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Généralités

Mondes perdus

Machines extraordinaires

Aventures fantastiques (prochainement).

Science-fiction archaïque (prochainement).

Généralités

Si l'un des traits fondamentaux du roman d'aventures est le dépaysement, ce dépaysement peut prendre des formes très différentes: outre la distance temporelle (aventures historiques) et spatiale (aventures géographiques), qui affectent le chronotope du récit, outre la distance sociale de l'exploration d'une face cachée du monde (aventures policières ou mystères urbains), le roman d'aventures peut recourir à l'écart introduit par le glissement du possible à l'impossible. Ce glissement, c'est celui du fantastique. Il figure le dépaysement le plus radical puisqu'il intervient dans l'ordre même du monde, imposant une logique du vraisemblable propre à l'univers de fiction que refuserait la vraisemblance propre à notre monde.

 On a souvent trop tendance à négliger les liens qui existent entre le roman d'aventures et le monde du fantastique et de la science fiction. Pourtant, nombre des œuvres les plus fameuses du roman d'aventures sont liées à l'un ou l'autre de ces genres et ce, chez presque tous les auteurs: Le Monde Perdu (The Lost World) de Conan Doyle décrit un pays peuplé d'êtres préhistoriques, Les Mines du roi Salomon (King Solomon's Mines) de Rider Haggard imagine un pays fabuleux peuplé de Blancs au cœur de l'Afrique, la série des Tarzan de Rice Burroughs recourt fréquemment au surnaturel, les récits de Paul d'Ivoi imaginent des machines fabuleuses ou d'étranges hypnotiseurs, et les récits de Verne nous font visiter les entrailles de la terre, ou le ciel à bord de navires volant. La liste serait longue des auteurs qui, de Stevenson (The Master of Ballantrae) à Gustave Le Rouge en passant par John Buchan et Jules Verne, ont utilisé à un moment ou l'autre un élément fantastique comme ressort de leur récit. Il existe cependant des auteurs qui se sont spécialisé dans le genre. Outre Rice Burroughs et Rider Haggard, maîtres du récit de mondes perdus, il faut citer les auteurs de science-fiction archaïque, comme Luigi Motta, Jean de La Hire, H. J. Magog ou Léon Groc, les auteurs de récits de machine, comme Jules Verne, Paul d'Ivoi ou Léo Dex, ou les maîtres des récits à atmosphère fantastique, comme Gustave Le Rouge ou Marcel Allain. Tous, à leur façon, ont joué à la fois avec les codes de l'aventure et du fantastique, préparant le terrain à ces grands genres mixtes du XXe siècle que sont la science fiction et l'heroic fantasy.

Ce lien entre le roman d'aventures et le récit fantastique tient précisément à leur relation ambiguë par rapport au réel. L'un comme l'autre se situent dans un cadre réaliste, celui du monde quotidien, qu'ils mettent à mal en introduisant un ou des éléments ressortissant d'une autre logique: si le fantastique propose l'intrusion d'un élément surnaturel dans un cadre rationnel, le roman d'aventures propose de faire basculer l'ensemble du cadre dans une autre logique, celle de l'aventure, c'est à dire celle d'une logique de l'événement dangereux et extraordinaire. Dès lors, l'élément fantastique y intervient comme le moyen par excellence de ce basculement.

 

Mondes perdus.

"Quelque part sur le globe, en un lieu retiré, isolé du monde moderne et du reste de l'humanité, dans une enclave préservée de l'histoire, au bout d'un étroit défilé que barrent de hautes parois rocheuses, un groupe d'hommes et de femmes vit sa vie propre, dans l'ignorance la plus totale de ce qui est advenu ailleurs: cette communauté est un rameau détaché de civilisations occidentales disparues ou un isolat échappé à l'anéantissement et situé à un stade antérieur de l'évolution". Cette définition que donne Alain-Michel Boyer des "Mondes perdus" dans l'ouvrage collectif du même nom (parue aux Presses Universitaires de Bordeaux) définit assez précisément les modalités du genre. Les Mondes Perdus, ce sont ces récits où des Occidentaux découvrent par hasard ou sur la foi d'une carte, un pays fabuleux ayant connu une évolution différente de la nôtre, en général archaïque, voire primitive.

