(1863-1934)
Où trouver les romans de Galopin?
Auteur de romans d'aventures pour la jeunesse, Arnould Galopin, s'est illustré au début du siècle avec un succès non démenti dans des oeuvres lointainement inspirées de celles de Jules Verne et de Paul d'Ivoi: séries interminables de fascicules destinés à la jeunesse, présentant les exploits extraordinaires de gamins débrouillards et interchangeables à travers le globe - "le petit Buffalo", "le petit chasseur de la Pampa", "le petit poilu de 12 ans", "le petit détective" et tous leurs avatars. En cela Galopin a représenté, avec Jean de La Hire, Roger Salardenne et Raoul de Nizerolles, un courant oublié de la littérature populaire pour la jeunesse, qui fut pourtant très proches par leur structure et leur naïveté, des premières bandes dessinées, la littérature en fascicules pour la jeunesse.
Mais si cette litanie de héros pour la jeunesse, ancêtres de Tintin et du Club des cinq, représente indéniablement les plus gros succès de l'auteur, son oeuvre ne se résume pas à eux, loin de là. Après avoir fait ses armes dans le métier de journaliste, Galopin semble d'abord s'être efforcé de faire oeuvre d'historien, car on trouve, dans les premières décennies de sa carrière, un grand nombre de préfaces de sa plume à des mémoires et monographies historiques (par exemple celle qui précèdent la réédition de 1907 des Mémoires sur Louis XVII de Jean Eckard). Le succès plus important qu'il a connu dans le domaine de la littérature populaire l'aura probablement détourné de ce type de publications.
En parallèle en effet, Arnould Galopin se lance rapidement dans la publication de récits populaires, sans se spécialiser à l'origine dans la littérature destinée à la jeunesse. Les oeuvres pour enfants ont en effet longtemps cohabité avec des récits populaires d'une facture plus classique, comme les aventures du gentleman cambrioleur Edgar Pipe, rival de Raffles et d'Arsène Lupin qui connaîtra trois incarnations: Mémoires d'un cambrioleur retiré des affaires (1922), La Résurrection d'Edgar Pipe (1933) et La Dernière incarnation d'Edgar Pipe (1934). Anglais, comme Raffles, le personnage est vaniteux comme Hector Ratichon, le héros rogue de la Baronne Orczy, mais moins ambigu que cet homme de loi, fortuné comme Lupin, mais moins chanceux que ce dernier. C'est dans un esprit similaire qu'il faut considérer L'homme au complet gris pastiche des récits de Conan Doyle. Galopin s'est aussi voulu romancier de la mer, comme le sera après lui Jean d'Agraives. Il a ainsi publié toute une série de romans maritimes et d'anecdotes héroïques de la mer, comme Les Gars de la flotte (1918), Sur le front de mer (idem) ou Mathurin Le Clech (1927). En ces temps de guerre et de patriotisme, le récit maritime reste avant tout un récit patriotique: qu'il s'agisse d'évoquer la marine de guerre ou la marine marchande, ce sont les mérites du peuple français qui sont exaltés à travers ces exploits de marins. Plus généralement, les oeuvres de Galopin qui précèdent la première guerre mondiale ou la suivent directement sont très souvent marquées par un esprit patriotique, comme La Fiancée de l'espion (sous-titré Grand roman patriotique inédit) ou Sur la ligne de feu, qui s'inscrit dans la tradition des récits, publiés pendant la première guerre, et destinés à entretenir l'effort de guerre à l'arrière et le moral des troupes sur le front.
