Illustration tirée d'une affiche
du serial Les Vampires de Louis Feuillade.
Roman d'aventures sociales et roman d'aventures: parallèle.
Roman d'aventures sociales et récit policier: parallèle.
Présentation du roman d'aventures feuilletonesques.
Présentation du roman d'aventures sociales et policières.
Présentation des mystères urbains, par R. Barbagallo. (en français, en italien).
Autres types de romans d'aventures.
La première personne à avoir évoqué l'idée d'un roman d'aventures sociales est à ma connaissance Lise Queffelec. Dans son essai "La Construction de l'espace exotique dans le roman d'aventures au XIXème siècle" (Cahiers CRLH. CIRAOI, numéro 5, 1988, L'exotisme, Didier Erudition), elle souligne qu'il existe un rapport entre roman d'aventures et exotisme. Selon elle, il peut exister trois types d'exotismes: l'exotisme géographique, l'exotisme historique et l'exotisme social (milieux populaires et/ou grand monde). Ces trois types d'espaces jouent un rôle analogue. Lise Queffelec développe peu son analyse, dans la mesure où elle s'intéresse essentiellement à l'exotisme géographique et à ses rapports avec l'exotisme historique.
En proposant un exotisme social, Lise Queffelec tente de combler l'une des brèches qui existaient jusqu'alors dans les analyses du roman d'aventures et des récits d'action en général. En effet, il existe un grand nombre de récits qui ne proposent à première vue pas de réel dépaysement: la série des Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain, les uvres de Gaston Leroux (les Rouletabille, les Chéri Bibi, etc.), certains textes de Gustave Aimard (Les Mohicans de Paris) ou de Gustave Le Rouge (Todd Marvel, Le Mystérieux Docteur Cornélius, etc.) etc. En Angleterre, on peut être tenté de lier certains récits de Conan Doyle ( plusieurs Sherlock Holmes) au genre. Tous ces textes sont pourtant des récits d'action: Juve traque Fantômas et tente d'éviter la multiplication des assassinats, la série des Chéri Bibi s'ouvre sur la prise de possession d'un navire par des prisonnier (Les cages flottantes), et les péripéties des Mohicans de Paris semblent déplacer l'action des westerns de Gustave Aimard dans un cadre parisien (le titre est en cela amusant).
Si l'on suit Lise Queffelec, le roman d'aventures sociales est exotique parce que le texte nous fait découvrir des milieux sociaux (réels ou imaginaires) inconnus du public: la pègre, la grande aristocratie, le syndicat du crime, la cour des miracles, la prostitution, les sociétés secrètes, etc. Ce monde caché possède en effet ces propriétés qui intéressent le roman d'aventures, au même titre que l'histoire ou la géographie: hors-la-loi, il livre le héros à lui-même, criminel, il réactive les fantasmes de sauvagerie, caché, il possède ses règles et se prête au modèles initiatiques
Roman d'aventures sociales et roman d'aventures.
Reste qu'il existe certaines spécificités du genre qui nous conduisent à poser quelques conditions à l'appartenance de ces récits au roman d'aventures. Leur origine est assez différente de celle des autres romans d'aventures. Ils sont issus de la tradition, essentiellement française, du roman-feuilleton (ce qui explique que la plupart de ces uvres soient françaises): on y sent l'influence d'Honoré de Balzac (La Cousine Bette) et d'Eugène Sue (Le Juif Errant, Les Mystères de Paris), mais aussi des Misérables de Victor Hugo. On retrouve en effet le thème de la conspiration, le goût pour le mélodrame et l'émotion ou les effets grand-guignolesques. Nous sommes loin ici de l'histoire du roman d'aventures, inspiré des récits de voyages, et devant une part de son succès au développement d'une littérature pour la jeunesse. Le roman d'aventures sociales se destine en effet à un public plutôt adulte et populaire, il est diffusé dans des journaux pour adultes, là où le roman d'aventures appartient le plus souvent à la presse enfantine ou adolescente (dime novels, journaux spécialisés).