Selon Lauric Guillaud (idem), il existe quatre grands types de récits de mondes perdus:

- Les récits de terre creuse: Dans ces oeuvres, on imagine qu'il existerait un monde au centre de notre terre, séparé depuis toujours du nôtre, ou isolé depuis une catastrophe. Ce type d'oeuvres serait inspiré des théories du capitaine Symmes, développées dans un ouvrage de 1826, Theories of Concentric Spheres, où il affirme que la terre est creuse, et qu'elle est ouverte aux pôles. On trouve les prémices de ce type de récit chez Poe, avec les Aventures d'Arthur Gordon Pym. Au terme de son voyage en effet, Pym se dirige vers un gouffre mystérieux, situé au pôle. D'autres auteurs fameux s'inspireront de ce thème: le Français Jules Verne (Voyage au centre de la terre), l'Américain Edgar Rice Burroughs (avec son cycle Pellucidar) ou, moins connu, le Russe Obroutchev (avec La Plutonie).

- Les récits de mondes préservés: Dans ces récits, on découvre des races oubliées ou disparues depuis longtemps. C'est dans ces oeuvres que se développent ainsi les récits de dinosaures ou les rêveries liées au chaînon manquant: l'oeuvre la plus fameuse dans ce domaine est sans conteste Le Monde Perdu de Conan Doyle, où les héros découvrent, sur un plateau isolé, un écosystéme préservé depuis le temps de la préhistoire. On retrouve ici des préoccupations proches de celles de Verne, dans Voyage au centre de la terre ou de Obroutchev dans La Plutonie, mais aussi d'un des épisodes de Tarzan d'Edgar Rice Burroughs: Tarzan dans la préhistoire.

- Les récits d'Atlantide et de continents perdus (Mu, la Lémurie, etc.): ici, ce qui est évoqué, c'est un espace géographique légendaire, mais dont on n'a jamais attesté l'existence, et qui a été préservé. En France, l'exemple le plus connu de ce type d'oeuvres est sans doue L'Atlantide de Pierre Benoit. Mais d'autres oeuvres également fameuses doivent être citées, à commencer par Tarzan et les joyaux d'Opar d'Edgar Rice Burroughs, Le réveil de l'Atlantide de Paul Féval fils et Magog, ou La Découverte de l'Atlantide de Denis Wheatley.

- Enfin viennent les récits de races perdues ("lost race tales"): ces récits forment la grande majorité des Mondes Perdus: de Rider Haggard (She, Les Mines du roi Salomon, et la majorité des oeuvres du cycle d'Alan Quatermain) à Kipling (L'homme qui voulut être roi), en passant par de nombreux récits du cycle de Tarzan d'Edgar Rice Burroughs (Tarzan et les croisés, Tarzan et l'Empire romain, Tarzan et le secret de la jeunesse) ou par Le Pays des aveugles de H. G. Wells. Les récits de Lovecraft, plus tardifs, proposeront une vision assez différente de races perdues en imaginant une civilisation de Dieux et de démons qui auraient vécu avant l'homme (ce qu'on retrouvera dans le cycle de Ctuhlu). Enfin, il faut songer à l'ensemble des récits qui imaginent des races perdues radicalement différentes de la nôtre: peuples d'hommes poissons, d'hommes plantes (L'étonnante aventure d'Hareton Ironcastle, Rosny l'aîné), et en fait, tous les récits de science fiction se déroulant sur notre terre.

C'est une caractéristique des récits de mondes perdus d'être à la frontière du roman d'aventures et de la science fiction: les oeuvres s'appuient sur des hypothèses scientifiques (le chaînon manquant, la terre creuse, le darwinisme social) pour développer des récits de fantaisie. Des auteurs comme Abraham Merritt sont à la frontière des deux genres.