Si la plupart de ces oeuvres sont aujourd'hui oubliées, à l'exception peut-être des exploits d'Edgar Pipe, qu'évoquent fréquemment les histoires de la littérature policière. Ce n'est pas le cas des récits de jeunesse. C'est en effet dans ce domaine que la prolixité d'Arnould Galopin a trouvé à s'exprimer. La plupart de ses oeuvres pour la jeunesse ont été publiées - ou republiées - en fascicules. ces petits journaux, généralement de 16 pages, étaient vendus à raison d'un numéro par semaine, en deux colonnes sur du papier journal; ils possédaient une couverture illustrée en couleur et, souvent, des illustrations intérieures en noir et blanc. Le premier numéro était généralement offert aux lecteurs, et les suivants étaient vendus quelques dizaines de centimes. Mais le faible coût était compensé par les dimensions des récits à suivre, qui pouvaient s'étendre sur une centaine de numéros. Le procédé est en réalité l'ancêtre d'un autre système de vente, celui des objets en pièces détachées (maquettes, encyclopédies, jeux) vendues peu cher (le premier numéro presque gratuit), mais le nombre des numéros rend l'ensemble en définitive plutôt onéreux. Les récits en fascicules étaient en général proposés, dans un second temps, en format relié (les récits formant alors eux-mêmes parfois jusqu'à six volumes). Les dimensions du récit, la nature de la lecture (étendue dans le temps, et distendue au fil des semaines), mais aussi celle du lectorat (de jeunes lecteurs peu attentifs lisant rapidement et pour le plaisir) conduisent les récits à se fonder sur une structure narrative particulière, tendant à privilégier l'épisode au détriment de la trame d'ensemble (cette dernière est souvent un prétexte, tour du monde, décision de voyage, etc.): chaque numéro du fascicule raconte une anecdote qui peut parfois être lue indépendamment du reste. La logique du numéro s'oppose dans ce cas à celle du récit d'ensemble, et il est parfois difficile de dire si l'on assiste aux mésaventures disparates d'un héros récurrent ou à une aventure unique.
Dans le domaine de la littérature de jeunesse, il faut des récits d'aventures extraordinaires, en particulier Le docteur Omega, 1906, republié en 1908-1909 en 12 fascicules sous le nom d'Aventures fantastiques d'un jeune Parisien (notons qu'en 1928, il publié Le bacille 1928, récit de savant fou qui n'est pas directement présenté comme un récit pour la jeunesse). Le docteur Omega, qui raconte les aventures d'un savant et de jeunes enfants sur la planète Mars, est l'un des tous premiers exemples d'aventures martiennes dans la littérature française. En ce sens, on a pu en faire l'un des premiers grands récits de science-fiction, même s'il s'inscrit davantage dans la tradition des aventures extraordinaires: on y combat la faune martienne comme l'on combat ailleurs les lions et les panthères, et le "Cosmos", vaisseau d'Omega, rappelle les aéronefs de ses récits de machines.
On lui doit également des récits de machines extraordinaires, dans lesquels les exploits à l'aide de machines technologiques (inventées ou non) forment l'armature du récit (Le tour du monde en aéroplane, avec H. de la Vaulx, 1912-1914, 160 fascicules, Le tour du monde en sous-marin, 1925-1926, 99 fascicules). Ces oeuvres s'inscrivent dans la tradition des récits qui faisaient le succès de Paul d'Ivoi et de Verne ou encore, dans un autre registre, du capitaine Danrit (avec lequel Galopin aurait semble-t-il collaboré sur La révolution de demain, 1909-1910). Ces ouvrages ont été en général publiés avant la première guerre mondiale. Par la suite, la mode du récit de machine est un peu passée (les avions, les trains, les sous-marins sont devenus monnaie courante), et l'auteur préfère publier des récits d'aventures géographiques.
D'autres récits, les plus nombreux, participent de la tradition du roman d'aventures géographiques, inspirés davantage de Louis Boussenard (et son Tour du monde d'un gamin de Paris) que de Jules Verne. Ces récits racontent en effet des tours du monde effectués par le héros (Aventures d'un petit explorateur) ou ses voyages dans les pays lointains, généralement pour chasser (Le petit Buffalo, Le petit chasseur de fauves, Le petit chasseur de la Pampa) (Le petit mousse, 1916). Les aventures se succèdent: un épisode de chasse, un combat contre une tribu hostile, une catastrophe naturelle... C'est dans ce domaine que la veine de Galopin a été la plus importante.