Ces disparités d'origine et de public entraînent d'autres différences plus importantes: le public plus adulte donne au récit un caractère souvent plus politique (qu'on pense aux charges d'Eugène Sue contre les jésuites, ou aux remarques anti américaines et anti mercantilistes de Gustave Le Rouge) - même si la vision politique des auteurs est souvent simpliste; ce public visé donne aussi parfois au texte un caractère plus érotiques (érotisme sombre hérité du gothique, et que le caractère enfantin du roman d'aventures a conduit ce dernier au contraire à censurer). L'origine feuilletonesque du roman d'aventures sociales entraîne d'autres différences notables: destiné à un public mixte (ou en tout cas, moins radicalement masculin que le roman d'aventures), le feuilleton pour adultes cherche à plaire aux hommes autant qu'aux femmes. Aussi ne se limite-t-il pas à la seule narration d'actions violentes. L'amour y tient une place importante (on y suit les couples de Chéri Bibi et Cecily, Helen Holmes et George Storm dans L'Héroïne du Colorado de Gustave Le Rouge, Hélène et Fandor dans Fantômas, etc.). Le
Fatala une série de roman d'aventures sociales de Marcel Allain moins connue que Fantômas. |
récit laisse également une plus grande place au mélodrame et aux émotions exacerbées: le texte multiplie les descriptions d'enfants trouvés, de filles perdues au grand cur, de bandits qui se rachètent, et de mères méritantes. Le roman d'aventures sociales mélange volontiers les genres, allant souvent jusqu'à proposer des allusions sexuelles, en général absentes des romans d'aventures.
Enfin, la forme des parutions périodiques, la nécessité de tenir le lecteur en haleine donne aux récits une physionomie spécifique: les péripéties se succèdent avec la plus grande régularité, le récit court sur des centaines, voire des milliers de pages. Aussi, le texte est-il moins structuré sur la forme de la quête (qui suppose un début et une fin bien circonscrits, et une progression continue), que sur celle de la fugue et de la variation. Les personnages se rencontrent tous à un moment ou l'autre du récit et, pour renouveler l'intérêt du lecteur dans ces rencontres, les révélations finissent par tisser progressivement des liens complexes entre tous: ainsi, ils se découvrent constamment des liens de parenté (Fantômas est le père d'Hélène, il se fait passer pour le père de Fandor - dont il a tué le père - et fait croire à celui-ci que sa mère est folle - alors même que Fandor est amoureux d'Hèlène - il est également le frère jumeau de Juve! ), et les haines, amitiés et découvertes sur la nature des personnages sont sujettes à de nombreux rebondissements.
Ces différents éléments tendent à modérer le lien qu'on pourrait tisser trop systématiquement entre roman d'aventures et roman d'aventures sociales. Reste qu'il ne faut pas non plus toujours opposer les deux genres: on trouve de nombreux romans d'aventures qui pratiquent le mélange des genres, et où l'intrigue sentimentale tient une part importante: les premiers chapitres de La Belle Rivière de Gustave Aimard se consacrent pour l'essentiel à mettre en place une intrigue amoureuse. Chez Louis Noir et Paul d'Ivoi, les pages sentimentales sont également fréquentes. D'autres genres littéraires se retrouvent dans les récits d'aventures: le fantastique se mêle parfois si intrinsèquement à l'aventure qu'on a du mal à savoir si on a affaire à un roman d'aventures ou à un récit fantastique (d'où l'expression de roman d'aventures fantastiques): Rider Haggard fait intervenir des sorcières (King Solomon's Mines) et un Dieu (Red Eve) dans ses récits, et Rice Burroughs oppose Tarzan à des sortes de vampires immortels (The Eternal Tarzan).
De même ne peut-on faire de la sérialisation un élément discriminatoire: Louis Boussenard publie dans Le Journal des Voyages des récits de longue haleine (son "gamin de Paris" connaît des aventures interminables autour du monde), et la plupart des récits de Stevenson sont publiés dans Young Folks. Quant à l'appartenance du roman d'aventures à la littérature enfantine, elle ne se confirme pas toujours: certains auteurs, comme Alexandre Dumas ou Jack London (et même, pour nombre de ses récits, Karl May), ne s'adressent pas spécifiquement à un public enfantin.