Mais Lovecraft, Burroughs et Merritt nous orientent vers une autre tradition littéraire, plus tardive: celle de l'heroic fantasy. Ces mondes primitifs que découvrent les héros sont en effet fort proches de ce qui définira ce genre né au XXe siècle: emprunts aux mythologies et aux légendes médiévales, ressaisie, selon des principes narratifs et littéraires modernes, de structures, de personnages et de thèmes des littératures archaïques, recours au merveilleux et à la magie. Ainsi, chez Rice Burroughs, Tarzan explore tour à tour différents univers empruntés à l'imaginaire médiéval (les croisés) ou à l'imaginaire antique (les Romains, les Atlantes). Les héros de Haggard redécouvrent des peuples issus de l'imaginaire biblique (Queen Sheba's Ring, King Solomon's Mines) ou antique (She). La magie est souvent présente dans les oeuvres (qu'on songe aux magiciens de Haggard et de Burroughs, ou aux sources d'immortalité chez ces deux mêmes auteurs), et les animaux fantastiques sont légions (en particulier dans le bestiaire martien de Burroughs, mais aussi dans les récits préhistoriques d'Obroutchev ou de Conan Doyle). Les univers barbares (ceux de Burroughs en particulier) annoncent souvent quant à eux les récits de R. E. Howard. C'est enfin la cohérence du monde décrit, qui se traduit souvent par une tentative opérée par les auteurs ou les amateurs, de le cartographier, qui rappelle l'univers de l'heroic fantasy.

Mais l'imaginaire des mondes perdus s'inscrit également - et peut-être surtout dans la perspectives des rêveries coloniales. Ces royaumes que découvrent les personnages, riches en trésors infinis, et sur lesquels ils sont apppelés à rêgner, ne sont rien d'autre que la reformulation fantasmatique des récits de royaumes coloniaux - ceux du Rajah Brooke par exemple. L'intertexte est évident dans un monde perdu réaliste comme celui de Rudyard Kipling (L'Homme qui voulut être roi). Il l'est peut-être moins chez Haggard et Burroughs, et pourtant, à chaque fois, un Blanc est amené à prendre possession de territoires inconnus, opérant les mécanismes d'appropriation du monde à l'époque. Car ces mondes issus du passé sont aussi des mondes dépassés qui, selon les théories du darwinisme social qui séduisaient encore à l'époque, sont condamnés à disparaître, dévorés par des sociétés plus évoluées. Cela explique l'importance des imaginaires préhistoriques, qui reformulent en terme de lutte des races et de darwinisme la conquête géographique: la race qui est massacrée dans The Lost World de Conan Doyle exprime la supériorité du Blanc, et justifie en quelque sorte le processus de prédation annoncé à la fin de l'oeuvre. C'est aussi la mort qui attend le peuple de lâches qu'évoque Haggard dans Queen Sheba's Ring. Dans tous les cas, le Blanc joue un rôle fondamental dans la survie du peuple qu'il découvre: soit celui-ci fait allégeance et il survit, soit il lui résiste, et il est détruit.

 

 

