1918-….

 

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Inépuisable auteur de la série des Bob Morane, dont il livre aujourd’hui encore deux à trois volumes annuels, Henri Vernes est sans doute l’un des derniers grands romanciers populaires de romans d'aventures francophones. C’est aussi l’un des auteurs contemporains à avoir connu la plus grande longévité : son premier récit a été publié en 1944, et le premier Bob Morane, La vallée infernale, remonte à 1953. Quant au dernier volume à ce jour, La porte du cauchemar, il date de… mai 2005 ! et l’ensemble du cycle des aventures de Bob Morane doit approcher les 195 volumes. Avec une œuvre qui s’étend sur plus d’un demi-siècle, et qui s’est développée chez quelques uns des éditeurs populaires d’après-guerre les plus intéressants (Marabout, Librairie des Champs Elysées, Bibliothèque Verte Hachette, Fleuve Noir, Lefrancq, etc.), le cycle de Bob Morane représente un témoignage précieux des aléas du roman d'aventures populaire pour la jeunesse d’après-guerre.

 

Une histoire éditoriale mouvementée.

La genèse de Bob Morane est liée à l’histoire des éditions Marabout. Elle a été narrée à maintes reprises, et on peut la rappeler brièvement. L’éditeur Marabout souhaitait développer une collection d’ouvrages destinés à la jeunesse, et pour cela, il avait besoin d’une série populaire qui puisse servir de locomotive à la collection. On recommande à Jean-Jacques Schellens, responsable chez Marabout, un jeune écrivain professionnel, journaliste pour de nombreux périodiques comme Tintin ou Mickey, Charles-Henri Dewisme. Celui-ci va d’abord écrire un ouvrage-test, Les Conquérants de l’Everest (récit-reportage, un genre que l’éditeur appréciait particulièrement) avant de se lancer dans le premier des Bob Morane sous le nom d’Henri Vernes.

L’anecdote a son importance : elle signifie que Bob Morane a été pensé dès l’abord comme une série. La vallée infernale, premier roman publié, donne des indices de cette sérialité : définition d’un personnage avec un passé romanesque (pilote d’avion, aventurier aguerri), qui permet de suggérer une cosmologie plus vaste que celle de l’œuvre, mise en place de quelques traits définitoires des personnages appelés à devenir récurrents (c’est le fameux « je t’ai dit mille fois de ne pas m’appeler Commandant » ou les références au Zat 77), ouvertures enfin à des suites possibles de l’œuvre (après son dernier affrontement avec Morane, Broom évoque ce qu’il fera « la prochaine fois » annonçant une rencontre ultérieure, et l’explicit du roman est une promesse d’aventures futures : « Bob Morane songeait à ce qu’il ferait ensuite. Evidemment, personne ne pouvait dire à quoi il pensait, mais ce n’était certainement pas à une bonne paire de pantoufles et à une robe de chambre doublée de flanelle »). C’est bien une écriture sérielle qui est proposée, dans une œuvre qui se prépare, dès le premier roman, au long cours.

Parallèlement aux premiers Bob Morane, Henri Vernes a publié une série d’ouvrages documentaires romancés, qui étaient l’autre marque de fabrique de Marabout junior (Les compagnons de la flibuste, Des hommes sur un radeau). Mais très vite, il se consacre uniquement à la série principale ; car le succès est rapide, et non démenti, au point que Bob Morane devient l’image de marque de la maison d’éditions, jamais égalé par les autres héros maison, Nick Jordan (d’André Fernez), Kim Carnot (de Legray), Dylan Starck (de Pierre Pelot), ni même par les traductions de Doc Savage (de Kenneth Robeson). Ce succès donnera rapidement lieu à des produits dérivés : série télévisée (en 1963, avec Claude Titre dans le rôle de Morane), disques, bande dessinée (chez Dargaud et au Lombard), mais aussi clubs d’amateurs (puisque le Club International des Chercheurs Marabout était presque entièrement centré sur l’univers de Bob Morane) et, plus tard, jeux vidéo et dessins animés.