On doit encore à Arnould Galopin des récits d'aventures policières dans lesquels l'aventure l'emporte largement sur l'enquête (Le petit détective, 83 fascicules, 1934-1935. L'un des détectives de Galopin, Allan Dickson, héros de L'homme au complet gris, aurait influencé la création du fameux détective Harry Dickson), ou encore une longue série d'aventures patriotiques (Un Poilu de 12 ans, 55 fascicules)...
L'apparente variété des sujets et des cadres ne doit pas tromper. En réalité, les cadres varient, mais pas les trames, en tout cas pas fondamentalement. Ce sont toujours les mêmes héros, garçons valeureux, toujours les mêmes ennemis, bandit sans scrupules, et surtout, accumulations de péripéties, toujours extraordinaires, toujours similaires.
Les héros de Galopin sont en général de jeunes garçons (Un aviateur de 15 ans, 99 fascicules, 1926-1928; Aventures d'un écolier parisien, 151 fascicules, 1931-1934), comme le sont les lecteurs de fascicules à l'époque, et sont tous plus ou moins interchangeables, comme en témoignent les titres répétitifs des séries (Aventures d'un écolier parisien / Aventures d'un apprenti parisien - 1912-1914, 100 fascicules; Le petit chasseur de panthères / Le petit chasseur de la pampa). Leur principal trait de caractère est le courage, un courage et un dévouement qui rappellent ceux des boys scouts anglo-saxons ou ceux de Jean de La Hire: Galopin a d'ailleurs lui-même écrit une série de fascicules prenant pour héros un jeune scout (Le tour du monde d'un boy-scout, 1932-1934, 77 fascicules). Comme pour Lord Baden Powell, le modèle du boy-scout porte en lui-même une idéologie éducative, celle qui doit former les futurs soldats et colons de la Nation. Ainsi, le "jeune Parisien" peut-il se faire soldat (Aventures d'un poilu de 12 ans, 1920-1924, 219 fascicules) ou explorateur (Aventures d'un petit explorateur, 1924-1925, 105 fascicules), sans que rien d'autre que son costume ne soit altéré. Si un tel modèle de personnages renvoie aux jeunes lecteurs de fascicules une image idéalisée d'eux-mêmes, il leur propose en même temps un discours moral et patriotique omniprésent (proche de celui préconisé par Lord Baden Powell), concentré sur les valeurs de courage, de sacrifice, d'abnégation. Cette morale fondée sur un arrière-plan belliciste était dominante au début du XXè siècle, non seulement en France, mais aussi en Allemagne et en Grande-Bretagne (Cf. sur la question Cecil D. Eby, The Road to Armaggedon, Londres, Duke University Press, 1988).