Machines extraordinaires

Si Jules Verne n’est pas le premier à avoir exploité des thèmes technologiques dans ses œuvres – Edgar Poe, par exemple avait utilisé le ballon bien avant lui – c’est sans doute lui qui a lié pour un temps le thème de la machine au roman d’aventures. Au point qu’on a souvent présenté Jules Verne comme un auteur de romans à machines, alors même que ce type de récits ne dépasse pas le tiers de son œuvre. Dans son ouvrage consacré au romancier et la machine, où il donne une place considérable à Verne, Jacques Noiray a fait le décompte des romans à machine, qu’il appelle “roman à fiction technique”. Les ouvrages qu’il qualifie ainsi sont les suivants : Cinq semaines en ballon (ballon), De la terre à la lune (canon – boulet), Vingt mille lieues sous les mers (sous-marin), Une ville flottante (navire), L’île mystérieuse (sous-marin), Les cinq cents millions de la Bégum (canon), La maison à vapeur (locomotive routière), Mathias Sandorf (sous-marins), Robur le conquérant (hélicoptère), Sans dessus dessous (canon), Le château des Carpathes (phonographe et lanterne magique), L’île à hélice (île artificielle), Face au drapeau (canon, sous-marins), Maître du monde (véhicule amphibie), L’étonnante aventure de la mission Barsac (usine électrique, hélicoptères). Pour Jacques Noiray, pour considérer un roman comme une “fiction technique”, il faut qu’il y ait au cœur du récit un objet lié au génie moderne, voire une extrapolation, à partir des connaissances de l’époque, sur ce que pourrait devenir tel ou tel objet dans un proche avenir.

Sous-marins, hélicoptères, boulets de canons habitables, machines à vapeur, véhicules amphibies… on le voit, la machine que privilégie Verne parmi tous les objets inventés par la science contemporaine, c’est le moyen de transport. Comme le souligne encore Noiray, “il ne suffit donc pas que la machine soit conçue par Jules Verne comme une enveloppe habitable ; elle doit encore se déplacer. Sa fonction dernière est de produire le mouvement. Mieux encore, on pourrait dire que l’être de la machine coïncide avec son mouvement, car sa mort vient autant de son immobilisation que de sa destruction même”. Grâce au véhicule extraordinaire, l’auteur peut ainsi combiner ses deux domaines de prédilection : la science et la découverte géographique. Or, l’usage d’un véhicule hors du commun transforme le récit d’aventures géographiques en un tout autre type d’œuvre. Il ne s’agit plus tant de proposer un décor dépaysant que de le modifier, à travers l’objet extraordinaire. En effet, si la machine permet à ses propriétaires de découvrir le monde à leur guise, en leur fournissant une habitation confortable, elle les sépare également de l’extérieur. Aussi l’espace traversé se réduit-il souvent à un paysage contemplé de loin, à travers un hublot ou du promontoire rassurant d’un véhicule volant. L’aventure est parfois même contemplée de l’extérieur par les héros, qui se font spectateurs, comme le lecteur, de scènes qui se déroulent sous leurs yeux, tel Aronnax découvrant le pêcheur de perles à travers le hublot du Nautilus ou Michel Ardant voyant éclater un météore à quelques mètres de sa fusée. Le véhicule met à distance le monde et, avec lui, l’aventure : la tribu qui a le malheur d’attaquer Nemo est repoussée par la seule puissance du Nautilus (puisque celui-ci est doté d’un courant électrique foudroyant) et les cannibales qui ont le malheur d’être survolés par Robur le payent cher, massacrés qu’ils sont à coups de canon. L’objet technique, fruit du génie humain, tend à mettre à distance toute incertitude. Comme l’écrit Jean Delabroy, chez Jules Verne, “la modernité ouvre au roman cette contradiction majeure de l’autoriser à des inventions exceptionnelles, que peut porter un nouveau vraisemblable technique, mental, social, mais de l’obliger aussi, à proportion même du triomphe de sa civilisation, à ne pas inventer d’inconnu, d’altérité quelconque, qui viendrait menacer d’altération la toute puissance du progrès”. Si la machine est à la fois un moyen de transport et un lieu d’habitation, c’est qu’elle combine les motifs de la rencontre avec la nature et du refuge contre cette nature (à l’image de l’éléphant à vapeur face à l’incendie de forêt). L’incertitude associée à l’inconnu géographique est rejetée à l’extérieur de l’asile de métal qu’est la machine.