Henri Vernes a accompagné le destin de la collection Marabout Junior, pour laquelle il a représenté une manne financière, puis de Pocket Marabout, jusqu’au terme de l’expérience éditoriale, avant de prolonger les aventures de son héros à la Librairie des Champs Elysées (de 1978 à 1980), puis chez Hachette (de 1982 à 1985), en Bibliothèque Verte, puis chez Fleuve Noir. Les éditeurs qui se sont succédé témoignent de l’ambiguïté de l’œuvre et de ses destinataires : Marabout Junior puis Pocket ciblaient explicitement les jeunes lecteurs ; de même en est-il pour la Bibliothèque Verte. Mais les destinataires des ouvrages proposés par la Librairie des Champs Elysées et par Fleuve Noir, éditeurs populaires sans cible d’âge explicite (même si le premier avait développé une collection Masque Jeunesse), sont moins évidents. En réalité, Bob Morane se destine à un public difficile à cerner, celui des « jeunes », cette frange importante (peut-être essentielle) de la littérature populaire, qui commence à la préadolescence, et se prolonge dans les années d’étudiant – même s’il est probable que la grande majorité des lecteurs de la série soient des collégiens. Un éditeur comme Fleuve Noir débutait peut-être, avec Bob Morane, cet infléchissement vers les jeunes lecteurs qui allait marquer par la suite sa politique et se traduire quelques années plus tard par le choix de se centrer sur les novellisations, les ouvrages sous licence et les univers de l’heroic fantasy.

Chez aucun des éditeurs qui ont succédé à Marabout, le succès n’a égalé celui, considérable, rencontré chez Marabout Les expériences ont été à chaque fois brèves (deux ans environ aux Champs Elysées, trois chez Hachette, trois au Fleuve Noir), et peu productives, avec une forte proportion de rééditions. C’est chez le belge Lefrancq que la série va trouver un nouveau souffle, avec une politique ambitieuse de rééditions et un choix délibéré de relancer les inédits. Mais Lefrancq a pris le partir d’un calendrier de rééditions et d’exhumations d’inédits trop vaste (avec la publication des œuvres d’Owen, de Rice Burroughs, de Jean Ray, de Pierre Pelot, et de tant d’autres) à une époque où la mode du populaire était passée, et la maison d’édition n’a pas résisté longtemps aux difficultés financières. Malgré la dynamique offerte par la série de dessins animés dans les années 1998, les aventures du héros vont devoir, une fois encore, chercher un nouvel éditeur. Après une brève expérience chez Le Cri, ce sera Ananké, éditeur largement conçu autour de Bob Morane (mais qui publie aussi la série des Biggles de W. E. Johns), puisqu’il a été créé par Henri Vernes et Claude Lefrancq (le responsable des défuntes éditions Lefrancq).

Aujourd’hui, la série des Bob Morane peut paraître un peu désuète, et il y a fort à parier que sa survie tienne en grande partie à la nostalgie des anciens lecteurs. Comme Martine, Bécassine ou les Barbapapa, Bob Morane est probablement devenu une littérature de transmission. Mais si transmission il y a, c’est surtout, par delà le plaisir qu’auraient les parents à vois leurs enfants lire des livres qu’ils ont aimé autrefois, à une transmission d’états passées de la littérature populaire qu’on songe en lisant Bob Morane, transmission des formes, des thèmes, et évocation des mutations de la littérature en un demi siècle.

 

Bob Morane ou le roman d'aventures phagocyté.

De fait, la longévité de l’auteur lui permet d’accompagner les grandes mutations de l’édition populaire d’après-guerre. Lorsque Henri Vernes publie sa première œuvre, les éditions Tallandier proposent encore des collections d’aventures, diffusant Catamount d’Albert Bonneau, rééditant Louis Boussenard et Paul d’Ivoi (avec un succès de plus en plus incertain cependant), et leur collection de romans d’André Armandy connaît un succès non démenti. Le roman d’aventures d’avant-guerre connaît son chant du cygne, mais il reste l’un des référents importants de l’imaginaire de l’aventure, relayé en particulier par quelques grands succès hollywoodiens : de 1950 à 1955, Stewart Granger va jouer tour à tour dans les mines du roi Salomon (d’après Rider Haggard), Trois troupiers (d’après Rudyard Kipling), Scaramouche (d’après Rafael Sabatini), Le prisonnier de Zenda (d’après Anthony Hope) et dans Moonfleet (d’après John Meade Falkner) assurant une continuité entre la grande époque du roman d'aventures edwardien et le cinéma d’aventures. Nous sommes pourtant à la veille de l’avènement de nouveaux éditeurs populaires plus modernes, plus centrés sur les réalités d’un monde dont la logique géopolitique n’est plus celle opposant l’Europe à ses colonies, mais celle qui confronte le bloc américain aux pays de l’Est : ce sera au premier chef les éditions Fleuve Noir qui illustreront cette nouvelle tendance, avec une collection comme L’aventurier qui, à partir de 1955 suivra ce glissement du récit d’aventures vers le roman d’espionnage. Le même Fleuve Noir qui va exploiter la vogue montante du récit de science fiction avec des collections comme Anticipation, qui débute également l’année 1951.