Enfin, l'accent mis sur les liens de famille n'est pas non plus absent des romans d'aventures, y compris des meilleurs: The Master of Ballantrae de Stevenson décrit le combat de deux frères, et Weir of Hermiston oppose un père et son fils. Chez Emilio Salgari, les rapports entre personnages se compliquent au fur et à mesure que progresse la saga de Sandokan: Kammamuri aime Ada, la fille de Lord Guillonk, lequel poursuit Sandokan de sa haine parce qu'il le croit responsable de la mort de celle-ci Quant à la série des Testa di Pietra, elle oppose Sir William à son propre frère, le Marquis d'Halifax.
Alors, que conclure? Doit-on lier roman d'aventures et roman d'aventures sociales? Il semble bien que le lien existe, d'abord parce que les deux littératures aient une part de leur histoire en commun, le feuilleton (en 1844, Dumas et Sue publient dans des journaux concurrents Le Comte de Monte Cristo et Le Juif errant); ensuite parce qu'ils possèdent des structures en commun (importance de l'action et de l'exotisme dans l'acception la plus large du terme). Reste que le roman d'aventures sociales paraît bien n'être pas uniquement un roman d'aventures. Il possède d'autres spécificités génériques. Les règles d'édition et d'écriture sont sensiblement différentes (même si des exceptions existent), ce qui affecte de façon conséquente les structures de chaque sorte de récit.
Roman d'aventures sociales et récit policier.
Inspiré du personnage réel d'Allan Pinkerton Nat Pinkerton est l'un des plus célèbres serials policiers publiés en France. Cette couverture (1914) est la dernière de la série. |
L'importance du roman d'aventures sociales dans la genèse du récit policier n'est pas à négliger. Outre les auteurs les plus connus (Gustave Le Rouge, Marcel Allain, Gaston Leroux, Sir Arthur Conan Doyle), il faut faire une place aux nombreux fascicules publiés dès la fin du XIXème siècle en France, mais aussi aux Etats Unis (Dime Novels). Nat Pinkerton, ou Nick Carter en sont des illustrations parmi d'autres. Le succès est si considérable, qu'il est à l'origine d'un véritable engouement au cinéma, à travers le succès des serials: Les Vampires, Fantômas et Judex de Louis Feuillade en sont l'exemple le plus célèbre.
On le devine déjà le lien du roman d'aventures sociales et du roman policier est considérable. Parmi les auteurs les plus tardifs, on trouve en effet les ancêtres du genre: Gaston Leroux invente Rouletabille, Conan Doyle crée Sherlock Holmes et Marcel Allain invente avec Pierre Souvestre Fantômas. Les deux premiers créent (ou recréent, après Edgar Poe et son chevalier Dupin) le détective scientifique, les troisièmes lancent la mode du génie du crime. Quant aux serials, ils popularisent une autre tendance future du récit policier: le Thriller, où l'enquête est moins importante que le combat contre le mal.
Mais ici aussi, le rapprochement est à modérer: comme le souligne Jean-Claude Vareille (dans son essai Filatures), dans ces récits, y compris dans les Sherlock Holmes et les premiers Rouletabille, l'enquête est souvent relayée par la quête; et si l'action tient une place considérable, elle est liée, comme dans le roman d'aventures, au déplacement, voire au dépaysement géographique: Rouletabille part en Amérique, dans les Balkans, ou dans la Russie du Tsar. En fait, le roman d'aventures sociales de type policier oscille entre l'enquête et l'aventure, d'où l'importance de la poursuite, qui permet de mêler les deux genres.
On peut distinguer deux types de romans d'aventures: les récits de type feuilletonesque, et le roman policier archaïque.