Mais l’aventure n’est pourtant pas évacuée : si le véhicule offre un refuge contre la nature, la nature en retour ne cesse de menacer cette relative sécurité que représente la machine face au monde : le vaisseau volant de Robur manque d’être entraîné dans les flots par une baleine, la maison à vapeur risque d’être détruite par un troupeau d’éléphants et le Nautilus se retrouve un temps enfermé dans les glaces d’un iceberg. Les récits de machines voient s’affronter brutalement le génie de l’homme et la nature. Si cette dernière menace constamment les créations techniques, c’est que le savant les a créées comme un défi constant à l’ordre du monde, et s’en sert pour outrepasser ses limites, à la façon de Robur décidant de franchir l’Himalaya ou de Nemo atteignant le pôle Sud. Ainsi, c’est l’opposition entre le véhicule technique et la nature qui permet à la mésaventure de prendre forme ; et cette rencontre est bien souvent à l’origine même de l’Aventure : Robur veut démontrer à Uncle Prudent et Phil Evans la supériorité des “plus lourds que l’air” en les emmenant pour un voyage forcé à bord de son véhicule (Robur le conquérant) ; Nemo (Vingt mille lieues sous les mers) est contraint de garder à ses côtés Aronnax et ses amis pour les empêcher de révéler l’existence de sa formidable machine, mais en profite pour leur faire découvrir les merveilles du monde (comme Robur, encore lui, qui, dans Maître du monde, enlève John Strock à bord de son Redoutable) ; c’est le projet fou d’un voyage démesuré qui gouverne les personnages de la Maison à vapeur. Dans tous les cas, si l’on excepte les minces intrigues parallèles (désir d’évasion des héros de Vingt mille lieues sous les mers, de Robur le conquérant ou de Maître du monde ; répression d’une insurrection anglaise dans La maison à vapeur ; conflits de pouvoir dans L’île à hélice) qui, on l’a vu, sont traitées avec trop de désinvolture par Verne pour ne pas apparaître comme des “Aventures prétextes”, c’est la mise à l’épreuve de la faculté humaine à créer des machines extraordinaires qui est finalement le sujet principal, l’Aventure, du récit.

Dès lors, il est possible d’étendre cette présentation à la problématique plus générale des “voyages extraordinaires” : non pas l’ensemble des œuvres de Verne rassemblées sous cette expression, mais les récits fondés sur la narration d’un voyage hors du commun, soit que les conditions de l’aventure paraissent exceptionnelles (Le testament d’un excentrique où il s’agit de parcourir les États américains selon les principes du jeu de l’oie, Le tour du monde en quatre vingt jours où les héros doivent accomplir un voyage autour de la terre en un temps limité), soit que le monde de transport est inhabituel (La Jangada, où les personnages descendent l’Amazone sur un gigantesque radeau de bois). Dans tous les cas, c’est le voyage inhabituel qui représente le corps du récit, bien plus que les intrigues prétextes. Dans tous les cas, le défi que lance le héros à la nature et à ses incertitudes n’est possible que parce qu’il compte parvenir à ses fins grâce aux progrès de l’invention humaine, à l’image de Phileas Fogg qui, s’appuyant sur l’idée que “la terre a diminué, puisqu’on la parcourt maintenant dix fois plus vite qu’il y a cent ans”, entreprend son tour grâce au rail et aux steamers. À chaque fois, un postulat impossible est posé au début du roman, un défi lancé à la nature et aux possibilités de l’homme, et il s’agit pour les personnages d’en démontrer le bien-fondé.

Certes, une telle définition nous conduit à étendre la notion de dépaysement fantastique de manière un peu abusive, et par analogie, à un domaine qui n’est plus à proprement parler fantastique, puisque le dépaysement du possible vers l’impossible ne se produit plus. Ce n’est plus la machine imaginaire, créée à partir des extrapolations de l’auteur, qui est le moteur du récit, mais un projet si extraordinaire – si excentrique diraient les amateurs de Paul d’Ivoi – qu’il en devient comme fantastique.