Réédition du Tour du monde en aéroplane dans Le Petit détective (1936-1937). Le titre du périodique est tiré d'une oeuvre de Galopin |
L'essentiel de l'oeuvre d'Arnould Galopin a été publié en feuilletons et en fascicules. Il en aurait écrit plus de 2000 tout au long de sa carrière. Le style et les sujets privilégiés par Galopin dans ses oeuvres sont en grande partie conditionnés par cette forme de publication. Les récits sont longs et riches en rebondissements. Cela s'explique aisément: les fascicules sont en effet vendus séparément, toutes les semaines ou tous les quinze jours, possèdent un titre séparé, et les livraisons sont généralement plus longues que celles des feuilletons du XIXè siècle (une dizaine de pages de deux colonnes au format A4 pour les plus brefs, soit environ cinq chapitres brefs). Ils peuvent proposer soit des récits complets dans chaque livraison (généralement avec un héros récurrent), soit un épisode d'un roman plus vaste, dont l'étendue dépend généralement du succès de la série (comme pour les soap modernes). Dans ce cas cependant, l'unité n'est pas tout à fait celle d'un roman traditionnel. Achetés par des lecteurs qui n'ont pas nécessairement lu tous les numéros du fascicules, ils doivent leur permettre de comprendre rapidement l'intrigue dans laquelle ils pénètrent. Ils proposent dès lors généralement un récit qui hésite entre l'unité d'une intrigue unique (celle des romans traditionnels) et la multiplicité d'aventures disparates (celles d'une série d'aventures à héros unique). Les fascicules proposent souvent un épisode distinct d'une aventure plus vaste, et cet épisode possède son propre dénouement dans le numéro, ainsi que l'esquisse de l'épisode suivant. En même temps, l'épisode s'inscrit dans une chronologie plus générale, celle d'une aventure à l'intrigue assez lâche. C'est ce qui explique la récurrence des récits de tours du monde (Le tour du monde de deux gosses, 1907-1908, 48 fascicules, Le tour du monde en aéroplane / en sous-marin). Dans ce type d'intrigue, en effet, la succession des étapes dans le voyage, la multiplication des contretemps et des bifurcations fournissent au récit une quantité inépuisable de mésaventures, tandis que la structure du tour du monde, en permettant à tout moment de retrouver sur une carte l'itinéraire du personnage, fournissent une unité - en réalité une apparence d'unité - au récit. De même en est-il des aventures de chasse ou d'exploration, fondées sur une succession d'anecdotes séparées, mais unies entre elle par l'argument thématique et la répétition d'une même structure narrative.
L'oeuvre de Galopin témoigne de la logique de la narration populaire poussée dans ses limites les plus extrêmes: si les intrigues sont stéréotypées, et les personnages interchangeables, c'est que le récit s'apparente aux mécanismes d'une narration réduite à une pure mécanique du conte, machine inépuisable à produire des péripéties. Le récit est profondément intertextuel en ce sens que la succession des péripéties n'obéit pas à une logique réaliste ou à un vaste plan narratif, mais à une sorte de mécanique poétique (au sens étymologique), qui enchaîne les événements par contiguïté: la savane entraîne la chasse au lion, le lion entraîne le combat avec le fauve, le fusil qui s'enraye, etc. La probabilité que ces événements se produisent dans la réalité est faible, mais elle devient très forte ici, parce qu'ils se déroulent de la sorte dans d'autres romans d'aventures, et que c'est à une telle probabilité intertextuelle que se réfère le récit (si cela se déroule dans d'autres romans d'aventures, alors cela se déroulera ici). Tout peut arriver tant que cela ne va pas à l'encontre de la logique de l'aventures; à l'inverse, il devient dès lors hautement improbable de ne pas rencontrer de lions en Afrique, de tempête sur l'océan ou d'Indiens en Amérique. Dans ces conditions, le réel disparaît au profit du sens: chaque élément du décor est un signe annonçant un certain nombre d'événements à venir, chaque description est appelée à jouer un rôle pour la suite de l'aventure. Dans leur simplicité, les récits d'Arnould Galopin révèlent la véritable nature de tout récit, dont la logique, tout artificielle, obéit à des règles purement littéraires: ici, ces règles dérivent des stéréotypes narratifs et thématiques, ou des invariants génériques et intertextuels.
Où trouver les romans de Galopin?
La difficulté à trouver les oeuvres de Galopin s'explique par le fait que la plupart de ses romans ne sont parus qu'en fascicules, aujourd'hui rares et coûteux, parce que très recherchés par les collectionneurs. On trouve cependant des recueils de fascicules (réalisés par des particuliers ou vendus par les éditeurs), à des prix souvent très élevés. Voici quelques pistes pour l'amateur:
Le plus simple est de tenter une recherche sur abebooks.fr, principal site fournisseur de livres d'occasion.
Vous pouvez également vous renseigner auprès de l'un ou l'autre des libraires dont je donne les références à la page adresses.