haines de peuple à peuple, c'est en répétant l'antienne séculaire des guerres fatales et des revanches nécessaires - revanches que nul ne désire [...] qu'on a réussi pendant si longtemps à abuser ce pays, à tromper le peuple" dit le socialiste. On notera qu'en intégrant les critiques de ses adversaires ("l'antienne sécuritaire des guerres fatales"), en la mettant en scène à travers le discours d'un député socialiste, Danrit témoigne de son ambition de jouer un rôle dans l'arène politique. Que répond-il à ces arguments? Il commente ainsi le discours: "les Français se gargarisent de mots; l'art consiste à les choisir éclatants, redondants, à les associer de façon à faire image, à en tirer un effet sonore". Ce qui est attaqué, c'est le système parlementaire, réduit à une sophistique vaine et suicidaire. L'auteur va plus loin encore: le système républicain est mauvais parce qu'il pervertit toutes les couches de la société: "ils n'enseigneront plus l'Histoire à leurs enfants: Jeanne d'Arc est une illuminée... Napoléon est un tueur d'hommes, inutile donc de troubler la conscience de la jeunesse avec leurs faits et gestes [...] J'ai entendu un de leurs députés, présidant une distribution de prix à des enfants de dix à douze ans, recommander à ces bambins de n'obéir à leurs parents que si les enseignements qu'ils en recevaient étaient conformes aux exigences de la raison: c'est à mourir de rire". En défigurant les grands guerriers de l'Histoire, les députés affaiblissent la France, surtout, ils pervertissent la jeunesse. Par là même, ils livrent le pays à l'ennemi. A cela, Danrit oppose un autre programme éducatif, celui de la postface de La guerre de demain: "Aie confiance; ne crois pas aux livres et aux articles décourageants de ceux dont la triste préoccupation est de mettre en relief les turpitudes, les trahisons et les symptômes de décadence qui germent dans notre pays [...] et c'est même l'un des rares bons côtés du régime de servitude qui opprime, chez lui, la liberté d'écrire [...] Aie confiance, petit soldat! Ne regarde pas la caserne comme une prison et tes années de service comme l'exil dont tu attends le terme". L'éducation doit être avant tout une éducation au métier de soldat. Le reste n'est que fumée.

Au dessus du continent noir vient confirmer cette idée que la République française ne sait pas défendre son armée, quand il évoque les malheur de l'armée coloniale: "parfois, il est vrai, une lugubre nouvelle arrive en France: un de ces héroïques détachements a été détruit, et l'on vante alors la solide, lente et coûteuse préparation britannique, contrastant avec notre insouciante témérité. Les ministres envoient des ordres formels de prudence, parfois d'abandon; puis le naturel reprend le dessus: en France, les morts sont oubliés; en Afrique, les camarades ne songent qu'à les venger, et les petits tentacules se remettent à rayonner, à progresser, à annexer pour 'la plus grande patrie'". Autrement dit, le véritable patriotisme, c'est celui de l'armée, pas celui des hommes politiques.

On voit bien vers quelle solution politique nous oriente l'auteur. Il en donne quelques clefs au terme de L'invasion jaune, quand il désigne l'ennemi anglais: "c'est son argent qui a fait naître sur notre sol l'affaire lugubre [l'affaire Dreyfus], origine de tant de ruines morales, source de l'affaiblissement de notre armée. C'est elle qui, maîtresse de la Franc-maçonnerie française, a orienté constamment le gouvernement qui en était issu dans un sens contraire aux intérêts français. Et tous nos malheurs sont venus de cette entente cordiale qu'elle a transformée en alliance au seul profit de ses intérêts et de ses rancunes". Face à l'Anglais (et à tous les ennemis), la solution est claire. Il s'agit de constituer un gouvernement isolationniste et militarisé: "le seul moyen d'être indépendant pour un Etat, fit l'Américain, c'est d'être fort: votre flotte n'est pas entamée, refaites une armée solide retournez au Nil, plantez de nouveau votre drapeau en ce point capital de Fachoda que vous n'auriez jamais dû lâcher, faites un bloc de vos colonies africaines, du Sénégal à Djibouti, et votre nationalité ne périra pas". Certes, le bellicisme de Danrit n'est pas explicitement antidémocratique, mais la place qu'il accorde à l'armée, son goût des grands hommes, sa méfiance à l'égard des parlementaires, en font un discours équivoque qu'il serait intéressant d'étudier avec précision.

 

 

Principaux romans du capitaine Danrit.

- La guerre de demain (Flammarion, 1888-1893, 6 volumes, 3 parties: "La guerre de forteresse", "La guerre en rase campagne", "La guerre en ballon")

- La guerre au XXe siècle; L'invasion noire (Flammarion, 1894, 3 parties: "Mobilisation africaine", "Le grand pèlerinage à la Mecque", "Fin de l'Islam devant Paris")

- Jean Tapin (Série "Histoire d'une famille de soldats", I, Delagrave, 1898)

- Filleuls de Napoléon (Série "Histoire d'une famille de soldats", II, Delagrave, 1900)

- Petit Marsouin (Série "Histoire d'une famille de soldats", III, Delagrave, 1901)

- Le drapeau des chasseurs à pied (Matot, 1902)

- La guerre fatale (Flammarion, 1902-1903, 3 volumes, 3 parties: "A Bizerte", "En sous-marin", "En Angleterre")

- Evasion d'empereur (Delagrave, 1904)

- Ordre du Tzar (Lafayette, 1905)

- Vers un nouveau Sedan (Juven, 1906)

- Guerre maritime et sous-marine (Flammarion, 1908, 14 volumes)

- Robinsons de l'air (Flammarion, 1908)

- Robinsons sous-marins (Flammarion, 1908)

- L'aviateur du Pacifique (Flammarion, 1909)

- La grève de demain (Tallandier, 1909)

- L'invasion jaune (Flammarion, 1909, 3 volumes: "La mobilisation sino-japonaise", "Haines de Jaunes", "A travers l'Europe")

- La révolution de demain (avec Arnould Galopin, Tallandier, 1909)

- L'alerte (Flammarion, 1910)

- Un dirigeable au Pôle Nord (Flammarion, 1910)

- Au dessus du continent noir (Flammarion, 1912)

- Robinsons souterrains (Flammarion, 1913, réédité sous le titre La guerre souterraine)

 

 

Liens vers d'autres sites.

- Une page consacrée à L'invasion noire, mais évoquant bien d'autres oeuvres. Remarquable, comme toujours dans le cas du site de L'Adamantine.

- Une page de présentation de Danrit et de L'aviateur du Pacifique.

- Quelques indications sur la généalogie de Danrit.

 

 

Où trouver les oeuvres de l'auteur?

       L'idéologie de Danrit est le reflet d'une époque. Cela explique qu'il n'ait guère été réédité après la seconde guerre mondiale, et que les éditions sont rares même dans l'entre-deux guerres. Ses récits, comme toutes les oeuvres d'anticipation, sont recherchées, aussi se négocient-ils assez cher.

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