L’apparition de la série des Bob Morane se produit donc dans une période de transition du roman d'aventures. Le roman d'aventures géographiques traditionnel ne reflète plus les préoccupations géopolitiques et la vision du monde d’après-guerre : il y a longtemps qu’on ne rêve plus sur les zones vierges du globe (rêverie déclinante depuis la première guerre mondiale), l’Europe sent bien que son ère de domination orgueilleuse de la planète est passée, et l’imaginaire colonial est déclinant. Les mondes à conquérir se situent désormais ailleurs : vers les planètes lointaines (récits renouvelant les romans d’aventures géographiques fondés sur la conquête) ou dans les affrontements géopolitique (renouvelant les romans d’aventures coloniales fondés sur la menace de révoltes indigènes).

L’apparition de Bob Morane tient donc du paradoxe, puisque ce cycle romanesque prend son envol au moment où les œuvres dont il se réclame vivent leurs dernières heures dans leur forme classique. De fait, loin de refléter ces mutations génériques, le premier roman de la série, La vallée infernale rappelle l’univers des récits d’aventures géographiques classiques : l’action se déroule dans la jungle, elle oppose des chercheurs de trésor (pirates modernes, puisqu’ils détournent un avion) aux héros, et le pays exotique est encore un espace primitif, peuplé d’indigènes naïfs et incapables de lutter contre une poignée de Blancs. L’œuvre ne cesse d’ailleurs d’évoquer le roman d'aventures classique en convoquant une série d’intertextes qui ont valeur de filiation. On trouve une référence aux Horizons perdus de James Hilton (« ayant entendu parler de la vallée mystérieuse, le président Roosevelt, en souvenir d’un célèbre roman d'aventures, la baptisa du nom de Shangri-La. Dans ce roman, Les Horizons perdus, Shangri-La était une cité isolée dans une vallée inconnue de l’Himalaya et dont les habitants possédaient, en partage, et la santé et le bonheur ») et, à plusieurs reprises, au Robinson Crusoe de Defoe (« Je me demande comment Robinson aurait fait, dans notre cas » ; « ce vieux Crusoé ne s’en serait pas tiré » ; « il aimait trop l’imprévu pour pouvoir se cantonner dans une vie de Robinson sans Vendredi et sans traces de pas dans le sable » - c’est bien sûr autant à l’ensemble des robinsonnades qu’à l’œuvre spécifique de Defoe que renvoient ces références). Enfin, le roman se réfère aux Aventures du capitaine Corcoran d’Alfred Assollant. Ce dernier exemple mérite d’être étudié de plus près. « Il fouilla dans ses valises, dans l’espoir d’y découvrir un livre. Il trouva seulement un roman qui avait enchanté ses jeunes années et que, avant de quitter la France, il avait emporté comme une sorte de relique. C’était Le Capitaine Corcoran. L’auteur y relatait les aventures et mésaventures d’un Français chevaleresque et audacieux qui parcourait les Indes en compagnie de sa tigresse apprivoisée, y faisait la guerre aux Anglais et y épousait une princesse ». L’épisode est significatif : au terme du premier roman de ce qui avait été prévu dès l’origine comme une série, le héros, Bob Morane, décide de lire un roman. Que vient faire cette décision dans un roman d’aventures (qui, par nature, se prête peu à la méditation) de choisir un livre ? Il s’agit évidemment de faire de ce livre un marqueur générique : le livre que prend Morane renvoie à la bibliothèque intertextuelle à laquelle se réfère Henri Vernes. Or, c’est bien un modèle de lectures nostalgiques (celui lié aux plaisirs enfantins) que désigne l’auteur. Ce modèle, c’est explicitement celui du roman colonial et nationaliste – et il est remarquable que le récit soit résumé en des termes soulignant ces aspects.