Rocambole de Ponson du Terrail est un exemple célèbre de roman d'aventures feuilletonesques. |
A une première époque, qui court jusqu'aux années 1870, on distingue une tradition du feuilleton, issue de Balzac, Hugo et Sue. Le mélodrame tient une place importante, le récit court sur de nombreuses pages, sa structure semble parfois tenir de la fugue, voire de l'improvisation. L'intrigue s'articule autour de l'affrontement de quelques personnages se tendant des pièges tour à tour. Le récit a l'ambition de décrire toutes les couches de la société, ainsi que ses rouages cachés, d'où les thèmes de la conspiration, d'où aussi l'exotisme social. Déjà, Hugo, dans Les Misérables, propose un tel fonctionnement. Eugène Sue, avec Les Mystères de Paris (1842-1843) et Le Juif errant (1844-1845) donnera au genre sa syntaxe, installant les thèmes de la conspiration, les coups de théâtres, les pièges machiavéliques, les liens de famille et le goût du mélodrame. A la même époque, Dumas, avec Le Comte de Monte Cristo (1844-1846) se nourrira également des thèmes de la vengeance et de la conspiration. Balzac (Splendeur et Misère des courtisanes), puis Hugo (Les Misérables donneront à ce type d'écriture ses lettres de noblesse. Suivront d'autres auteurs moins littéraires: Ponson du Terrail et sa série fleuve Rocambole (1857-1870), et Paul Féval avec Les Habits noirs, ou la mafia au XIXème siècle (1863-1875).
Après les années 1870, le succès du feuilleton social semble s'affaiblir. Les feuilletons suivants s'inscriront plus volontiers dans l'Histoire (dans la tradition du Dumas des Mousquetaires), et perdront cette volonté d'explorer et d'expliquer les rouages de la société: les récits de Michel Zévaco ou de Fortuné de Boisgobey en sont les exemples les plus frappants.
Une édition des années 50 de L'Affaire Lerouge d'Emile Gaboriau. |
Car progressivement, un second type de roman d'aventures sociales se développe, prenant le pas sur le premier: le roman d'aventures sociales policières. On situe en général son origine avec L'Affaire Lerouge d'Emile Gaboriau (1866); inspiré par Edgar Poe (et son chevalier Dupin), il propose une enquête très proche de celle des récits modernes: Lecoq, le détective hésite, suit une piste, puis l'autre, associe les éléments d'enquête Les récits de Wilkie Collins, auteur anglais, proposent un récit qui hésite beaucoup plue entre aventure et policier: dans The Moonstone (1868), se mêle une recherche de pierre disparue, une mystérieuse malédiction et le combat contre les Indiens.
Vient ensuite Conan Doyle qui popularise, avec Sherlock Holmes, le personnage du détective. L'enquête représente l'essentiel du récit, mais les péripéties aventureuses sont souvent présentes.
C'est en partie contre "La bande mouchetée" de Doyle que Leroux écrit Le Mystère de la chambre jaune (1907-1908), où il fait part de sa volonté de créer une véritable énigme de chambre close, sans trou masqué ("La Bande mouchetée") ni issue oubliée ("Double assassinat à la rue Morgue" de Poe). Cette première aventure de Rouletabille est essentiellement policière. Les suivantes le seront nettement moins: déjà, dans Le parfum de la dame en noir, les péripéties aventureuses se multiplient. Quant aux récits suivants (Les étranges noces de Rouletabille, Rouletabille chez le Tsar, Le Château noir, etc.), ils délaissent pour ainsi dire l'intrigue policière au profit de l'action et du mélodrame.
C'est le cas également des Fantômas de Pierre Souvestre et Marcel Allain (deux séries entre 1911 et 1948), ou des enquêtes de Todd Marvel de Le Rouge (1923), ou encore des fascicules de Nat Pinkerton (en France, 1908-1914) ou Nick Carter (1076 aventures, dont la première paraît en 1886 dans le New York Weekly, et en France, 1907-1914). Ici, l'enquête est souvent réduite à la portion congrue. Elle semble essentiellement servir de prétexte à l'action.
A cette époque, le roman policier s'est déjà développé: Chesterton, Wallace, Freeman écrivent déjà. Et le roman d'aventures sociales et policières se poursuivra au cinéma, à travers les serials et, plus tard, les séries télévisées (qui sont d'une certaine façon la pure continuité du serial).