 

Le succès qu’a connu Verne explique qu’il ait été imité par de nombreux auteurs, en France ou ailleurs. En Italie, on citera les noms d'Emilio Salgari (Al polo Australe in velocipede, Attraverso l’Atlantico in pallone), de Luigi Motta (L’Aereo infernale, Il Vascello aereo) et surtout de Yambo, qui doit autant à Verne qu'à Robida. En Grande-Bretagne, un auteur comme Wells reste redevable de Jules Verne. En France, Léo Dex (Le Sahara et le Soudan en ballon, roman aérostatique, Voyages et aventures d'un aérostat), Gustave Le Rouge (Le sous-marin “Jules Verne” hommage explicite au Nautilus et à son créateur, ou La princesse des airs), le capitaine (L’aviateur du Pacifique, La guerre de demain, Les Robinson sous-marins), ou encore Tancrède Vallerey (Un mois sous les mers, L'avion fantastique) sont quelques imitateurs plus ou moins connus de l’auteur. Mais c’est au premier chef Paul d’Ivoi qu’il convient de citer ici. Les œuvres de Paul d’Ivoi exploitent ainsi sans vergogne la formule inventée par Verne, jusqu’au titre de la série qui les regroupe, “Voyages excentriques”, qui décalque de façon transparente le terme de “Voyages extraordinaires” employé par Verne. Le rapprochement détaille d’ailleurs largement le titre : L’aéroplane fantôme rappelle les inventions de Robur, Les cinq sous de Lavarède poussent un peu plus loin le projet du Tour du monde en quatre vingt jours ; comme Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers, Le corsaire Triplex possède un sous-marin qu’il utilise comme arme de guerre (même s’il le fait pour le bien de la France plutôt que pour le bien de l’humanité) ; et le véhicule du Docteur mystère rappelle celui de la Maison à vapeur (les deux romans se déroulent d’ailleurs en Inde). Pourtant le choix du terme “excentrique” est révélateur des changements opérés par d’Ivoi par rapport au projet de son modèle : plus fantaisiste que Verne, il s’amuse à imaginer des intrigues extravagantes, où la rigueur scientifique est abandonnée au profit de l’insolite : le “docteur Mystère” circule non seulement dans un véhicule roulant, mais il possède également de formidables pouvoirs hypnotiques ; l’intrigue de La course au radium évoque non seulement une course automobile autour du monde, mais l’existence d’un mystérieux radium capable de transformer des minéraux en précieux joyaux (résurgence de l’antique pierre philosophale) ; dans la Diane de l’archipel, non seulement Jean Fanfare voyage en véhicule amphibie, mais ils doit lutter pour sauver sa bien-aimée, transformée en statue d’aluminium.

On voit, avec Paul d’Ivoi, comment le glissement peut se produire du récit extraordinaire au récit fantastique. À force de rechercher le dépaysement par l’excentricité, il est facile de franchir la ligne ténue qui sépare l’incroyable de l’impossible, l’extrapolation technique de l’imagination débridée. Ainsi, lorsque Emilio Salgari décide de narrer les exploits d’aventuriers traversant le Pôle à bicyclette (Al polo Australe in velocipede), il reste dans le domaine du possible, mais la réalisation du projet semble si improbable qu’elle en devient fantastique.

Les voyages extraordinaires mettent en place un projet tellement démesuré qu’il en devient fantastique. Mais cela ne veut pas dire pour autant que le dépaysement se limite au fantastique. Bien au contraire, c’est parce que la machine ou le projet inouïs passent l’épreuve du monde sauvage, parce que le dépaysement fantastique rencontre l’exotisme géographique que l’aventure devient possible. Là où le monde perdu faisait basculer le récit d’un décor géographique à un décor fantastique, les récits de machines et les récits de voyages excentriques mêlent intrinsèquement les deux, à tel point qu’on peut – et qu’on doit – les étudier selon les deux perspectives simultanément. C’est même la rencontre du génie de l’homme et de l’inquiétante incertitude de la nature qui est, le plus souvent, l’enjeu du roman.

 

 

 

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