De fait, la première aventure de Bob Morane s’inscrit dans une tradition identifiable : celle des aventures géographiques et, secondairement, des récits de mondes perdus (avec l’évocation d’une vallée inaccessible). Ce modèle peut être rapporté aux romans d’aventures de l’entre deux guerres – celui des pulps américains (Morane est un ancien militaire, les aventuriers qui l’accompagnent paraissent issus d’un numéro de Adventure Magazine) et des cycles d’aventures dans les mondes perdus que les lendemains de la Grande Guerre affectionnaient (ceux d’Edgar Rice Burroughs en particulier, avec les chercheurs de trésor sans scrupules, mais ignorants des règles de la jungle – l’avion écrasé n’est pas non plus sans rappeler les Tarzan cinématographiques). Mais des résurgences plus anciennes se font jour : ainsi, certaines scènes, comme la traversée de la rivière souterraine, évoquent Rider Haggard (et la descente aux enfers d’Allan Quatermain), et les combats des Blancs aux côtés d’une tribu africaine contre une autre tribu pourrait être rapportée au Monde perdu  de Conan Doyle. Plus simplement, la caractérisation de l’univers de fiction (distinguant un poste de civilisation avancé au bord de la jungle, zone vierge du globe), la dynamique que développe l’intrigue (des Blancs s’enfoncent dans l’inconnu pour mettre la main sur des richesses fabuleuses), l’opposition des valeurs représentées par les différents protagonistes (la vision du monde paternaliste des bons contre l’attitude prédatrice des mauvais Blancs, figurant les deux colonialismes de l’époque), tout paraît nous indiquer que le récit se réfère encore à un modèle colonial de l’aventure. C’est logique en un sens, puisque l’œuvre est antérieure aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Mais ce que le contexte historique n’explique pas en revanche, c’est pourquoi, loin de se situer dans le roman d'aventures contemporain, Vernes choisit résolument de se tourner du côté du passé de ce genre.

C’est en effet ce que confirment les ouvrages suivants de l’auteur, qui convoquent eux aussi, avec la régularité d’un métronome, les intertextes des romans d'aventures d’avant-guerre. Dans La vallée des brontosaures, on trouve des références à Tarzan (et ce, dès la première page, avec l’évocation d’un hypothétique « complexe de Tarzan » ; plus tard, la référence au « cimetière des éléphants » fera penser aux films avec Johnny Weissmuller, quant aux « hommes léopards », ils apparaissaient dans Tarzan and the Leopard Men), mais aussi au film de 1931 Trader Horn (de W. S. Van Dyke), à Kipling (qu’on retrouve également – naturellement – dans La marque de Kâli)… quant aux protagonistes, Leni Hetzel (comme l’éditeur de Jules Verne) et Allan Wood (comme Allan Quatermain de Rider Haggard), leur nom n’est pas neutre. Dans Les chasseurs de dinosaures, on rencontre encore Defoe et Robinson, dans L’Ombre Jaune, ce sont « les mots Péril Jaune [qui] font partie de l’arsenal des romanciers d’avant-guerre » (ceux des pulps américains, à commencer bien sûr par Sax Rohmer et son Fu Manchu, dont L’Ombre Jaune paraît parfois être la réécriture, mais on peut aussi penser, lointainement, au Capitaine Danrit et à son Invasion jaune) qui inscrivent l’œuvre dans une généalogie romanesque ; dans Opération Wolf, ce sera le far west classique : non pas celui des modernes gunfighters, mais celui, plus vieillot, de Buffalo Bill (« pas mal le spectacle, murmura-t-il. La science de demain en plein Far West !... Si Buffalo Bill pouvait revenir, il aurait une drôle de surprise »). Les exemples de tels intertextes sont légions, et l’on en trouve dans pratiquement tous les volumes. Ainsi, loin de remettre en cause cette diffraction des citations convoquées, les derniers romans les multiplient à plaisir, à l’instar des Passagers du miroir (2001), qui évoque Conan Doyle (et également, bien sûr, Alice) mais aussi… la série des Bob Morane (« Une chose que tu oublies, Bill, c’est que les personnages de romans ça ne vieillit pas »).

On le voit, la série des Bob Morane est saturée d’allusions intertextuelles. Cela signifie que le référent principal de ces récits n’est pas la réalité, mais d’autres récits antérieurs. Ce dont parle Henri Vernes, ce n’est pas tant du monde, c’est de la littérature de genre. Autrement dit, son œuvre peut être décrite comme un travail d’assimilation et de réécriture de la littérature de genre. Les premiers ouvrages visent nettement la tradition du roman d'aventures : roman géographique (La vallée infernale, La marque de Kâli, Le masque bleu…), récit de mondes perdus (Sur la piste de Fawcett, La vallée des brontosaures, Le secret des Mayas…), récits d’aventures liés à des machines fabuleuses (La griffe de feu, Les requins d’acier)… La série des Bob Morane peut apparaître comme une sorte de panorama de la littérature d’aventures, de ses codes et de ses épisodes-clé.

