On considère en général que la grande période du roman d'aventures s'étend de 1860 aux années 20. C'est à cette époque que s'écrivent les plus grandes uvres: celles de Stevenson, de Conan Doyle, ou
de Rider Haggard en Grande-Bretagne, celle de Jules Verne en France ou d'Emilio Salgari en Italie, et les principaux romans de Jack London aux Etats-Unis. A cela on peut donner plusieurs raisons:En premier lieu, il semble que l'expression de "roman d'aventures" n'ait été utilisée pour désigner un genre au moins en France qu'à partir de 1865. Avant cette date, on ne trouve pas de collections consacrées spécifiquement à ces récits, et les auteurs ou les critiques font très rarement référence à la notion de roman d'aventures lorsqu'ils parlent d'une uvre. Aussi les textes ne présentent-ils souvent que partiellement les caractéristiques du genre, et s'y mêlent d'autres traits génériques ("mélo", descriptions de la société, considérations philosophiques, utopies, etc.)
En revanche, après 1860, les collections consacrées au genre se multiplient: elles profitent de l'essor de l'industrie éditoriale. En effet, et c'est la seconde raison du succès du roman d'aventures, l'édition populaire et/ou enfantine bénéficie à cette époque d'un développement considérable.
Ainsi, petit à petit, un genre déterminé se constitue. Il draine un public qui, de plus en plus, sait ce qu'il désire en achetant un roman d'aventures. Les uvres commencent à développer des thèmes précis, des stéréotypes liés au genre, etc. Les auteurs se nourrissent les uns des autres: en Angleterre, Stevenson a lu Marryat, Haggard est influencé par Stevenson, Kipling admire Haggard, et Mason s'inspire de Kipling En France également, les influences sont visibles: Verne rend à plusieurs reprises hommage à Poe et à Dumas, et Le Rouge et d'Ivoi s'inspirent de Verne (comme, en Italie, Emilio Salgari).
Ainsi, un réseau de références, de préoccupations et de thèmes communs se constitue rapidement dans toute l'Europe (dans les pays cités, mais aussi, par exemple,
Un des exemples les plus visibles de ces hommages qui se font entre auteurs de récits d'aventures. |
en Allemagne), mais également aux Etats Unis et au Canada. Le genre est né. En Angleterre, il représente même l'une des tendances majeures du tournant du siècle. En France, l'élite intellectuelle découvre avec un certain retard le phénomène, mais l'enthousiasme n'est pas moins grand. Après Marcel Schwob et Jacques Rivière (dans un article célèbre de la NRF), nombreux sont ceux qui semblent vouloir utiliser les possibilités narratives et thématiques du genre: Malraux, Mac Orlan, Cendrars ou même Giono s'inspirent du genre, tout en cherchant à lui faire dire beaucoup plus.
Mais cette volonté d'en dire plus est déjà le signe d'une certaine façon d'une "décadence" du genre (en tant que système de signes). En effet, le roman d'aventures semble avoir été étouffé par son succès. Devant la multiplication des uvres d'aventures, le cinéma et la littérature éprouvent le besoin d'opérer de nouvelles distinctions. On parle de cape et épée, de western, etc. En isolant de l'ensemble "roman d'aventures" des types d'uvres, on invite les lecteurs, puis les créateurs, à spécifier davantage ces textes. Peu à peu, un langage propre à ces nouveaux genres se met en place.
Le cinéma joue un rôle important dans ce travail de spécialisation: ce nouveau média possède un système visuel de codes, ce qui suppose un nouveau principe de classification générique. En effet, là où pour la littérature le western n'est qu'un type de récit exotique parmi d'autres, dont le cadre est l'Amérique de la colonisation, le cinéma tend à faire du décor un élément clé, puisque c'est ce qui apparaît d'abord à l'écran. A son tour, le décor va jouer un rôle dans l'élaboration de l'intrigue et des thèmes du western (duel dans la rue déserte, défilés rocheux périlleux, etc.), ce que le roman (fondé essentiellement sur le temps) était moins à même de faire. Ainsi, le cinéma instaure ses propres règles, et définit une logique générique spécifique: désormais, de nouveaux genres, avec un langage personnel, se détachent du roman d'aventures: la science-fiction, le cape et épée ou le western ne sont plus considérés par le lecteur (spectateur) comme des décors propres à l'aventure, mais comme des genres à part entière. | |
The Sea Hawk (Michael Curtiz), adapté d'un roman de Rafael Sabatini appartient à ces films qui ont été transformés par l'adaptation cinématographiques (règles liées aux films de pirates et aux capes et épées). |
Petit à petit, le roman d'aventures va éclater en une multitude de genres qui s'en dissocient au fur et à mesure qu'ils se précisent. Aujourd'hui, il semble qu'on ne reconnaisse comme récit d'aventures que les uvres présentant un exotisme géographique (voir la page
Différents types de récits exotiques), et cet exotisme est souvent associé à une période passée, celle de l'apothéose coloniale de l'Angleterre. Cela montre bien que le récit d'aventures est perçu comme un type littéraire mourant, historiquement daté: les récits d'aventures semblent désormais proposer une esthétique nostalgique, un âge d'or où la jungle était un jardin et le Blanc un seigneur, le monde infantile des Tarzan de la MGM.On peut distinguer trois grandes périodes dans la littérature d'aventures: les ancêtres (des origines aux années 1860), l'âge d'or (1860-1920) l'éclatement du genre (1920 à nos jours). Pour plus de commodité, et parce qu'une présentation mettant trop l'accent sur les ruptures risquerait de perturber le lecteur, nous avons choisi de distinguer entre ancêtres, XIXème siècle et XXème siècle.