En réalité, Henri Vernes ne se limite plus à cet imaginaire, et s’ouvre à d’autres genres : déjà, Le masque bleu (dont l’intrigue, faite de révoltes et de conspirations, n’est pas sans rappeler Le prophète au manteau vert de John Buchan), Les faiseurs de désert ou Les requins d’acier évoquent les premiers romans d’espionnage (ceux qui sont encore mal différenciés des romans d’aventures coloniales). De même, les récits de mondes perdus ne demandent qu’à être convertis en récits de science-fiction : comment ne pas remarquer, par exemple, la proximité qui existe entre La vallée des brontosaures (récits de monde perdu dans lequel les personnages croisent dans une vallée africaine quelques bêtes fabuleuses ayant survécu à la préhistoire) et Les chasseurs de dinosaures (ce sont les héros qui partent désormais dans le passé chasser le dinosaure) ? Dans les récits, les aventures vécues auprès de la patrouille du temps ne sont pas fondamentalement hétérogènes aux dangers qu’affrontent les héros dans l’Atlantide ou ailleurs. La plupart du temps, les éléments fantastiques, comme ceux qu’on peut lier à l’imaginaire de la science fiction, restent limités : recherche d’un serpent géant (La croisière du Mégophias) ou de Démons issus de la mythologie (Les esprits du vent et de la peste), découverte de machines à remonter le temps (Le Cycle du temps), ou du dispositif rendant l’Ombre Jaune immortel (cycle de L’Ombre Jaune) ; rien de tout cela n’affecte profondément la logique du récit ou sa nature. On pourrait encore citer la série de romans inspirés de l’imaginaire de l’heroic fantasy : le cycle d’Ananké, ou Les passagers du miroir proposent ainsi des univers de fiction qui jouent avec les codes de l’heroic fantasy et de ses civilisations fabuleuses peuplées d’êtres issus des légendes médiévales ou antiques.

Pourtant, ces emprunts aux codes des autres genres doivent être pris pour ce qu’ils sont : des décors qui ne remettent pas en cause l’unité générique de l’œuvre. Que l’aventure se déroule dans une réalité parallèle, dans le passé ou l’avenir, ou qu’elle narre l’affrontement du héros avec des forces surnaturelles, c’est toujours, fondamentalement, un roman d'aventures qui est offert. Les éléments de science fiction ou de fantastique viennent pimenter cette aventure, sans la modifier fondamentalement. L’ennemi peut posséder un pouvoir surnaturel ou une arme futuriste, le cadre spatio-temporel peut aller rechercher son dépaysement dans des contrées fantastiques, il ne s’agit que d’accessoires et de décors qui n’influent guère sur la trame narrative : quand fantastique, science-fiction ou intrigue policière il y a, ce ne sont que les piments d’une aventure fantastique, aventure policière ou science-fiction d’aventure. On se retrouve ici typiquement dans ce parasitisme littéraire qui caractérise si souvent la littérature d’aventures, empruntant clé en main les univers de fiction de certaines œuvres ou certains genres pour en faire les décors conventionnels de l’aventure romanesque.

Car s’il voyage dans le temps et l’espace, s’il rencontre des êtres et des lieux possibles et impossibles, Bob Morane ne paraît guère être affecté par ces aventures. Certes, il lui arrive, ponctuellement, de se rappeler avoir vécu une situation analogue, ou d’évoquer, en un mot, une rencontre antérieur avec tel personnage, mais dans l’ensemble, le « Commandant » Morane reste un homme sans mémoire. Héros parfait, il n’a pas besoin d’acquérir de l’expérience pour se perfectionner, puisqu’il sait déjà tout faire. Et si Vernes prend en compte les bouleversements rapide du monde, Morane paraît s’adapter à ceux-ci avec la plus grande aisance : s’il a gagné ses galons de Commandant pendant la Seconde Guerre Mondiale, il peut danser sur des airs de Zouk, bien des années plus tard, sans avoir pris la moindre ride (L’anse du pirate). Si le personnage ne vieillit pas, c’est qu’il est enserré dans un schéma actantiel inamovible qui le contraint à la permanence : ses acolytes sont toujours les mêmes, Bill Balantine, Clairembart, et lorsqu’ils changent, ils se transmettent leurs propriétés d’un épisode à l’autre (c’est le cas de la galerie des « petites filles » que Morane séduit avec constance – mais de la façon la plus platonique qu’on puisse imaginer, ou de ces chasseurs qu’accompagne souvent Morane, qui paraissent tous issus de quelque vieux roman de Rider Haggard). Face à Morane, les adversaires sont généralement issus d’organisations obscures, aux buts mal définis, sortes de S.P.EC.T.R.E. sans James Bond ; les civilisations exhumées, les bêtes fabuleuses issues autant de cette mythologie moderne qu’est la cryptozoologie, les menaces pour le monde se répètent avec d’infinies variations, mises au goût du jour.

Comme souvent dans les séries, il existe un cahier des charges, même s’il est probablement implicite ici : tics d’écriture, recours fréquents au même deus ex machina (avec ces fins abruptes qui caractérisent si souvent les romans), structures narratives reproduites, motifs récurrents… c’est bien une unité de l’œuvre qui se dessine, au fil des lectures, avec sa séduction et ses limites. Elle nous offre une illustration précieuses des pratiques sérielles en littérature populaire, mettant en particulier en évidence le caractère souvent superficiel des traits génériques : derrière les variations de décor et les effets de mode, c’est souvent le même récit, à peu de chose près qui se reproduit. Pourtant, tout ne se confond pas : c’est dans la variation, dans l’art d’hybrider, de réinventer, de présenter de façon nouvelle les stéréotypes, que l’œuvre se détermine. Dans le cas de la série des Bob Morane, ce travail de variation est double : il se situe non seulement au niveau de la stéréotypie générique, mais aussi au niveau de la série.

Cet effort pour varier à l’infini autour de schémas répétés fait de la série d’Henri Vernes une sorte de baromètre des transformations subies dans le roman d'aventures : car l’auteur, dans sa volonté d’assimiler les genres et les œuvres antérieurs, témoigne en creux des évolutions de la littérature populaire. C’est une vision subjective, celle d’un écrivain dont les goûts sont encore liés à des souvenirs de lecture lointains ; mais pour cette même raison, elle révèle ce processus dialectique qui est au cœur du récit de genre sériel : reprise de thèmes et de stéréotypes génériques, mais selon une perspective qui est celle d’un auteur particulier, comme dépositaire d’une définition personnelle du genre. Or, en la matière, l’œuvre d’Henri Vernes est unique, parce qu’elle ne se confond jamais avec les récits dont elle s’inspire, mais sait se les approprier pour leur donner les traits, toujours identifiables, de la série des Bob Morane.

 

Principaux sites consacrés à Henri Vernes.

Rares sont en réalité les sites consacrés à Henri Vernes. En revanche, ils sont nombreux à prendre pour sujet son personnage fétiche. Ce sont généralement des sites d'amateurs ou de collectionneurs, attachés à recenser les éditions et leurs variantes, les produits dérivés, les récurrences des personnages, etc. Ils proposent aussi fréquemment des entretiens avec l'écrivain, des études sur tel roman ou sur tel cycle. Voici une sélection des principaux sites consacrés à Vernes et à Bob Morane.

- Dossier Bob Morane. Site très complet. Articles sur l'oeuvre ou des sujets connexes, entretiens avec Henri Vernes, critiques de romans, informations sur l'actualité de l'auteur...

- Dossier du Routard. Présentation générale de l'oeuvre, éléments biographiques sur l'auteur, entretien avec Henri Vernes.

- Dossier AstroneF. Entretien avec l'auteur et articles sur Vernes et son personnage.

- A propos de Bob Morane. Forum de discussion et d'échange autour de Bob Morane.

- Tout Bob Morane. Résumé et critiques des oeuvres, reproduction de textes de Henri Vernes, informations diverses sur l'actualité de l'oeuvre...

- Le "Web Bob Morane". Biographie de l'auteur, quatrième de couverture des oeuvres. Informations pour les collectionneurs, fac-similés...

- Le "site officiel" de Bob Morane. Site de collectionneur, très complet, sur les éditions et les produits dérivés. Contient une bibliographie critique sur Henri Vernes...

- World Newton Encyclopédie Morane. Présentation en anglais de la série.

 

Où trouver les œuvres de l’auteur ?

Seuls sont disponibles aujourd'hui les romans édités ou réédités par Ananké, même si les versions omnibus proposées par Lefrancq se trouvent assez facilement. La plupart des titres se trouvent donc uniquement chez les libraires d'occasion, aux adresses indiquées sur la page réservée à ce propos, ou sur des sites en ligne, comme abebooks.fr, principal libraire d’ouvrages d’occasion en ligne.

 

 

Bibliographie.

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